Du 18 au 22 novembre, Option Finance organisait la Semaine du Restructuring consacrée à l’actualité des restructurations en partenariat avec Option Droit & Affaires. L’occasion pour les acteurs du restructuring et du financement de faire le point sur la situation économique et sur les risques de défaillances d’entreprises, et de présenter leurs visions ainsi que les solutions qu’ils fournissent aux entreprises en difficulté.
Depuis la transposition de la directive européenne Restructuration et insolvabilité, le droit des entreprises en difficulté a été enrichi de nouveaux concepts comme les classes de parties affectées et le test du meilleur intérêt des créanciers. Ces innovations visent à offrir plus de flexibilité et à faciliter la résolution des difficultés des entreprises tout en préservant l’équilibre entre les droits des créanciers et les débiteurs. « La réforme des classes de parties affectées a redonné la priorité à la logique économique. En France, nous avions parfois une lecture trop juridique des règles qui faisait passer l’exigence de consensus avant l’efficacité des procédures », a noté Pierre-Olivier Chotard, secrétaire général du Comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI).
La différence de séniorité des créanciers est désormais mieux prise en compte, de même que le fait, pour les créanciers ou les actionnaires, d’être ou non dans la monnaie. « Des recours sont également ouverts aux différentes parties affectées, ce qui n’était pas le cas précédemment », souligne Aurélien Loric, associé, chez Orrick. « Si le droit antérieur était moins équilibré, il était toutefois plus lisible. Cette réforme a généré quelques incertitudes sur les différences de traitement entre créanciers de rang équivalent », ajoute l’avocat.
Sortir d’une logique punitive au profit d’une logique économique est bénéfique. « Corriger des imperfections initiales en respectant l’ordre des choses, et en particulier les risques pris par les parties à l’origine, c’est un point très positif », souligne Hélène Bourbouloux, administrateur judiciaire, associée, FHBX. L’appropriation de la réforme par les PME est essentielle, à un moment où les défaillances repartent à la hausse (66 000 fin 2024 selon les estimations du cabinet Altares). « Côté PME, nous avons des sociétés qui, historiquement, ont perdu tout financement bancaire et sont des clientes récurrentes du restructuring. Je pense que nous allons arriver à un point où il faut réduire les endettements, tout en trouvant des solutions pour maintenir à la fois le traitement des fournisseurs et des services stratégiques », recommande Céline Domenget-Morin, associée, chez Weil.
Procédures amiables : prévention, anticipation et résolution des crises entreprises
Les procédures amiables, telles que le mandat ad hoc et la conciliation, offrent des solutions préventives et confidentielles permettant d’éviter des faillites coûteuses et de maximiser les chances de redressement des entreprises en difficulté. « Les procédures amiables ou encore les procédures préventives (conciliation, mandat ad hoc) visent à aider une entreprise confrontée à des difficultés juridiques, économiques ou financières à les résoudre en mettant à sa disposition un “négociateur” qui l’aidera dans ses relations avec les parties prenantes », rappelle en préambule Jacques Fineschi, président honoraire du tribunal de commerce de Nanterre. Couplés à la supervision assurée par le tribunal, ils constituent des parades efficaces qui affichent 70-80 % de réussite, évitant ainsi l’entrée en procédure collective.
