Le grand Débat

Les infrastructures, un thème d’investissement adapté à la conjoncture

Publié le 24 mars 2023 à 10h30

Sandra Sebag    Temps de lecture 42 minutes

Malgré la hausse des taux d’intérêt et une conjoncture morose, les investissements dans les infrastructures qu’il s’agisse des fonds de dette ou des fonds spécialisés dans les actions non cotées (equity) sont toujours aussi soutenus. Les investisseurs se positionnent sur cette classe d’actifs qui présentent de nombreux avantages. D’abord, ces actifs intègrent une protection contre l’inflation, ensuite, ils répondent à des besoins essentiels à l’économie et aux ménages et s’inscrivent enfin dans la nécessité de mener de front deux transitions : la transition énergétique et la transition digitale. Il n’en demeure pas moins que les gérants ont dû s’adapter au nouveau contexte économique, en particulier les gérants de dette. Ces derniers utilisent de plus en plus des taux d’intérêt flottants et cherchent à maintenir leurs niveaux de spreads. Du côté de l’equity, le coût des nouveaux financements augmente, laissant entrevoir la nécessité de bien maîtriser les business models.

Avec, de gauche à droite :

  • Jean-Francis Dusch, directeur de la gestion en dette d’infrastructure, membre du comité exécutif chez Edmond de Rothschild Asset Management   
  • Benjamin Schmitt, responsable de la dette infrastructure chez DWS  
  • Emmanuel Vivant, managing director chez Igneo Infrastructure Partners, au sein du groupe First Sentier Investors
  • Ingrid Edmund, gérante de fonds senior chez Columbia Threadneedle 
  • Martine Legendre Kaloustian, responsable des investissements alternatifs chez Allianz France

Des tendances macroéconomiques favorables

La dette infrastructure a t-elle été affectée par la hausse des taux d’intérêt ?

Jean-Francis Dusch, directeur de la gestion en dette d’infrastructure, membre du comité exécutif chez Edmond de Rothschild Asset Management : Nous avons su profiter des opportunités créées par la hausse des taux d’intérêt qui a eu un impact positif certain sur nos activités. Les investisseurs considèrent qu’il est normal qu’en tant que gérant de dettes, nous capturions la hausse des taux d’intérêt. Nous sommes plutôt jugés sur notre capacité à préserver les spreads (ou écarts de crédit). Pour justifier de conserver des marges de crédit élevées et en ligne avec les promesses faites envers nos investisseurs, nous avons exploité notre position d’arrangeur de dette pour créer des solutions de financement qui soient pérennes avec les emprunteurs, le spread reflétant in fine le risque. Il faut tout de même souligner que les taux d’intérêt ont atteint des niveaux qui ne sont pas incongrus. Nous les avions déjà atteints par le passé notamment lors du lancement de nos premiers fonds spécialisés sur la dette infrastructure. En 2014, des taux d’intérêt sur la dette senior à 4 % voire 6 % étaient fréquents. Nous avons expliqué qu’une partie des surcoûts induits pouvaient être portés par des sous-contractants comme les constructeurs, les exploitants, voire par la diminution des attentes en termes de TRI des investisseurs en fonds propres qui pouvaient également compenser cet effet en capturant l’inflation. 

Nous avons effectivement réussi d’autant plus facilement à trouver des solutions que le contexte d’inflation a contribué à augmenter les revenus sur certains actifs financés. Des taux d’intérêt en hausse combinés à l’inflation ont permis le maintien d’un flux de transactions important. En 2022 et cela devrait être le cas en 2023, nous avons maintenu nos spreads. Ce maintien est également dû à notre forte capacité à sourcer des transactions propriétaires. L’accélération de la transition énergétique s’est traduite par de nombreuses initiatives en Europe afin d’accélérer la neutralité carbone en 2030. Les volumes d’investissement ont augmenté dans ce cadre. Le contexte macroéconomique a finalement été pour nous davantage une opportunité qu’une source de difficultés car nous avons pu élaborer des structures de financement intelligentes qui permettent de respecter un objectif de pérennité des actifs et d’accélérer la transition énergétique.

Benjamin Schmitt, responsable de la dette infrastructure chez DWS : Depuis le début de la guerre en Ukraine, et cela malgré la hausse des taux d’intérêt, nous n’avons pas constaté de ralentissement dans les opportunités d’investissement. Le profil des transactions est toutefois différent. Dans le marché actuel, Il y a désormais peu d’opérations de refinancement opportunistes, ou les emprunteurs recherchent à baisser le coût de la dette comme cela pouvait être le cas dans les années précédentes. Depuis la mi-2022, les refinancements concernent des dettes qui arrivent à maturité ou après une restructuration liée notamment à des opérations de croissance inorganique. Nous constatons sur le marché l’existence de transactions avec des volumes très importants dans des domaines comme les infrastructures digitales (le financement de portefeuilles d’antennes relais téléphoniques par exemple). Les volumes de transactions n’ont pas vraiment diminué dans les infrastructures à la différence des autres actifs réels. 

En ce qui concerne notre portefeuille, sur les 2-3 dernières années, nous avions mis l’accent sur des investissements dans des prêts à taux d’intérêt flottant. Dans la mesure où notre stratégie est généralement flexible en termes de taux flottants et fixes, lorsque les taux d’intérêt étaient négatifs ou nuls, nous avions opté pour des taux flottants dans la perspective qu’une hausse était inéluctable. Par conséquent, la hausse des taux d’intérêt a eu un effet bénéfique sur le rendement de notre portefeuille actuel. Mais effectivement, la performance d’un gérant de crédit doit être évaluée en fonction de la marge moyenne de crédit du portefeuille, qui rémunère le risque de crédit des investissements. Nous avons aussi l’impression que les banques sont également moins actives depuis la fin 2022, ce qui offre plus d’opportunités aux gérants d’actifs de dette infrastructure.

Le comportement des « equity infra » a-t-il été similaire à celui de la dette infra ?

