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Les financiers s'organisent pour les vacances

Publié le 24 juillet 2015 à 9h13    Mis à jour le 24 juillet 2015 à 17h57

Audrey Spy et Sandra Sebag

Même s’ils s’affichent relativement peu inquiets pour cet été, les professionnels de la finance ont tiré les leçons en termes d’organisation, des différentes crises qu’ils ont connues ces dernières années. Du côté des directeurs financiers, la période des congés ne sera pas synonyme de relâchement, en raison notamment d’un renforcement de leurs carnets de commandes, qui pourrait peser sur leur trésorerie. Les investisseurs et les gérants vont, quant à eux, rester attentifs à la volatilité des marchés, puisque même si le risque grec semble s’éloigner, de nouveaux sujets d’inquiétude ne sont pas à exclure.

Jusqu’à mi-juillet, de nombreux financiers redoutaient un été marqué par une crise financière, comme ce fut notamment le cas en 2011. A leur grand soulagement, ces craintes semblent aujourd’hui en grande partie levées. «En cas de sortie de la Grèce de la zone euro, nous aurions en effet pu appréhender une hausse des taux d’intérêt et l’instauration d’un climat d’instabilité pour l’économie européenne, témoigne Thibault Lanxade, vice-président du Medef en charge des TPE-PME. Heureusement, de telles perspectives paraissent désormais éloignées.»

Ce constat est partagé par les investisseurs. «Dans les prochaines semaines, nous allons surveiller la situation des banques en Grèce et surtout la capacité du Gouvernement grec à mettre en place les réformes promises, mais nos inquiétudes quant à un Grexit se sont apaisées», commente Philippe Rey, directeur des investissements de l’UMR. En revanche, ils se montrent vigilants sur d’autres sujets qui pourraient encore affecter les marchés, la Chine en particulier.

Dans les entreprises comme dans les institutions financières, on a tiré les leçons des crises passées et mis en place des process permettant d’assurer un suivi pendant les congés.

Directions financières : la mobilisation des équipes va rester forte

Si certains directeurs financiers concèdent aborder le mois d'août plus sereinement depuis l'obtention d'un accord entre la Grèce et ses créanciers internationaux, mi-juillet, la période ne devrait toutefois pas être de tout repos ! Alors que la quasi-totalité des sociétés font traditionnellement face à une diminution de leurs effectifs en raison des congés, les groupes cotés ou disposant d'instruments cotés (comme des obligations) devront notamment s'atteler, comme chaque année, à la clôture de leurs comptes semestriels. "Nos comptes arrêtés au 30 juin doivent être communiqués aux investisseurs au plus tard fin août, précise Christophe Gouthière, directeur administratif et financier de la société Autodistribution, spécialisée dans la distribution de pièces détachées pour automobiles et poids lourds, qui a procédé à une émission obligataire début 2014. Ainsi, le volet relatif à la communication financière mobilise beaucoup les équipes cet été."

Surtout, les entreprises sont de plus en plus nombreuses à faire état, depuis plusieurs mois, d'un net regain d'activité."Cette tendance semble générale car elle concerne des entités de toutes tailles et de tout secteur d'activité, se réjouit Thibault Lanxade. En outre, elle touche l'ensemble du territoire français." Une dynamique certes bienvenue, mais qui a un impact direct sur les directions financières. "Dans la mesure où nous venons de remporter des contrats significatifs qui impliquent des investissements importants, nous devons quantifier ces derniers de manière plus précise, puis étudier comment nous les financerons", confie par exemple un responsable financier.

De plus, ce rebond de croissance nécessite une extrême vigilance au niveau de la trésorerie. Alors que la progression du carnet de commandes peut impliquer d'augmenter les décaissements pour permettre la production des biens, des tensions peuvent en effet rapidement apparaître. "Pendant l'été, il est extrêmement compliqué pour une entreprise de se faire payer ses créances car ses débiteurs sont difficilement joignables ! souligne Sophie Garcia, présidente de PSL, une PME spécialisée dans la fabrication de plans de sécurité incendie. Or l'absence de rentrées d'argent peut être d'autant plus dangereuse que les sociétés doivent faire face en août à des versements de charges et cotisations, auprès notamment de l'Urssaf."

Un sujet dont s'est emparé le Medef qui, en partenariat avec la Médiation du crédit aux entreprises et la Fédération bancaire française, a lancé une campagne d'information auprès des sociétés. Afin d'éviter une dégradation de leur situation financière, ces dernières ont donc décidé, particulièrement cette année, de redoubler d'efforts en matière de recouvrement. "Depuis fin juin, deux assistants sont chargés de multiplier les relances de clients, ajoute Sophie Garcia. Nous comptons poursuivre ces actions pendant encore plusieurs jours." Cette démarche est répandue dans de nombreux groupes. "Il est déterminant d'assurer un suivi continu du poste clients", insiste Charles-Antoine Blanc, directeur financier de Paprec. Même s'ils comptent pour l'essentiel partir quelques jours en vacances, les directeurs financiers entendent cependant rester sur le pont. "Depuis mon téléphone, je continuerai d'avoir accès à mes emails et je surveillerai de près l'évolution de notre trésorerie", prévoit ainsi Christophe Gouthière. Alors que la rentrée devrait être rythmée par la reprise des projets de développement dans de nombreuses sociétés et, surtout, par le début du processus budgétaire, le répit des cadres financiers devrait donc être de courte durée.