Des atouts indéniables mais aussi quelques inconvénients. Ces procédures ne sont accessibles qu’aux entreprises qui ne sont pas en cessation de paiements depuis plus de 45 jours. « De plus, il arrive souvent que les banques révisent alors les taux d’intérêt à la hausse des prêts qui avaient été conclus dans une période où ces taux étaient plutôt bas », ajoute Jacques Fineschi. « Le coût de refinancement des banques actuellement n’est plus du tout le même qu’en 2020 », fait remarquer à cet égard Ségolène Coiffet, associée, De Pardieu Brocas Maffei. De fait, les prêts garantis par l’Etat (PGE) octroyés à des taux compris entre 0,5 % et 0,9 % ont vu les taux d’intérêt grimper à 3 % ou 4 %, parfois 5 %. » De plus, la procédure de conciliation est enfermée dans un délai de quatre mois renouvelable pour un mois seulement. Enfin, le dirigeant d’une entreprise en difficulté doit tenir compte du fait que ce type de procédure emportera des coûts. Il faudra arbitrer entre différents types de procédure possibles. « Un choix qu’il vaut mieux faire avec un conseil spécialisé en restructuring à ses côtés pour éviter les chausse-trappes de textes au contenu très technique », conseille Paul-Henri Audras, administrateur judiciaire au sein de l’AJUP. Fort heureusement, les dirigeants d’entreprise d’aujourd’hui connaissent les grands principes de ces procédures amiables. « Mais avant de déposer une requête auprès du tribunal de commerce, il faut être certain que l’économie qu’on ira y chercher sera bien efficiente par rapport à une procédure collective », prévient Numa Rengot, associé cogérant de Franklin Avocats. Point essentiel, un dirigeant doit arriver préparé, aguerri et « il ne doit pas subir passivement la restructuration », met en garde Paul-Henri Audras.
Procédures collectives : le retour à la normale ?
« Depuis cette année, les défaillances remontent de façon plus rapide parmi les entreprises de plus de 50 salariés », annonce Thierry Millon, directeur des études chez Altares. Selon l’expert, 2024 devrait se clore sur 66 000 à 67 000 défaillances. « Pendant la crise de la Covid-19, nous avons évité l’équivalent de près d’une année de faillites. Il n’est pas anormal qu’une partie d’entre elles se retrouvent dans le contingent actuel d’entreprises en défaut », explique-t-il.
Selon les estimations de la DGE, 45 000 faillites n’ont pas eu lieu sur la période 2020-2022 grâce aux dispositifs mis en place et désormais tous arrêtés, donc celui des PGE Résilience stoppé fin 2023. « Près de 140 milliards d’euros ont été prêtés par l’Etat sous forme de PGE à plus de 700 000 entreprises », rappelle Hélène Lebedeff, déléguée interministérielle aux restructurations d’entreprises au sein de la Direction générale des entreprises (DGE). Même si le taux de défaut sur le remboursement des PGE n’est que de 4 %, il sera plus compliqué de les rembourser, si la conjoncture économique reste en panne. L’automobile et la chimie, deux secteurs soumis à un fort dumping de la part de la Chine – et en pleine mue technologique pour l’automobile –, sont surveillés de près par Bercy.
Pour les entreprises en difficulté qui font face à des difficultés conjoncturelles mais sont encore en mesure de rembourser leurs dettes, la procédure amiable constitue le premier réflexe pour Marie Tellechea, associée au sein du cabinet Tellechea Avocats. L’amiable a l’avantage d’être une procédure confidentielle. « La procédure collective sera plutôt à réserver à des sociétés ayant déjà des problèmes de cash et pour lesquelles l’amiable ne fonctionnera pas de toute évidence », déclare l’avocate. L’intégration dans le droit français des classes de parties affectées incite aussi les conseils à recourir davantage aux procédures de sauvegarde et de redressement. « C’est un levier de négociation très important mais que nous actionnons en dernier recours. Nous cherchons toujours en priorité une conciliation avec un préaccord avec la majeure partie des créanciers autour de la table », décrit Nicolas Depoix-Robain, associé chez Depoix-Robain & Associés. « Une partie de notre mission, et notamment des commissaires aux restructurations et à la prévention des difficultés en entreprises (CRP), est d’aller voir les entreprises dès que nous recueillons des signaux faibles (par exemple : retards de paiement) et de les informer sur les dispositifs existants pour y remédier », conclut Hélène Lebedeff.
