Malgré la crise sanitaire et ses effets sur l’économie, le marché des bâtiments logistiques reste dynamique. Au troisième trimestre 2020, 42 % des transactions ont porté sur le développement d’actifs neufs «clés en main», résultant notamment de l’essor continu du e-commerce. Le financement d’un bâtiment logistique présente des particularités et n’est pas sans risque, notamment lorsque les opérateurs affrontent des difficultés économiques ou financières.
Par Geoffrey Levesque, avocat counsel en droit bancaire, responsable du financement de projet. Il accompagne des sponsors industriels et des fonds d’investissement ainsi que des prêteurs institutionnels. Il intervient notammant dans les domaines des infrastructures et de l’énergie (geoffrey.levesque@cms-fl.com); Guillaume Bouté, avocat docteur en droit, membre de l’équipe Restructuring. Il intervient au support de tous les acteurs confrontés aux problématiques liées aux difficultés des entreprises (guillaume.boute@cms-fl.com); Sadri Desenne-Djoudi, avocat en droit bancaire. Il conseille et assiste des banques, des fonds ainsi que des institutionnels, français ou étrangers, dans le cadre de tous types d’opérations de financements, notamment transfrontalières. Il a développé une expertise particulière en matière de financements de projets et d’opérations immobilières (sadri.desenne-djoudi@cms-fl.com) et Clémentine Quintard, avocat membre de l’équipe Restructuring. Elle intervient en matière de prévention et de traitement amiable et judiciaire des difficultés des entreprises (clementine.quintard@cms-fl.com).
Financement de la construction d’un bâtiment logistique
Les modalités du financement d’un tel bâtiment diffèrent selon qu’il porte sur l’acquisition d’un actif existant ou sur la construction d’un nouvel entrepôt. Dans le premier cas, le prêteur finance un prix d’acquisition versé au vendeur par l’emprunteur en sa qualité d’acquéreur et le crédit est intégralement mis à la disposition de ce dernier à la date du transfert de propriété de l’entrepôt logistique construit et exploité. Dans le second cas, sur lequel nous porterons notre attention, le prêteur finance la construction d’un nouvel actif dans le cadre de la conclusion d’un contrat de vente en l’état futur d’achèvement (VEFA) : le crédit est progressivement mis à la disposition de l’emprunteur pour les besoins de cette construction tandis qu’un bail en l’état futur d’achèvement conclu avec le locataire vient idéalement sécuriser les loyers sur une période ferme.La structuration et les modalités du financement d’un contrat de VEFA portant sur un actif logistique présentent des spécificités :
– la période de tirage du crédit doit être calibrée sur le calendrier des échéances de paiement par l’emprunteur du prix de la VEFA. La fréquence des tirages, ainsi que leur montant maximal, doivent donc être adaptés à ce calendrier incluant les différents jalons de construction (fondations, charpente, couverture etc.). Le cas échéant, un surdimensionnement de la période de tirage permet à l’emprunteur d’honorer ses obligations de paiement au titre du contrat de VEFA en cas de retard des travaux. Par ailleurs, certaines échéances du prix de la VEFA peuvent être dues à l’émission de certificats de conformité administrative ou environnementale, parfois obtenus postérieurement à la levée des réserves et à la fin de période de construction. Un mécanisme de tirage ultime du crédit en fin de période de tirage, dont le produit est crédité sur un compte bancaire nanti au bénéfice du prêteur, viendra garantir le financement de ces échéances ;
– le suivi des flux de loyers, qui ne doivent pas être déconnectés du marché locatif, est par ailleurs fondamental pour le prêteur dont le désintéressement dépend de la perception par l’emprunteur de ces flux. Un ICR (interests coverage ratio) ou DSCR (debt service coverage ratio) inclus dans le contrat de crédit lui permettra de les contrôler. Une attention particulière doit être portée sur ce qui est inclus dans leur calcul :
– les loyers impayés du locataire sur une certaine durée en sont souvent exclus. Néanmoins, l’emprunteur est susceptible de disposer d’une trésorerie palliative suffisante et il conviendrait de ne pas retenir une période d’impayés trop courte pour ne pas le sanctionner. De la même façon, dans l’intérêt de l’emprunteur, il conviendrait de ne pas exclure du calcul des ratios prospectifs les loyers prévisionnels en période de congé potentiel du locataire, l’emprunteur pouvant être pénalisé lorsqu’il est en cours de négociation de renouvellement du bail avec son locataire ;
– l’assiette de l’hypothèque ou du privilège de prêteur de deniers, octroyés au prêteur finançant le développement d’un bâtiment logistique, doit enfin être adaptée aux futurs projets de l’emprunteur portant sur son entrepôt. Il est en effet courant que des installations additionnelles, notamment des panneaux photovoltaïques, soient réalisées et exploitées sur la toiture de ces entrepôts. Lorsqu’il ne les finance pas et qu’elles s’incorporent dans l’immeuble, le prêteur n’a pas vocation à bénéficier d’une sûreté réelle sur ces constructions nouvelles, qui devront être exclues de l’assiette de la sûreté dans la documentation de financement.
