Organisation

Les directions comptables à l’épreuve du confinement

Publié le 30 avril 2020 à 15h20

Anais Trebaul

Alors que les directions comptables étaient peu habituées au télétravail, elles ont réussi à s’organiser rapidement pour assurer la production comptable à distance. Elles ne sont cependant pas toutes impactées de la même manière par la situation actuelle. Certaines se retrouvent avec une charge de travail supérieure quand d’autres font face à une baisse d’activité.

Factures papier à traiter, outils ERP à utiliser depuis chez soi, comptes à clôturer dans les temps… Autant de problématiques qui ont particulièrement inquiété les directions comptables lors de l’annonce du confinement. Dès le 17 mars, les équipes comptables ont quasiment toutes été mises en télétravail. Une situation assez inhabituelle pour ces professionnels. Afin de s’y préparer, certaines directions avaient anticipé cette situation de manière à identifier les difficultés posées par cette organisation. «Chez Engie, toutes les équipes consolidation ont été mises en télétravail le 11 mars, soit une semaine avant la mise en place du confinement, souligne Wathelet Lepour, directeur des comptabilités groupe chez Engie, responsable du groupe SOC (stratégie et organisation comptables) au sein de l’association des professionnels et directeurs comptabilité et gestion (APDC). L’idée était de tester notre capacité à clôturer les comptes du mois de février à distance. Puis le confinement a été annoncé et nos collaborateurs sont finalement restés en télétravail».

Des outils à mobiliser

Une approche bienvenue compte tenu des implications inhérentes à cette réorganisation. Les directions ont en effet d’abord dû s’assurer que les comptables disposaient des outils nécessaires pour travailler à distance : ordinateurs, mais aussi logiciels comptables. Certes, dans les grands groupes, la plupart des collaborateurs disposaient déjà de matériels pour travailler à distance. «Toutes les équipes comptables étaient déjà équipées depuis deux ans d’un PC tablette, permettant de se connecter à distance au réseau du groupe, et donc aux logiciels comptables et de trésorerie», indique Laurent Le Clair, membre du club CSP et du cercle comptabilité et fiscalité de l’APDC et directeur des comptabilités hôtelières France chez AccorInvest, avec environ 180 personnes sous sa responsabilité, dont une partie en CSP et une autre partie directement basée dans les hôtels. Mais il n’empêche que le confinement de l’ensemble des équipes a parfois provoqué des problématiques auxquelles les entreprises n’avaient jamais eu à faire face jusqu’alors. «Nous avons dû mettre à niveau les accès au réseau VPN du groupe (permettant d’accéder à distance au réseau du groupe) car jusqu’à présent, celui-ci était limité à un certain nombre de connexions, relève Xavier Jégard, président de l’APDC et directeur comptabilité, consolidation et fiscalité chez Eramet. La population se connectant à distance a doublé, voire triplé, par rapport à d’habitude. Il a donc fallu augmenter la capacité du réseau, ce qui a été fait grâce à la réactivité de notre DSI.»

Des problèmes de réglage au niveau du groupe auxquels se sont ajoutés de nouveaux sujets lorsque les équipes ont commencé à travailler de chez elles. «Les équipes comptables, qui travaillent sur plusieurs applications en même temps, utilisent deux grands écrans, remarque Dominique Defache, en charge de la comptabilité, de la fiscalité et du centre de services de la FDJ et administrateur de l’APDC, qui chapeaute une équipe de plus de 20 personnes. En confinement, elles ont eu quelques difficultés à travailler sur un écran de PC portable.»

Ensuite, les directions comptables ont également dû s’organiser pour récupérer les factures sous format papier reçues au siège ou dans les centres de services partagés (CSP). «Nous sommes organisés pour récupérer une fois par semaine les factures et autres courriers reçus par voie postale, puis les scanner, précise Vanessa Brajtman, VP comptabilité groupe chez Ipsen, qui encadre 50 personnes en France et au Royaume-Uni, et administrateur de l’APDC. Nous recevons plusieurs centaines de factures par semaine par courrier, toutefois le volume reçu a diminué de près de 80% au profit de courrier électronique.» Pour éviter de devoir récupérer ces factures, certaines entreprises ont préféré prendre les devants. «Nous avons demandé à tous nos directeurs d’hôtels de scanner les factures fournisseurs ou de les demander en scan à leurs fournisseurs, et de nous les transmettre par mail, note Laurent Le Clair. Nous ne recevons plus aucune facture par voie postale. Une personne de l’équipe passe néanmoins une fois par semaine au siège afin de récupérer d’autres courriers (lettre de l’administration, de la banque si une carte de crédit a été rejetée par exemple, lettre de rappel d’échéances fournisseurs etc.).»