Emmanuel Vivant, managing director chez Igneo Infrastructure Partners, au sein du groupe First Sentier Investors : D’un point de vue académique, l’impact de la hausse des taux d’intérêt devrait être négatif car elle pèse sur les taux d’actualisation et sur le coût de refinancement, mais en pratique l’impact a été beaucoup plus nuancé. En effet, nous constatons toujours un grand appétit des investisseurs pour la classe d’actifs. Les levées de fonds en 2022 ont atteint à nouveau des records, et la demande pour des actifs de qualité reste donc forte. En ce qui concerne les sorties que nous avons réalisées, elles nous ont toujours permis d’obtenir des gains substantiels par rapport aux valeurs nettes auxquelles les actifs étaient dans nos comptes, y compris fin 2022. Nous pensons que cela sera encore le cas pour les cessions que nous préparons en 2023. 

Par ailleurs, nous avions anticipé la hausse des taux d’intérêt car celle-ci était pressentie depuis déjà plus d’un an. Nous avons sécurisé une grosse partie du coût de notre dette en levant plus de 8,5 milliards en 2022. Nous avons continué à réaliser des refinancements jusqu’à la fin 2022. En novembre 2022, nous avons mené l’un de nos plus gros refinancements à savoir 2,3 milliards d’euros pour Finerge, notre plateforme dans les énergies renouvelables en Ibérie. Mais nous avions déjà négocié et bloqué les taux d’intérêt avant l’été, ce qui nous a permis de bénéficier de conditions encore attractives. Par ailleurs, les taux d’intérêt sont certes plus élevés dans une perspective de court terme, mais dans une perspective de long terme, leur niveau reste mesuré et inférieur à ce qu’il était avant 2007-2008. Nos modèles anticipaient une normalisation à long terme. Enfin, il y a une corrélation forte entre les taux d’intérêt et l’inflation, or notre portefeuille est en moyenne bénéficiaire du fait de l’inflation, ce qui nous procure une couverture naturelle.

Ingrid Edmund, gérante de fonds senior chez Columbia Threadneedle : Nous constatons aussi que l’appétit des investisseurs pour les infrastructures reste très élevé. L’an dernier, 162 milliards d’euros ont été levés au niveau mondial. Les investisseurs considèrent cette classe d’actifs comme apportant une couverture contre l’inflation et s’y intéressent à ce titre. 

En ce qui concerne notre portefeuille, la performance a été résiliente. Les valorisations sont restées relativement stables. La plupart de nos actifs ont en effet la capacité d’ajuster leurs flux de trésorerie vis-à-vis de l’inflation. Toutefois, pour certains d’entre eux, il existe un décalage temporel dans cet ajustement. A titre d’exemple, nous avons investi dans une compagnie de ferries.Cette dernière a pu ajuster rapidement ses tarifs dans le cadre du fret ; en revanche, en ce qui concerne les tarifs passagers, un décalage a pu être constaté car les billets des particuliers sont vendus très en avance. La plupart de nos actifs sont financés à travers de la dette à moyen voire à long terme. Ils bénéficient ainsi encore de bonnes conditions financières. Les refinancements se font certes à un coût supérieur, mais l’impact de la hausse des taux d’intérêt est lissé dans le temps, tandis que les revenus augmentent du fait de l’inflation.

Jean-Francis Dusch

Directeur de la gestion en dette d’infrastructure et membre du comité exécutif chez Edmond de Rothschild Asset Management

« Le contexte macroéconomique a finalement été pour nous davantage une opportunité qu’une source de difficultés. »

Parcours

Jean-Francis Dusch est Basé à Londres depuis 1998, il a rejoint Edmond de Rothschild en 2004 au sein du département infrastructure, real assets & structured finance. Il possède 30 ans d’expérience dans le domaine du financement de projets d’infrastructures. Il a contribué au développement réussi de l’activité de conseil financier en project finance et de structuration de fonds de capital investissement. Ces multiples expériences ont contribué à la création de la plateforme de dette d’infrastructure d’Edmond de Rothschild Asset Management, Benjamin de Rothschild Infrastructure Debt Generation, en 2014. Jean-Francis Dusch est diplômé de l’Ecole supérieure de commerce de Paris et de l’Université de Droit de Paris II.

Chiffres clés

  • Effectifs dans l’expertise : 15 professionnels
  • Encours sous gestion dans l’expertise : 5,1 milliards d’euros
  • Historique de performance d’un des fonds phares : 250 points de base + taux de base pour la dette senior ; 550 points de base + taux de base pour la dette yield plus
  • Philosophie d’investissement : la stratégie offre aux investisseurs la possibilité de bénéficier des revenus générés par une sélection d’investissements dans des actifs d’infrastructure, senior et yield plus. L’équipe a été parmi les premières à financer des actifs d’infrastructure dans des secteurs tels que la mobilité verte, les infrastructures sociales, l’efficacité et la transition énergétique, ou encore les infrastructures digitales.

Les investisseurs institutionnels considèrent parfois que l’ajustement des actifs non cotés aux nouvelles conditions de marché tarde à se mettre en place et attendent de ce fait avant de renforcer leurs allocations. Est-ce votre cas chez Allianz France ?

Martine Legendre Kaloustian, responsable des investissements alternatifs chez Allianz France : D’après nous, il faut distinguer entre la dette infrastructure et l’equity. En ce qui concerne l’equity, en effet, la hausse des taux d’intérêt est d’une part défavorable à l’actualisation des flux de trésorerie, mais d’autre part, elle est généralement compensée par un accroissement des flux de trésorerie qui sont majoritairement indexés sur l’inflation. Cela étant, il faut analyser dans le détail la façon dont les acteurs répercutent l’inflation dans les prix de vente. De même, il faut prendre en compte la structure de la dette. Mais pour l’essentiel, celle-ci est à taux d’intérêt fixes. Par conséquent, l’impact est relatif. En revanche, l’impact de la hausse des taux d’intérêt est beaucoup plus important sur les fonds de dette, en particulier sur les lignes souscrites à taux d’intérêt fixes. Les assureurs recherchant de la duration, ils ont tendance à privilégier ce type de structure à taux fixes. Les portefeuilles avec des échéances longues sont ceux qui sont les plus impactés négativement par la hausse des taux d’intérêt. Certes, les niveaux de taux d’intérêt restent raisonnables, mais la hausse a été très rapide sur les 12 derniers mois. Les valorisations ont perdu 25 % entre le pic et le creux. C’est assez inhabituel une telle baisse sur une courte période, même si depuis, les niveaux de valorisation se sont améliorés.