Investisseurs institutionnels : une surveillance à distance des marchés

Durant la période estivale, la plupart des investisseurs institutionnels restent en retrait des marchés financiers. «En règle générale, nous ne prenons pas de grandes décisions de gestion durant l’été car la liquidité sur les marchés est moins importante, confirme Olivier Rousseau, membre du directoire du FRR. Mais il nous est arrivé de devoir en prendre, notamment lors de la crise sur les emprunts périphériques.»

Dans ce cas, ils comptent très largement sur leurs gestionnaires pour les alerter et surtout pour assurer rapidement le suivi de leur portefeuille.«A l’été 2011, lors de la crise de la dette souveraine, nous avions été en contact régulier avec notre principal gérant pour faire un point sur nos positions, notamment sur les emprunts grecs et sur les dispositions à prendre, se rappelle un investisseur d’une caisse de retraite. A l’époque, nous devions nous-mêmes répondre aux interrogations de nos affiliés. Certains d’entre eux nous ont en effet appelés pour connaître les positions du portefeuille sur les emprunts périphériques, soit une première dans l’histoire de notre régime !»

Ce type de situation très exceptionnelle n’a cependant pas remis en cause les organisations internes, puisque les investisseurs sont encore aujourd’hui peu présents à leur bureau durant l’été. Ils se montrent néanmoins plus vigilants sur la capacité de leurs gérants à les suppléer. «Notre mandat de gestion overlay, que nous venons de renouveler en le confiant à State Street Global Advisors et à Russell Investments, a pour vocation de prendre entre autres des positions tactiques», précise Olivier Rousseau. Certains investisseurs comptent également sur leurs conseils. «Nous restons en permanence joignable l’été pour accompagner nos clients investisseurs institutionnels sur leurs problématiques de gestion financière, commente Alexandre Lengereau, président d’Amadeis. Dans le cas de la Fondation de France que nous accompagnons de longue date, nous continuerons pendant le mois d’août d’assurer notre rôle auprès du directeur financier et de son comité financier avec lesquels nous sommes susceptibles d’organiser des réunions téléphoniques si cela s’avère nécessaire.»

Les investisseurs, qui ne délèguent pas leur gestion ou qui gèrent une partie de leurs encours en interne, ont en revanche une position différente puisqu’ils ont eu tendance à revoir leur organisation.«Nous prenons nos congés à tour de rôle et assurons une permanence de la gestion même pendant l’été, assure Philippe Rey, directeur des investissements de l’UMR. De fait, la période estivale change peu notre façon de travailler.»Ils peuvent il est vrai compter aujourd’hui sur les nouvelles technologies pour faciliter leur tâche.«Même à distance, nous pouvons être en permanence connectés pour vérifier les évolutions des marchés et de nos portefeuilles, complète Philippe Rey.

Nous avons la faculté,  si nécessaire, de réunir notre comité des investissements, par le biais d’une conférence téléphonique, pour prendre rapidement des décisions, comme cela a été le cas lors de la crise de 2008. De plus, les responsables des investissements ont tendance, à l’instar des gestionnaires, à garder un œil rivé sur les marchés. «Chaque jour pendant mes vacances, je consacre un moment pour vérifier mes mails et la situation des marchés, précise Philippe Rey. En cas de besoin, je contacte mes collaborateurs qui sont au bureau pour assurer un suivi du portefeuille.»

Pour cet été, les investisseurs institutionnels ne se montrent pas particulièrement inquiets. La volatilité pourrait rebondir, notamment en cas de nouveau rebondissement en Grèce, mais même dans ce cas de figure la BCE sera toujours présente pour soutenir les marchés obligataires européens. Les investisseurs se montrent, en revanche, plus inquiets en ce qui concerne la Chine. L’éclatement de la bulle sur les actions domestiques chinoises pourrait peser sur la croissance de ce pays et plus largement sur l’ensemble de la zone.