Moins d’opérations à traiter

Une fois ces éléments organisationnels réglés, les directions comptables ont dû faire face à une charge de travail inhabituelle. Lorsque l’activité du groupe est particulièrement affectée, les directions comptables ont pu voir leur charge de travail se réduire drastiquement. C’est notamment le cas chez AccorInvest, filiale immobilière à 30 % du groupe hôtelier. «Nous réalisons en ce moment un chiffre d’affaires uniquement sur quelques hôtels qui travaillent avec les hôpitaux, les forces de l’ordre, les SDF, etc., explique Laurent Le Clair. Mais 90 % de nos hôtels sont fermés. Certes, les comptables fournisseurs avaient encore jusqu’à fin mars beaucoup de factures à traiter, et ceux de la trésorerie également car nous avions encore de l’activité dans les jours qui ont suivi les fermetures de mars. Mais depuis, le flux de factures ou d’opérations de trésorerie n’est pas suffisant pour occuper tous nos comptables ; nous avons donc demandé à pouvoir bénéficier du chômage partiel pour l’ensemble de nos comptables pour les mois d’avril et mai.»

Une réorganisation des tâches

Cependant, dans l’ensemble, les entreprises ont réussi à répartir différemment les tâches des comptables pour que chacun continue à avoir une charge de travail équilibrée. «FDJ n’a pas mis en place de chômage partiel, indique Dominique Defache. En revanche, certains collaborateurs, en sous-activité, viennent renforcer des équipes sursollicitées. Au sein de l’équipe, trois collaboratrices sont venues en renfort pour l’enrôlement des fournisseurs sur la plateforme de dématérialisation des commandes et des factures. Le processus achats est ainsi fluidifié et les délais de paiement des factures sécurisés. Ceux-ci sont intégralement réalisés par virement.»

En parallèle, de nouvelles tâches apparaissent aussi, directement en lien avec la crise sanitaire.«Nous renforçons nos contrôles sur les factures qui ne suivent pas ce processus dématérialisé (changement de RIB par exemple), car les tentatives d’escroquerie connaissent une certaine recrudescence», souligne Dominique Defache. Idem chez AccorInvest : «Nous avons rappelé des comptables pour qu’ils négocient le report des baux des hôtels que nous louons, alors que ce travail n’était pas prévu à l’origine», ajoute Laurent Le Clair. Certaines directions comptables font même face à une charge de travail supplémentaire, comme chez Engie. «Les questions de gouvernance sont plus présentes, remarque Wathelet Lepour. Un comité d’audit pour faire le point sur la crise sanitaire s’est tenu très rapidement après le début de cette crise, un second en avril, et un troisième aura lieu début mai.»

Un travail de clôture qui perdure

Par ailleurs, d’autres tâches doivent quant à elles toujours être assurées, peu importe si l’activité de la société est affectée ou non, à commencer par la clôture des comptes.«Nous devons toujours continuer à réaliser nos clôtures mensuelles, souligne Dominique Defache. Celles-ci prennent de bout en bout sept jours par mois, deux jours en amont consacrés à la revue du cut-off (vérification que les charges et produits soient comptabilisés à la bonne date de clôture) par le contrôle de gestion, cinq jours pour les autres écritures d’inventaire, l’intégration des systèmes, la préparation des états financiers et la revue analytique. Nous faisons le maximum pour sortir les comptes dans les délais habituels (cinq jours après la fin du mois), alors que la distance entre les équipes et l’organisation globale du télétravail peuvent nous ralentir. Pour mars, les comptes ont été clôturés dans les temps, en dépit d’une journée de retard au démarrage en raison d’un problème de connexion. Je constate une grande solidarité des équipes dans l’atteinte de ces objectifs.»

A ces travaux de clôture s’ajoutent des questions comptables plus théoriques liées à l’impact du Covid-19 sur les comptes : comment traiter le chômage partiel dans les comptes ? Quelles hypothèses retenir pour valoriser ses actifs ? Comment valoriser ses stocks ? Autant de questions sur lesquelles s’interrogent les directions comptables, puisqu’elles devront prendre en compte ces éléments dans leurs résultats semestriels (pour celles clôturant leurs comptes au 31 décembre). «Nous sommes à l’écoute des discours de la place, et nous échangeons régulièrement avec notre commissaire aux comptes sur ces sujets, précise Laurent Le Clair. Il est très important de bien anticiper dès maintenant ces sujets.» Ceux-ci devraient donc remplir les agendas des différentes directions comptables dans les prochaines semaines, alors même que le télétravail devrait se poursuivre après le 11 mai. 

Des réunions téléphoniques régulières

l Les membres des directions comptables insistent sur la nécessité d’établir des réunions régulières, parfois quasi quotidiennes. «Nous essayons de maintenir le lien entre les différentes équipes comptables (fournisseurs, comptabilité générale, etc.) et leurs managers, explique Xavier Jégard, président de l’APDC et directeur comptabilité, consolidation et fiscalité chez Eramet. Pour cela, nous organisons régulièrement des visioconférences.» Une façon d’assurer un suivi du travail effectué certes, mais aussi d’apporter un certain réconfort auprès de collaborateurs parfois isolés.

Délais de paiement : un manque de dialogue ?

l Si les entreprises interrogées ont toutes indiqué s’organiser au mieux pour respecter les délais de paiement contractuels, certaines d’entre elles déplorent en revanche que leurs partenaires ne jouent pas toujours le jeu. Certaines entreprises constatent que depuis la mise en place du confinement, plusieurs fournisseurs leur demandent de payer dès la réception de la facture, en décidant unilatéralement de modifier les clauses contractuelles.

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