Jean-Francis Dusch : Nous avions, comme indiqué précédemment, intégré avant la hausse des taux d’intérêt des opérations à taux flottants. Celles-ci ont donc vu leur valorisation progresser. En ce qui concerne les taux d’intérêt fixes, les méthodes de comptabilisation peuvent différer entre les assureurs, les différents investisseurs institutionnels et les gérants de fonds. La comptabilisation en « mark-to-market » telle qu’elle nous est imposée par le régulateur a entraîné une baisse des valorisations sur certains titres investis quand les taux étaient bas (nous avons toujours obtenu un plancher à zéro). Mais nos investisseurs comprennent que cela ne reflète pas une dégradation de la performance et de la qualité de crédit de nos actifs. Nous pouvons aussi appliquer une valorisation en coût historique (amorti) et celle-ci, si l’on prend un raccourci, ne varie pas tant qu’il n’y a pas d’événement de crédit. Enfin, notons que l’ampleur des baisses de valorisation dépend aussi de la maturité et duration des titres. Nos portefeuilles affichent une duration de l’ordre de huit à neuf ans y compris sur de la dette senior qui peut être moindre que d’autres acteurs. Nous avons ainsi enregistré des baisses de valorisation de l’ordre de 4 à 5 %, ce qui est déjà beaucoup mais moins que les 25 % annoncés par des concurrents et, de nouveau, juste en appliquant le « mark-to-market ». Nous avons communiqué à ce sujet auprès des investisseurs.

Benjamin Schmitt : Une des façons de limiter la hausse des taux d’intérêt est de se positionner sur des opérations de dette à taux flottants de manière à gérer le risque de duration du portefeuille. Si l’investisseur ne cherche pas à revendre sa position, l’impact en valorisation des prêts à taux fixe reste purement comptable. Cela dit, la bonne gestion du risque de duration doit également être considérée comme un facteur de performance d’un gérant de dette infrastructure.

Martine Legendre Kaloustian : Les assureurs utilisent forcément une comptabilité en prix de marché. Nous comprenons l’argumentaire développé, mais nous ne pouvons ignorer l’environnement normatif des assureurs. Nos investissements possèdent une duration longue, par conséquent, les baisses de valorisation constatées ont été conséquentes.

Ingrid Edmund : En ce qui nous concerne, les nouveaux financements se font à taux d’intérêt variables. En revanche, lorsque nous nous adressons à des banques, il faut couvrir les opérations, ce qui revient à pratiquer un taux d’intérêt fixe. Cela revient à souscrire à des prêts à 6 %, 7 % voire 8 % sur longue période, ce qui est loin d’être idéal. Les gérants equity rencontrent, comme les gérants de dette, des difficultés, mais elles sont différentes.

Emmanuel Vivant : En ce qui nous concerne, 80 % de notre volume de dettes est à taux fixe avec une maturité résiduelle supérieure à cinq ans.

Emmanuel Vivant

Managing director chez Igneo Infrastructure Partners, au sein du groupe First Sentier Investors

« Les levées de fonds en 2022 ont atteint à nouveau des records : la demande pour des actifs de qualité reste donc forte. »

Parcours 

Depuis avril 2022, Emmanuel Vivant managing director chez Igneo Infrastructure Partners, au sein du groupe First Sentier Investors, en charge d’Enfinium (Energy-from-Waste au Royaume-Uni) et d’Evos (terminaux portuaires dans les grands ports européens). Il couvre également l’origination en France et en Europe centrale. Auparavant, il a été le directeur général adjoint du groupe Saur, en charge de l’international ainsi que président-directeur général de RATP Dev Transdev Asia, ou encore directeur général de Hong Kong Tramways. Il a collaboré au siège de Veolia Transport, puis en Asie (Pékin, Séoul). Emmanuel Vivant est également conseiller du commerce extérieur de la France depuis 2011. Il est diplômé de l’Ecole polytechnique et de l’Ecole des ponts et chaussées.

Chiffres clés

  • Effectifs dans l’expertise : 100
  • Encours dans l’expertise : 15 milliards d’euros, dont plus de 9 milliards d’euros en Europe dans le cadre de fonds d’infrastructure européens diversifiés. Igneo investit exclusivement via des prises de participation directes en infrastructure (100 % du portefeuille).
  • La philosophie d’investissement en quelques mots : Igneo investit via des prises de participation directes dans des secteurs traditionnels de l’infrastructure (énergie, transports, environnement, télécoms) sur lesquels la société de gestion dispose d’une expérience reconnue de plus de 25 ans, dans le cadre d’une stratégie de « buy-and-hold » diversifiée. Elle crée de la valeur sur le long terme, via une implication stratégique et opérationnelle auprès des entreprises dans lesquelles elle possède une participation de contrôle (ou de co-contrôle) et à travers l’application de principes ESG dont elle a la conviction qu’ils sont des vecteurs de valeur durable.

Anticipez-vous un développement d’opérations en secondaire ?

Jean-Francis Dusch : Nous nous engageons sur des durées d’investissement longues et nos investisseurs sont disposés à nous suivre et à bloquer leurs fonds. Par ailleurs, il est vrai que nous constatons une hausse des opportunités d’investissement en secondaire, les banques souhaitant céder des portefeuilles. Ce type d’opérations ne nous intéresse pas car nous intervenons principalement sur le marché primaire et en tant qu’arrangeur. Le marché secondaire ne constitue pas une de nos priorités.

Benjamin Schmitt : Dans le cadre des fonds de dette, nous ne constatons pas de cessions de parts de fonds. Le marché n’est pas encore mature dans ce domaine contrairement à celui de l’infrastructure equity où il existe beaucoup de fonds de fonds qui peuvent être amenés à céder des parts. Nous notons aussi que certaines banques cherchent actuellement à repositionner leur portefeuille de prêts dans les infrastructures privées. Elles réduisent notamment leurs expositions sur certains secteurs comme celui de la fibre optique où les transactions ont été nombreuses ces dernières années et pour lesquelles, elles n’ont pas toujours atteint les niveaux de performances escomptés. Nous ne sommes pas très actifs sur le marché secondaire, puisque nous préférons le marché primaire et structurons la dette en direct avec les emprunteurs.

