La lettre de l'immobilier

Février 2018

Destination et usage : des acceptions juridiques et fiscales similaires … ou divergentes

Publié le 9 février 2018 à 14h53

François Lacroix

«Destination» et «usage» sont des mots riches de sens, communs ou différents, selon les domaines juridiques, comptables et fiscaux dans lesquels ils sont employés.

Par François Lacroix, avocat associé en fiscalité. Il intervient plus particulièrement dans les secteurs de la fiscalité immobilière, des services publics, des entreprises et des personnes morales publiques ou privées non lucratives. francois.lacroix@cms-fl.com

Dès à présent, précisons que la «destination» urbanistique et l’«usage» réglementaire d’un immeuble sont sans rapport avec l’intention comptable et fiscale de l’entreprise propriétaire, de le revendre ou de l’utiliser durablement : réglementairement, les «destinations» (et les «sous-destinations») d’un immeuble renvoient à la fonction (notamment, d’habitation, de commerce et d’activités de service, d’industrie, d’intérêt collectif ou d’exploitation agricole), pour l’exercice de laquelle l’immeuble est conçu, tandis que son «usage» traduit la nature de son utilisation effective (notamment, d’habitation). Informés de ces évènements réglementaires, comptables et fiscalistes devront déterminer s’ils doivent en tirer les conséquences, ou au contraire les ignorer.

Par exemple, en revenus fonciers, l’«habitation» est différemment définie : prenons un immeuble d’habitation transformé en bureaux, puis à réaffecté à l’habitation moyennant travaux d’amélioration. Alors que cette situation caractérise, réglementairement, deux changements de destination et d’usage successifs, tout autre sera l’analyse en revenus fonciers, où, pour qualifier les dépenses déductibles (essentiellement, celles effectuées sur les seuls immeubles d’habitation), le propriétaire loueur pourra ignorer la période de location à titre de bureaux, pour invoquer l’affectation originelle de l’immeuble à l’habitation, et déduire ainsi les dépenses d’amélioration des travaux permettant à l’immeuble de recouvrer son affectation initiale.

Quant aux immeubles possédés par des entreprises, leur changement de «destination» ou de «sous-destination» pourra avoir pour corollaire, comptable et fiscal, en cas d’exploitation directe par le propriétaire, un changement de l’activité y exercée, pouvant induire une cessation fiscale d’entreprise, totale ou partielle (dont les effets atteignent parfois ceux d’une dissolution fiscale, tels notamment que la non-valeur d’éventuels déficits).

En tout état de cause, comptablement et fiscalement, le changement de la «destination» d’un immeuble pourra parfois significativement modifier l’utilisation prévue pour cet immeuble, affectant la durée et/ou le rythme de consommation des avantages attendus de lui et justifiant alors, comptablement et fiscalement, une révision prospective de son plan d’amortissement. Il en serait tout particulièrement ainsi dès lors que le changement de destination conduirait le propriétaire à devenir, ou à cesser d’être, l’exploitant direct de l’immeuble, car le critère de valeur d’usage retenu par un propriétaire exploitant peut sensiblement différer de celui de valeur vénale propre à un propriétaire loueur.

Enfin, soulignons la «double peine» fiscale susceptible d’affecter le propriétaire d’un immeuble jusqu’alors occupé à titre d’habitation qui souhaiterait le louer meublé «de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile» (Code de la construction et de l’habitation, article L.631-7), s’il venait à oublier que ce changement d’usage aurait dû être préalablement autorisé. Un tel oubli pourrait être en effet sanctionné notamment par une ordonnance de retour à l’usage d’habitation du local transformé sans autorisation, sous astreinte pouvant atteindre 1 000 euros par jour et par mètre carré utile de ce local. Or, dans la situation voisine d’un propriétaire n’ayant pas exécuté l’arrêt ayant prononcé la démolition d’une construction irrégulièrement édifiée, le Conseil d’État a jugé (CE, 20 juin 2012, n° 342714) qu’une astreinte similaire était fiscalement non déductible de son résultat fiscal.


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