Le commerce de détail en cours de reconstruction
En 2023, le commerce a été le secteur le plus impacté par les faillites. Les retailers, dont quelques grandes enseignes bien connues des Français comme Naf-Naf, Jennyfer et Go Sport, ont représenté 20 % des faillites. Un des enseignements de la crise actuelle traversée par le retail réside dans la nécessité de remettre le client et le produit au centre de la création de valeur. « Nous créons tous nos produits, nous les dessinons. Nous défendons la singularité de nos produits. Nos dentelles viennent toutes de Calais. Nos fournisseurs ont recours au factoring et nous vendent la matière première », décrit Olivier Piquet, PDG du groupe Lise Charmel. Le financement est ainsi devenu d’autant plus crucial pour accompagner le développement des entreprises de ce secteur fragilisé. « Les banques voient le commerce comme un mouton noir. Pour remodeler des magasins, des crédits à moyen terme sont nécessaires et c’est devenu difficile de financer ce genre de prêts », affirme Philippe Favre. Les achats aussi sont concernés. « Dans le retail, les crédits documentaires sont importants, notamment quand une partie des achats se font en Asie du Sud-Est. C’est moins prégnant quand la production se fait plus à l’échelle nationale », relève Jean-Dominique Daudier de Cassini, associé chez Weil.
En matière de traitement des difficultés, l’avocat rappelle une donnée de base. Les procédures amiables, restructurent le bilan, pas l’exploitation. « Si vous avez des problèmes d’exploitation et que vous devez vous séparer d’un nombre important de magasins, la procédure amiable, généralement, n’est pas suffisante. Il faut aller vers une procédure collective. » Dans une entreprise en difficulté, le premier réflexe du dirigeant de transition est de soigner et de guérir. « Soigner, c’est s’assurer qu’on arrête l’hémorragie. Ensuite, guérir, c’est retravailler le modèle économique pour se concentrer sur ce qui crée de la valeur (produits, réseau de distribution, services) », résume Philippe Favre.
La fiducie-equitization, une solution innovante pour restructurer la dette des sociétés cotées
La fiducie-equitization est un outil, encore peu connu, permettant à une société de restructurer une dette existante, voire une dette nouvelle dans certains cas, en la convertissant en capital au fil de l’eau et en la remboursant avec le produit de la cession des actions issues de ces conversions. « C’est un moyen pour une société de rembourser sa dette sans consommer sa trésorerie et ses cash-flows futurs. En revanche, cela entraîne une dilution des actionnaires car c’est l’augmentation du nombre d’actions et le produit de leur vente qui permettra d’éteindre la dette », explique Sébastien Tétard, PDG d’Europe Offering.
La fiducie-equitization ne s’adresse qu’à des sociétés cotées pour lesquelles il y a une adéquation entre la liquidité de l’action sur le marché secondaire et le montant de la dette à restructurer. « La mise en place de cet outil passe par cinq étapes », décrit Cyril Deniaud, associé, Jeantet avocats. Le jour de la conclusion de la convention de fiducie, le créancier apporte sa créance dans la fiducie. Le patrimoine fiduciaire isolé est alors géré par un fiduciaire. Ensuite, la société cotée, débitrice, émet des bons de souscription d’action (BSA) au profit du fiduciaire. La fiducie détient la créance et les BSA pour lui permettre de les exercer au fil du temps. « Elle le fait non en versant du cash mais par compensation avec une partie de la créance que le créancier lui a transférée. C’est le processus d’équitisation qui transforme la créance en actions », précise l’avocat. Ensuite, la fiducie vend alors progressivement les actions qu’elle a souscrites sur le marché. Enfin, elle renvoie le cash au créancier d’origine.
La medtech Carmat, qui fabrique un cœur artificiel innovant, a eu recours à ce nouvel outil pour rembourser une des trois tranches de 10 millions d’euros de l’emprunt contracté auprès de la Banque européenne d’investissement (BEI). « Cette solution nous a permis de consacrer nos ressources financières au développement de notre activité, plutôt qu’au remboursement de la dette. Cela demande néanmoins un peu de pédagogie auprès des parties prenantes internes et externes », analyse Pascale d’Arbonneau, directrice générale adjointe et directrice administrative et financière de Carmat.