Ingrid Edmund : Il y a beaucoup d’activités secondaires dans le cadre des fonds de fonds. Il s’agit d’un segment différent de ce que nous faisons. Nous intervenons uniquement sur des financements en direct.

Emmanuel Vivant : Nous avons le même positionnement sur le marché. Il est vrai que nous entendons de plus en plus parler d’activités en secondaire dans le cadre des fonds de fonds.

Tous les actifs infrastructures apportent-ils une protection contre l’inflation ?

Emmanuel Vivant : Certains actifs bénéficient directement de l’inflation comme les actifs énergétiques. A titre d’exemple, un des actifs dont j’ai la charge, à savoir Enfinium au Royaume-Uni, transforme des déchets en énergie, il bénéficie donc de la hausse des prix de l’énergie, et dans une moindre mesure de l’indexation des contrats de fourniture des déchets. La plupart de nos actifs non énergétiques sont protégés contre l’inflation contractuellement ou réglementairement, ils sont donc couverts, même s’ils n’en bénéficient pas à strictement parler. Enfin, une petite part de notre portefeuille est exposée commercialement à l’inflation. L’enjeu est de parvenir à refléter l’inflation dans les prix d’un point de vue commercial, et tout en prenant en compte dans certains cas l’acceptabilité sociale de ce type d’augmentation. Au global à l’échelle du portefeuille, l’impact de l’inflation est positif.

Ingrid Edmund : L’indexation des actifs à l’inflation peut en effet être variable. Elle dépend des arrangements contractuels et de la capacité des entreprises à imposer leurs prix. Nous avons par exemple investi dans un centre de données qui est impacté par la hausse des prix de l’énergie. De notre point de vue, il est primordial de disposer d’un portefeuille bien équilibré en termes d’exposition, bien diversifié car il existe parfois des décalages dans l’ajustement des prix à l’inflation. La diversification permet de réduire l’impact du cycle économique et des variables macroéconomiques sur les revenus générés par les actifs.

Ingrid Edmund

Gérante de fonds senior chez Columbia Threadneedle 

« L’indexation des actifs à l’inflation peut être variable. Elle dépend des arrangements contractuels et de la capacité des entreprises à imposer leurs prix. »

Parcours

Ingrid Edmund est gérante de portefeuille senior au sein de l’équipe dédiée aux investissements dans les infrastructures. Elle est responsable de la gestion des portefeuilles mondiaux d’infrastructures, y compris de la stratégie european sustainable infrastructure. Elle possède 15 ans d’expérience dans l’investissement, le financement, la stratégie et les levées de fonds dans le domaine des infrastructures. Ingrid est titulaire d’un BSc en économie mathématique de l’Académie d’études économiques de Bucarest et d’un MSc (obtenu avec mention) en finance, économie et économétrie de la Cass Business School, à Londres.

Chiffres clés

  • Effectifs dans l’expertise : 7 personnes
  • Encours dans l’expertise : le fonds Columbia Threadneedle European Sustainable Infrastructure, avec des encours de 291 millions d’euros, représente 2,04 % des encours en produits alternatifs de Columbia Threadneedle en Europe continentale. Les encours en produits alternatifs mondiaux de Columbia Threadneedle s’élèvent à 48 milliards d’euros, au 31 décembre 2022.
  • Historique de performance sur un des fonds phare : le fonds Columbia Threadneedle European Sustainable Infrastructure affiche un rendement de 25,6 %, à date du 31 décembre 2022, le fonds ayant été lancé le 6 mars 2020.
  • Philosophie d’investissement en quelques mots : le fonds Columbia Threadneedle European Sustainable Infrastructure est un fonds ouvert qui investit dans des actifs d’infrastructure de qualité élevée et durable en Europe. Le fonds a pour stratégie d’acquérir et de gérer activement ses actifs sur le long terme, avec pour objectif de générer des rendements stables et diversifiés, peu exposés à l’inflation.

Cette capacité à protéger les portefeuilles contre l’inflation pousse-t-elle d’autres types de clientèle, comme les particuliers, à s’intéresser aux infrastructures ?

Jean-Francis Dusch : Nous avons levé à fin 2022 quelque 2,5 milliards d’euros dans le cadre de notre cinquième millésime et l’essentiel de notre clientèle soit 95 % est institutionnelle et comprend environ 70 % d’assureurs. Nous constatons un appétit de la clientèle privée pour ce type d’actifs notamment dans le cadre d’une stratégie responsable. Mais il faut pouvoir proposer des stratégies avec des durations plus courtes sur des actifs juniors à ce type de clientèle. En ce qui concerne la clientèle de distribution, cette dernière réclame des mécanismes dans les fonds qui permettent d’assurer une certaine forme de liquidité. Nous regardons ces sujets avec intérêt.

Martine Legendre Kaloustian : Nous proposons depuis plusieurs années des unités de compte (UC) investies sur des infrastructures en equity et également sur un sous-segment de la dette finançant les énergies renouvelables. Il y a un fort appétit des épargnants pour ce type de thématique. Il est ainsi possible de proposer de la dette dite « bridge » qui offre des échéances relativement courtes et permet notamment d’accompagner financièrement les développeurs de fermes éoliennes et solaires. 

En ce qui concerne l’equity infra, ce type d’investissement est aussi intéressant et fait du sens pour les particuliers, mais il est nécessaire de faire de la pédagogie car il s’agit d’une classe d’actifs complexe et à long terme. Il faut dans ce cadre qu’ils acceptent un peu de volatilité dans les performances, même si le rendement attendu in fine est généralement en ligne avec les attentes et attractif. L’expérience montre que ce type d’UC thématiques sur les infrastructures séduit les particuliers, mais il faut avant tout pour cela savoir faire preuve de pédagogie à la souscription, mais aussi lors des reportings et tout au long de la durée de vie des fonds.

Des approches convergentes entre les fonds de dette et d’equity

Vous évoquez les énergies renouvelables, quels types de projets sont financés dans les fonds de dette et d’equity ? La définition des infrastructures est-elle variable d’un acteur à un autre ?

Martine Legendre Kaloustian : La gestion de l’ensemble des actifs non cotés, à l’exception de l’immobilier, est logée dans le même département. En termes d’actifs sous gestion, cela représente environ 8 à 9 milliards d’euros d’encours en estimant les actifs à leur valeur nette et en incluant la partie non encore appelée par les fonds. Les infrastructures et les énergies renouvelables représentent à peu près la moitié de nos investissements réalisés. 