D’autres risques ont également été identifiés, comme l’impact d’un changement de politique monétaire par la Fed. Même si la banque centrale américaine prépare de longue date les investisseurs à la fin de son programme d’assouplissement quantitatif, l’annonce de ce changement de cap pourrait provoquer de la volatilité sur les marchés. Dans ce contexte, les investisseurs se montrent très prudents, même si certains n’excluent pas de saisir des opportunités cet été. «Tout au long de l’année, nous mettons en place des indicateurs de suivi de tendances qui permettent le cas échéant de nous positionner sur les marchés, explique Philippe Rey. Pour cet été, nous avons fixé des seuils d’ordre de souscription ou de rachat sur nos portefeuilles actions, dès lors que le CAC 40 atteint un certain niveau (entre 4 600 et 4 700 points à l’achat et entre 5400 et 5500 points à la vente). Ces ordres ne sont pas automatisés, mais ils nous permettent de rester réactifs dans nos décisions de gestion.» La réactivité est ainsi devenue le maître mot des investisseurs qui souhaitent aujourd’hui s’adapter à toutes les configurations des marchés durant l’été.    

Gérants d'actifs : pas de vraie trêve estivale

Depuis la crise des subprimes qui a éclaté en plein été 2007, les sociétés de gestion ont pris des mesures afin d’assurer des permanences tout l’été. Finies les larges pauses estivales où gérants comme commerciaux étaient aux abonnés absents. Toutes les sociétés de gestion, quelle que soit leur taille, maintiennent dorénavant des effectifs présents tout au long de l’année. Cette permanence constitue d’ailleurs une obligation réglementaire : «L’Autorité des marchés financiers (AMF) exige que les sociétés de gestion soient toujours opérationnelles sans discontinuer, rappelle Rémi Leservoisier, directeur général de Mandarine Gestion. Cela suppose d’assurer une permanence des moyens et surtout des hommes, y compris au mois d’août.»

Les sociétés de gestion ont ainsi organisé leurs équipes de gestion de façon à ce que pour chaque fonds ou mandat, deux gérants soient responsables, ce qui permet de réaliser un roulement pendant les périodes de congés. «Les gérants travaillent en binôme, il y en a toujours un présent par fonds, indique Rémi Leservoisier. Durant l’été, les réunions externes et les rencontres avec les clients sont moins nombreuses ; par conséquent, même s’il n’y a qu’un seul gérant par fonds, ce dernier a suffisamment de temps pour mener à bien son travail.» Même organisation chez Ecofi Investissements. «Chaque gérant possède un double, à savoir un autre gérant capable de gérer son fonds», précise Christophe Couturier, vice-président et directeur général d’Ecofi Investissements.

Un œil rivé sur les marchés

Autre tendance : les gérants morcellent leurs vacances.«Ils restent rarement absents plus de quinze jours d’affilée», poursuit Rémi Leservoisier. Et durant ces congés, certains gardent un œil rivé sur ce qui se passe sur les marchés. «Les gérants ont parfois tendance à demeurer connectés pendant les vacances, assure Rémi Leservoisier. Mais nous ne les encourageons pas à le faire car les vacances doivent permettre de recharger les batteries.» Un point de vue largement partagé. «Les gérants doivent se reposer pendant leurs congés, mais certains appellent quand même régulièrement pour savoir si tout se déroule bien», complète Christophe Couturier.

Les gérants ne sont pas les seuls à être présents, c’est le cas également des fonctions support. «L’informatique et le contrôle des risques doivent aussi être efficaces à tout moment», poursuit Christophe Couturier. Seuls les commerciaux peuvent lever le pied. «Il y a moins d’activité commerciale l’été ; par contre, nous nous assurons que les clients puissent toujours trouver une réponse à leurs questions», précise Christophe Couturier.

Des questions qui ne vont pas manquer cet été compte tenu du contexte économique et géopolitique : crise grecque, krach en Chine, conflit en Ukraine, etc. Un contexte qui suppose de surveiller de nombreux paramètres. «Il faut suivre l’évolution de la parité euro/dollar et celle des taux sur les souverains, indique Rémi Leservoisier. Les gérants doivent être présents pour discuter entre eux et prendre des décisions le cas échéant.» Les indicateurs américains doivent également être analysés.«Nous allons regarder attentivement les publications des résultats des entreprises américaines», relève Christophe Couturier. Ce suivi est d’autant plus important que la liquidité se réduit l’été. «Il y a moins de transactions l’été et donc moins de liquidité sur les marchés, rappelle Patricia Kaveh, responsable du développement pour la France, Monaco et Genève de Henderson. Les chocs prennent donc plus d’ampleur.» Une situation qui justifie d’assurer des permanences.

Pas de vacances pour les gérants britanniques

En France, si les gérants assurent maintenant des permanences, de très nombreux secteurs d’activité tournent encore au ralenti l’été, à la différence des pays anglo-saxons ou du Nord de l’Europe. «En Angleterre, il n’y a pas de trêve estivale : les gérants travaillent comme à l’accoutumée, contrairement à la France ou à d’autres pays européens francophones, comme la Suisse, Monaco ou encore les pays latins, qui font davantage une pause durant l’été, prévient Patricia Kaveh. L’Allemagne se situe quant à elle entre les deux puisque l’activité est aussi ralentie, mais moins qu’en France.»

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