La question de l’assouplissement des facultés de sortie du bail commercial est souvent au cœur des problématiques des preneurs qui souhaitent plus de flexibilité pour donner congé. La Cour de cassation semble maintenant admettre qu’un bail dérogatoire puisse succéder à un bail commercial, position encore novatrice pour les praticiens.
Par Géraldine Machinet, avocat en droit immobilier. Elle intervient tant en conseil qu’en contentieux, notamment en matière de baux commerciaux. geraldine.machinet@cms-fl.com
L’article L.145-5 du Code de commerce qui régit le bail dérogatoire dispose que ce bail dérogeant au statut des baux commerciaux doit être conclu lors de «l’entrée dans les lieux du preneur».
En pratique, il n’était pas possible de conclure un bail dérogatoire après un bail commercial, le preneur étant déjà dans les lieux loués.
Toutefois, par un arrêt rendu le 2 mars 2017, la troisième chambre civile de la Cour de cassation, faisant preuve d’une appréciation souple des dispositions de l’article L.145-5 du Code de commerce, vient valider la conclusion d’un bail dérogatoire après la conclusion d’un bail commercial (Cass. 3e civ., 2 mars 2017, n° 15-28.068).
Dans cette affaire, la société Deloitte avait conclu avec le bailleur un renouvellement de bail commercial pour une durée de neuf ans dont quatre années fermes. A l’issue de cette période ferme de quatre années, le preneur a donné congé en application des dispositions de l’article L.145-4 du Code de commerce et les parties ont décidé de conclure un bail dérogatoire non soumis au statut pour une durée supplémentaire de onze mois. A l’issue de cette période, le bailleur s’est opposé à la restitution des locaux loués par le preneur et a demandé la requalification du bail dérogatoire en bail commercial.
La Cour de cassation vient préciser que «l’entrée dans les lieux du preneur énoncée à l’article L.145-5 du Code de commerce, vise la prise de possession des locaux en exécution du bail dérogatoire, peu important que le preneur les ait occupés antérieurement en vertu d’un autre titre depuis expiré».
Auparavant, la jurisprudence admettait certaines dérogations à la conclusion d’un bail dérogatoire «à l’entrée dans les lieux», notamment lorsque le preneur occupait déjà les locaux loués en vertu d’une convention de sous-location, la convention de sous-location ayant été conclue avec le locataire principal et non avec le propriétaire des locaux (Cass. 3e civ., 15 avr. 1992, n° 90-18093).
Il convient de souligner que par un arrêt peu commenté du 15 octobre 2014 de la troisième chambre civile de la Cour de cassation, il avait également été jugé que la convention faisant suite à un bail commercial résilié d’un commun accord avant son terme ne pouvait déroger au statut des baux commerciaux que par application des dispositions de l’article L.145-5 du Code de commerce (Cass. 3e civ., 15 oct. 2014, n° 13-20085). La Cour de cassation avait donc déjà admis la conclusion d’un bail dérogatoire alors qu’un bail commercial avait été précédemment conclu entre les mêmes parties et sur les mêmes locaux.
Toutefois, la conclusion d’un bail dérogatoire après la résiliation amiable du bail commercial ou de la délivrance d’un congé ne risque-t-elle pas d’être remise en cause par les nouvelles dispositions de l’article L.145-15 du Code de commerce (telles que modifiées par la loi du 18 juin 2014 dite loi Pinel) prévoyant que sont réputées non écrites, «qu’elles qu’en soit la forme, les clauses, stipulations et arrangements qui ont pour effet de faire échec au droit au renouvellement institué par le présent chapitre», dès lors que la conclusion d’un bail dérogatoire conclu à la suite d’un bail commercial constitue un mécanisme permettant aux parties de détourner le renouvellement du bail commercial ? D’autres mécanismes contractuels permettraient de prolonger la durée du bail commercial sans se heurter aux nouvelles dispositions de l’article L.145-15 du Code de commerce.