Dans ce cadre, nous sélectionnons les projets d’infrastructure en nous appuyant sur une approche qui relève du business model. Il s’agit alors de distinguer les infrastructures cœur (core), cœur plus, à valeur ajoutée (value added) et allant jusqu’au capital investissement. Il est possible aussi de distinguer les infrastructures avec un risque de construction (greenfield) de celles sans risque de construction (brownfield). Le prisme sectoriel peut aussi nous permettre de catégoriser les infrastructures. Ces dernières doivent enfin présenter des caractéristiques spécifiques comme notamment la récurrence et la prévisibilité des revenus, une certaine résilience avec des actifs réels essentiels basés sur des barrières à l’entrée. En ce qui nous concerne, les énergies renouvelables sont considérées comme une classe d’actifs à part entière et non pas comme un sous-segment des infrastructures, à la différence de la plupart des gérants, compte tenu de leur nature propre. En effet, ces investissements ne présentent pas la même charge en capital en modèle interne que les autres catégories d’infrastructure. 

Jean-Francis Dusch : Nous intervenons, en ce qui nous concerne, sur le segment de la dette d’infrastructure depuis 2014, à Londres majoritairement et à Genève avec une équipe d’une quinzaine de professionnels de l’investissement. La majorité de nos fonds est investie sur des dettes seniors, mais nous possédons aussi des fonds en dette junior avec différents niveaux de risque. Nous investissons principalement en Europe et depuis quelques années, nous nous intéressons aussi aux marchés de l’OCDE, dont les Etats-Unis qui seront un axe de développement pour nous en 2023. Forts de cet historique de performance, nous pensons que le débat cœur/cœur plus/valeur ajoutée n’est pas forcément adapté aux gérants de dette d’infrastructure qui s’engagent sur un profil de risque de crédit. Cette distinction concerne davantage les spécialistes de l’equity. Nous intervenons sur tous les secteurs et cherchons à anticiper des tendances. Pour sélectionner les projets sur lesquels nous investissons, nous nous mettons d’accord sur un profil de risque et sur un type de structure financière au sein de l’équipe et avec un pool d’investisseurs. Nous avons toujours eu une définition assez large des infrastructures. Lorsque nous avons lancé la plateforme il y a maintenant huit ans, en plus des projets liés aux transports notamment dans le cadre de partenariats public/privé (PPP), nous savions qu’il fallait être plus ambitieux et être moteurs pour investir dans les énergies renouvelables, les infrastructures digitales, les services publics avec, en point de mire, la transition énergétique. 

En 2022, nous avons encore davantage renforcé nos investissements dans la transition énergétique. Cette dernière pouvant prendre différentes formes : les batteries, l’hydrogène… Nous nous intéressons aussi à la mobilité verte. Nous sommes présents de longue date sur ces sujets puisque nous avions déjà financé il y a quelques années les premiers opérateurs de points de charge. Depuis, les besoins se sont multipliés, il existe une véritable demande dans les domaines qui relèvent d’une problématique de décarbonation. Nous constatons le développement de projets dans les services publics comme le stockage de ressources naturelles ou les réseaux de chaleur. Pour accompagner ce mouvement, il faut faire preuve de pragmatisme et ne pas oublier que la transition énergétique doit s’inscrire dans une dynamique, un mouvement de transformation. Il ne faut pas être dogmatique et ne pas se concentrer uniquement sur un point d’arrivée. Nous avons certes mis en place des exclusions notamment sur le charbon ou sur le nucléaire. Mais il faut aussi apporter des solutions de financement à côté de fonds de capital investissement pour aider les entreprises à réaliser leur transition énergétique. Nous investissons aussi sur les infrastructures sociales, mais avec un prisme d’efficience énergétique avec, pour nos investisseurs, l’opportunité de leur obtenir un peu plus de spreads. En parallèle, nous sommes aussi très engagés et depuis longtemps dans la transition digitale et les télécommunications.

Benjamin Schmitt : Nous investissons dans les infrastructures depuis le milieu des années 1990, d’abord en equity, puis à travers des fonds de dettes depuis 2014. L’équipe spécialisée dans les infrastructures de dette intervient depuis Londres et depuis New York. Nous sommes une douzaine de personnes dans l’équipe de dettes infrastructures. Nous ciblons principalement de la dette senior européenne avec un profil de crédit investment grade. Nous avons lancé plus récemment une stratégie high yield européenne avec la possibilité d’investir sur de la dette junior. Aux Etats-Unis, nous intervenons à travers des fonds CLO (collateralized loan obligation) qui investissent principalement sur des prêts seniors et high yield. Nos encours sous gestion en dette infrastructure ressortent à environ 3 milliards d’euros et au total avec l’equity, l’activité dédiée aux infrastructures représente environ 16 milliards d’euros d’encours. 

Nous possédons une définition stricte, mais dynamique des infrastructures. Les actifs qui relèvent de l’immobilier n’entrent pas dans notre définition, pas plus que ceux qui s’inscrivent dans le capital investissement. Nous nous appuyons sur des critères spécifiques plutôt que sectoriels. Nous avons retenu quatre critères principaux que chaque actif doit remplir pour être sélectionné par nos équipes. Ils relèvent des services essentiels à l’économie et à la société ; un actif doit aussi opérer dans un marché avec des barrières à l’entrée qui sont élevées ; il doit posséder des flux de trésorerie prévisibles ; et enfin être garanti par des actifs tangibles. Il faut qu’un actif remplisse ces quatre critères pour que nous puissions le considérer comme un actif d’infrastructure. 

Cette approche nous permet d’avoir une vision dynamique des infrastructures. Les actifs financés il y a cinq ou six ans ne sont ainsi pas les mêmes que ceux qui nous intéressent aujourd’hui. Récemment, nous avons financé une société de transport de ferries, certes elle intervient dans le secteur traditionnel des transports, mais il s’agit d’actifs en mouvement et non d’actifs fixes comme un port ou un aéroport. Ce sont plutôt des « ponts flottants ». Dans le secteur de la transition énergétique, nous nous intéressons en ce moment à une société qui permet de financer des panneaux solaires installés sur les toits des particuliers ainsi que d’autres équipements comme des batteries et des chargeurs électriques pour les véhicules de particuliers. Cette société bénéfice de contrats à long terme avec des particuliers qui permettent de financer ces activités en leasing. Ce type d’opportunités n’existait pas forcément il y a cinq ou six ans, mais elles satisfont les quatre conditions mentionnées. Par ailleurs, nous ciblons de plus en plus des actifs avec un prisme durable. Le prochain fonds que nous allons lever est ciblé uniquement sur des infrastructures durables, c’est-à-dire des actifs qui fournissent soit un bénéfice clair par rapport à l’environnement comme ceux liés à l’efficacité énergétique ou à la mobilité verte, soit un bénéfice social. Nous allons par exemple investir dans une compagnie qui loue des équipements roulants destinés au fret. Nous nous intéressons aussi aux infrastructures digitales et aux infrastructures sociales comme dans le domaine de la santé. Nous souhaitons continuer à faire évoluer notre définition des infrastructures et à financer des actifs qui sont primordiaux pour la société sur le long terme.

Emmanuel Vivant : Nous intervenons dans le financement en direct des infrastructures. Nos encours ressortent à environ 16 milliards d’euros dans trois géographies : l’Amérique du Nord, l’Australasie et l’Europe. Cette dernière représente notre principal marché avec 9 milliards d’euros d’encours et est couverte par une équipe de 45 personnes à Londres. Au total, nous disposons d’une centaine de collaborateurs spécialisés dans les infrastructures. Lorsque nous investissons, nous prenons toujours des parts de contrôle au capital des sociétés ou de co-contrôle pour pouvoir intervenir activement dans la gestion des actifs, avec une vision à long terme. Notre définition est similaire à celle que vient d’exposer Benjamin avec les quatre caractéristiques clés que nous considérons aussi comme essentielles. 

En termes de stratégies sectorielles, nous investissons dans l’énergie, et nous sommes notamment un gros opérateur dans les énergies renouvelables en Ibérie et en Europe de l’Est. Nous sommes aussi très présents dans les transports, l’environnement et les télécommunications. Nous n’investissons pas dans les infrastructures sociales. Nos stratégies possèdent un angle ESG fort : nous inscrivons nos investissements dans une optique d’amélioration, que nous pensons être plus efficaces que les stratégies d’exclusion. Nos investissements se situent dans le mid-market, c’est-à-dire avec des tickets d’entrée qui sont compris entre 100 millions et un milliard, la moyenne se situant entre 300 et 500 millions d’euros. Nos stratégies s’inscrivent toujours dans le long terme avec une logique de portage (buy & hold), même si nos fonds possèdent une durée de vie de 15 ans.

Ingrid Edmund : Nos investissements sont réalisés en equity via notre fonds européen perpétuel (open-ended) qui investit dans le cadre d’une stratégie de mid-market. Nous sommes présents sur cette classe d’actifs depuis trois ans. Nous pouvons constater à travers ce débat que les définitions retenues par les gérants afin de caractériser les infrastructures sont finalement relativement similaires, même si notre approche du mid-market est légèrement inférieure car nos tickets d’investissement sont compris entre 30 millions et 100 millions d’euros. Dans la mesure où nous possédons un fonds perpétuel, nous nous intéressons à la soutenabilité de nos investissements qui doivent s’inscrire dans une optique de long terme. Le thème de la transition est également important pour nous, pas seulement la transition énergétique, mais également la décarbonation des actifs dans les transports ou encore dans le social. Notre portefeuille est diversifié, nous privilégions dans ce cadre les actifs avec une forte résilience économique et un intérêt vital pour la société.

Benjamin Schmitt

Responsable de la dette infrastructure chez DWS

« Nous avons l’impression que les banques sont moins actives depuis la fin 2022, ce qui offre plus d’opportunités aux gérants d’actifs de dette infrastructure. »

Parcours

Benjamin Schmitt a rejoint DWS en 2014. Auparavant, il a travaillé sur des financements de projets et d’acquisitions dans les secteurs de l’énergie et des transports chez Intesa Sanpaolo. Il a également été responsable de la création et de l’exécution d’opportunités d’investissement PPP-PFI au Royaume-Uni chez Morgan Sindall Investments ainsi qu’analyste de fonds spéculatifs pour les solutions de fonds structurés chez Lyxor Asset Management. Benjamin a débuté sa carrière dans les financements structurés immobiliers à la Société Générale. Il est titulaire d’un master en management (« Diplôme grande école ») de l’Edhec Business School.

Chiffres clés

  • Effectifs dans l’expertise : 12
  • Encours dans l’expertise : 27,2 milliards d’euros au 30/09/2022, soit 21 % des encours totaux en investments alternatifs.
  • Historique de performance sur un des fonds phare : Global Infrastructure Debt Fund I (dette senior, investment grade/2018 vintage) : 3,61 % rendement brut maturité au 31/12/2022, la marge de crédit moyenne du portefeuille est de 219 points de base au-dessus de l’Euribor.
  • Philosophie d’investissement en quelques mots : politique d’investissement centrée sur les opportunités mid-cap, les infrastructures durables et core/core plus avec pour objectif de maximiser la prime de liquidité et/ou la complexité par rapport aux obligations d’entreprise cotées.

Les infrastructures sociales semblent délaissées par les gérants, pour quelles raisons ? De même, vous citez peu d’opérations dans les grandes infrastructures que sont les ports ou les aéroports.

Emmanuel Vivant : En matière d’infrastructures sociales, le positionnement peut être très différent selon les gérants. En ce qui nous concerne, nous n’en faisons pas. Nous investissons en revanche dans les aéroports et les ports. Nous possédons des aéroports en Australie. A titre personnel, je m’occupe également des terminaux portuaires dans la zone Amsterdam-Rotterdam-Anvers, en Allemagne ou encore en Méditerranée.

Ingrid Edmund : Les opportunités dans le domaine social sont plus limitées que dans le domaine économique ou énergétique. Nous sommes présents dans la santé, dans les hôpitaux. Il y avait davantage d’opérations dans les infrastructures sociales lorsque les PPP étaient nombreux en Europe.

La guerre en Ukraine a-t-elle eu un impact sur la façon dont vous appréhendez la classe d’actifs ?

Emmanuel Vivant : Nous observons un changement dans les priorités dans le cadre du trilemme entre l’impact environnemental, le prix (« affordability ») et la sécurité d’approvisionnement. Les prix élevés de l’énergie cumulés à des difficultés d’approvisionnement depuis le début de la guerre ont conduit à remettre l’accent sur ces deux thèmes qui étaient passés au second plan dans les années précédentes. Ils prennent maintenant une part égale par rapport au sujet de l’empreinte carbone. Les investissements que nous réalisons dans l’énergie sont favorables à ces trois dimensions. Lorsque nous investissons dans les énergies renouvelables, nous contribuons à augmenter l’autonomie stratégique et à réduire à terme les prix. Les terminaux maritimes évoqués précédemment, qui importent et exportent des produits énergétiques, ont vu leur importance renforcée. Ils sont à nouveau perçus comme des acteurs critiques dans la chaîne d’approvisionnement du continent européen.

Martine Legendre Kaloustian

Responsable des investissements alternatifs chez Allianz France

« Les UC thématiques sur les infrastructures séduisent les particuliers. Pour les servir, il faut faire preuve de pédagogie à la souscription, mais aussi lors des reportings et tout au long de la durée de vie des fonds. »

Parcours

Martine Legendre Kaloustian collabore depuis plus de 16 ans à l’activité investissements alternatifs chez Allianz France, le périmètre couvert comprenant le capital investissement, la dette privée, la dette infrastructure et les infrastructures en equity, l’énergie renouvelable et les forêts. Au préalable, elle a travaillé durant six années au sein du hub Allianz Risk Transfer, entité dédiée aux solutions alternatives de transfert de risque lorsque les marchés traditionnels sont inefficients ainsi que dans le domaine du rehaussement de crédit et dans la souscription de risques assurantiels pour les établissements financiers. Avant de rejoindre le groupe Allianz, Martine a passé 10 ans au Crédit Foncier de France au sein du service des professionnels dédié aux crédits immobiliers. Elle a commencé sa carrière à la Banque de France où elle a été en charge durant cinq ans de l’analyse financière des sociétés adhérentes à la centrale de bilans.

Chiffres clés

  • Effectifs dans l’expertise : une personne dédiée dans l’équipe.
  • Encours dans l’expertise : Infra Equity : 600 millions d’euros, soit 1 % des encours totaux ; infra debt : 1,9 milliard d’euros, soit environ 2,9 % des encours totaux ; énergies renouvelables : 560 millions d’euros, soit environ 0,9 % des encours totaux.
  • Historique de performance sur un des fonds phare : nous ne pouvons pas communiquer sur ce type d’information confidentielle et mouvante. Le groupe a investi à titre d’exemple dans Swift II avec Swen qui cible le financement de la production et de la distribution de biogaz en Europe, notamment via des méthaniseurs. Cet investissement répond à un enjeu clé de souveraineté énergétique et témoigne de la capacité du groupe à allier transition énergétique et rendement.
  • Philosophie d’investissement en quelques mots : insuffler une dynamique d’investissement dans la transition énergétique, en ligne avec l’ambition d’Allianz dans la thématique, démontrée par son engagement dans la Net Asset Owner Alliance, tout en continuant d’investir dans les secteurs clés en infrastructure.

Les infrastructures se prêtent-elles plus facilement à élaborer des fonds compatibles avec l’article 9 du règlement SFDR ?

Martine Legendre Kaloustian : Il existe des thématiques – comme les fonds sur le biogaz ou l’hydrogène ou plus généralement sur les énergies renouvelables – qui par essence s’inscrivent naturellement dans l’article 9 du règlement SFDR. Nous apprécions ce type d’actifs ou de business model. En ce qui concerne les infrastructures traditionnelles comme pour le capital investissement, les gérants avancent pas à pas. Les gérants et le management des sociétés mettent en place progressivement des indicateurs clés à suivre. Ils ont commencé par identifier ces indicateurs avant de définir des objectifs à atteindre et de réaliser des reportings. Ces tendances sont partagées sur le marché, même si elles ne sont pas faciles à mettre en œuvre. 

Les investisseurs privilégient de plus en plus les fonds qui relèvent des articles 8 et 9 du règlement SFDR. Toutefois, il existe encore des fonds qui relèvent de l’article 6 notamment dans le cadre du capital investissement car les gérants ne disposent pas de toute l’information nécessaire et/ou estiment qu’ils ont besoin encore de temps pour répondre aux critères alors qu’ils ne souhaitent pas se mettre en risque vis-à-vis de la réglementation ; les initiatives récentes de reclassification par les gérants sont une illustration de ce type de risque. Nous pouvons rester investis dans ce type de fonds dans la mesure où les gérants ont déjà engagé des démarches pour faire évoluer leur stratégie d’investissement dans l’esprit recherché par cette réglementation qui, par-delà son objectif de transparence, vise à diriger les capitaux vers des activités durables. Toutefois, nos nouveaux investissements dans des fonds article 6 deviennent extrêmement rares. En effet, nous sommes engagés dans l’initiative « Net-Zero Asset Owner Alliance » qui vise à atteindre l’objectif de neutralité carbone à horizon 2050. De ce fait, nous intégrons de longue date une logique d’exclusion de plus en plus forte des modèles reposant sur le charbon. C’est davantage dans ce schéma que nous nous situons concernant cette catégorie de fonds.

Emmanuel Vivant : Tous nos fonds sont article 8, nous n’avons pas de fonds article 9. Notre philosophie ESG est très pragmatique. Nous nous appuyons sur cinq critères pour tous nos investissements. Ils portent sur la santé/sécurité, sur l’environnement avec des objectifs de neutralité carbone avant 2050 pour tous nos actifs (et surtout une trajectoire qui doit être définie concrètement), la diversité, les standards en termes de gouvernance et enfin la satisfaction des employés. Ces cinq critères sont systématiquement déployés. 

Nous développons par ailleurs une stratégique ESG spécifique à chaque actif et à son domaine. Nous ne nous situons pas dans une logique d’exclusion, mais d’amélioration – que nous le voulions ou non le fonctionnement moderne de nos sociétés s’est construit sur les énergies fossiles – et la transition vers un nouveau modèle ne peut pas se faire du jour au lendemain. L’enjeu pour nous est d’être le meilleur actionnaire dans chacun de nos actifs pour accompagner cette transition. Nous investissons donc dans des actifs qui reposent encore sur des énergies fossiles, mais avec un objectif d’accélération de la transition. 

A titre d’exemple, nous possédons avec la ville de Mannheim un actif qui s’appelle MVV qui est l’un des plus gros énergéticiens en Allemagne. Il distribue l’énergie, la chaleur, le gaz, l’eau dans la ville de Mannheim et dans d’autres villes moyennes en Allemagne. Historiquement, dans ce pays, une grande partie des réseaux de chaleur repose sur le charbon. Lorsque nous avons investi sur cet actif, la trajectoire de décarbonation consistait à sortir du charbon entre 2035 et 2038. Nous avons travaillé avec notre partenaire pour accélérer et être totalement sorti en 2029 en remplaçant notamment le charbon par des pompes à chaleur collectives. Nous avons installé la première pompe à chaleur en Europe qui utilise une rivière comme source de chaleur, et développons activement la géothermie. Cette transformation est positive d’un point de vue environnemental et diminue aussi le risque de notre investissement. Elle augmente son autonomie stratégique et réduit son exposition à des fluctuations sur le marché du gaz ou du charbon. Cela rend aussi l’actif plus facilement finançable. 

Autre exemple, en France, nous possédons une société qui s’appelle Coriance et qui gère des réseaux de chaleur dans l’Hexagone où une grande partie des réseaux de chaleur repose sur le gaz naturel. Lorsque nous avons acquis cette société en 2016, le mix énergétique comprenait 45 % d’énergie fossile et 55 % de renouvelable. Nous avons aidé la société à investir massivement dans les sources renouvelables, en l’occurrence dans la biomasse. Aujourd’hui, le business model de Coriance repose sur 69 % de renouvelable. Elle est devenue à ce titre la société de réseaux de chaleur la plus décarbonée de France.

Ingrid Edmund : Notre fonds est article 8. Nous intégrons des exclusions par rapport aux énergies fossiles et au nucléaire. Pour le reste, nous prenons en compte des critères ESG et recherchons des actifs qui ont un impact positif sur le social ou l’environnement. Nous avons par exemple investi dans un centre de données qui est neutre en carbone ou encore dans une compagnie de ferries. Nous collaborons pour cette dernière avec l’équipe dirigeante afin d’améliorer l’efficacité énergétique. Nous faisons partie d’un consortium qui utilise des projets pilotes afin de tester des innovations technologiques dans le cadre des transports maritimes. Nous ne pouvons pas électrifier intégralement les ferries compte tenu des distances parcourues. Nous allons avancer progressivement, en attendant, le service qu’ils proposent est indispensable pour les Iles anglo-normandes qui dépendent intégralement du commerce maritime pour se fournir en biens de consommation courante.

Jean-Francis Dusch : Les fonds de notre précédent millésime relevaient déjà de l’article 8. Nous avons lancé dès 2018 un fonds de dettes seniors avec le label Greenfin afin d’estimer les contraintes induites en matière d’investissement et de reporting dans la perspective de l’entrée en vigueur du règlement SFDR et de la taxonomie européenne. Dans le cadre du nouveau millésime que nous sommes en train de lancer, les fonds sont article 8. Nous sommes prudents par rapport à l’article 9. Nous considérons qu’il est plus opportun de réaliser des fonds dédiés qui soient compatibles avec l’article 9. 

En matière d’intégration ESG, depuis cinq ans, nous mesurons les impacts et détaillons nos processus et le suivi de chaque actif. Nous utilisons des auditeurs et des consultants indépendants afin de mesurer les émissions de CO2 évitées et l’alignement avec la trajectoire 2050 de réduction du réchauffement climatique. Nous avions aussi anticipé les demandes de reporting des investisseurs avant la publication de SFDR et ce travail n’est pas des moindres.

Benjamin Schmitt : Tous nos fonds de dettes infrastructures en Europe sont classés dans la catégorie article 8. Nous avons beaucoup débattu en interne à propos de la classification de nos fonds en article 8 ou en article 9. Finalement, nous avons opté pour l’article 8 afin de conserver une forte diversification des portefeuilles. Cependant, en plus de l’intégration ESG, nous avons ajouté un objectif d’alignement avec la taxonomie européenne pour le dernier fonds que nous avons lancé. Nous avons essayé de trouver un équilibre entre la diversification et la génération de l’impact, tout en conservant un cahier des charges relativement flexible afin de sourcer de nouveaux investissements présentant le meilleur couple rendement/risque. Nous constatons par ailleurs de la demande de la part d’investisseurs pour des produits article 9, nous avons des discussions à ce sujet, mais il nous semble plus pertinent d’entretenir ces discussions dans le cadre des fonds dédiés pour lesquels des stratégies concentrées sur quelques secteurs sont peut-être plus pertinentes.

Ingrid Edmund : Il est difficile d’élaborer un fonds diversifié dans les infrastructures dans le cadre de l’article 9. Les investisseurs sélectionnent des fonds diversifiés et s’intéressent aussi en parallèle à des fonds thématiques sur la transition énergétique dans le domaine des infrastructures qui sont compatibles avec l’article 9. 

En bref

La hausse des taux d’intérêt, entamée en 2022, a réduit à court terme l’intérêt des investisseurs institutionnels pour les actifs réels, à l’exception des fonds investis sur le thème des infrastructures.Qu’il s’agisse de fonds de dette ou de fonds d’equity, l’appétit des investisseurs institutionnels reste entier pour cette classe d’actifs, tandis que de nouvelles clientèles, comme la gestion privée ou les particuliers, commencent à la considérer à travers, notamment, des unités de compte. Après avoir analysé le comportement de la classe d’actifs et ses propriétés, les participants au grand débat du magazine Option Finance ont détaillé la façon dont ils se sont adaptés au nouveau contexte de marché, puis ils ont chacun développé leur propre approche. S’ils se retrouvent sur des notions clefs qui leur permettent de définir les infrastructures et s’ils intègrent maintenant, de façon systémique, les critères extra-financiers, tous insistent sur la nécessité de posséder une vision flexible des infrastructures afin de saisir les nouvelles opportunités de marché et donc de se différencier.

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