«Le financement d’un bâtiment logistique présente des particularités et n’est pas sans risque, notamment lorsque les opérateurs affrontent des difficultés économiques ou financières.»
L’épreuve de la procédure collective
La bonne fin du financement tel qu’il est exposé ci-dessus peut être mise à mal par la défaillance de l’acheteur du bâtiment ou du preneur à bail de ce bâtiment dont les loyers doivent permettre à l’acheteur d’assumer le financement.
Procédure collective du locataire
L’ouverture d’une sauvegarde, d’un redressement ou d’une liquidation judiciaire aura pour effet de classer le bail en l’état futur d’achèvement parmi les contrats en cours. Pour mémoire, il s’agit des contrats en cours d’existence et d’exécution à l’ouverture de la procédure collective.
Ainsi, le débiteur et les organes de sa procédure collective auront le droit de renoncer à la poursuite de l’exécution du contrat. Le choix entre poursuite ou cessation sera avant tout objectif et fondé sur deux critères :
– l’utilité du contrat pour le débiteur : le débiteur a-t-il un besoin opérationnel impérieux de ce contrat ? Peut-il trouver, à cette date, un service similaire à meilleur coût sur le marché ? ;
– la solidité financière du débiteur : peut-il payer les loyers correspondant à une occupation des locaux postérieure à la date de l’ouverture de sa procédure ?
Si le débiteur ou les organes de la procédure demandent la cessation de l’exécution, le juge-commissaire est censé avoir la possibilité de vérifier que cette cessation ne porte pas une atteinte excessive aux intérêts du cocontractant. La portée de cette disposition reste obscure et sa mise en œuvre pourrait aboutir à une impasse.
Par ailleurs, en cas de cession de l’activité du débiteur, le bail pourra être transmis au repreneur si ce dernier le sollicite dans son offre de reprise. A ce titre, il doit être souligné que (i) le contrat transféré sera exécuté aux mêmes clauses et conditions par le repreneur qui n’aura été choisi ni par le propriétaire du bâtiment, ni par son financeur et que (ii) les clauses dites de «solidarités inversées» stipulant que le repreneur serait garant solidaire du paiement des arriérés locatifs seront neutralisées.
Procédure collective de l’acheteur
Dans ce cadre, si l’immeuble est inachevé, les contrats de construction, auxquels l’acheteur serait partie, seront considérés comme des contrats en cours. Il en ira de même pour le contrat de financement, si des sommes doivent encore être versées à l’acheteur.
Outre le risque d’arbitrage par le débiteur et ses organes (cf. ci-dessus), les contreparties de l’acheteur doivent continuer d’exécuter leurs obligations nonobstant toute éventuelle défaillance antérieure à l’ouverture de la procédure collective (source de créances antérieures «frappées» par le gel du passif et l’interdiction des paiements). Les créances correspondantes bénéficieront du statut de créances régulières, postérieures et utiles à la procédure collective et confèreront à leur titulaire un droit à paiement et un rang de privilège significatif en cas de défaillance post ouverture de la procédure collective.
En cas de poursuite de l’activité du débiteur (plan de sauvegarde ou de redressement) les contrats seront poursuivis (sauf refus de poursuite de l’exécution, cf. ci-dessus) et seul le passif généré avant l’ouverture sera l’objet d’un moratoire judiciaire pouvant s’étendre sur une dizaine d’annuités. L’efficacité des sûretés prises est alors à questionner. Ainsi, schématiquement, celles constituées par le débiteur lui-même devraient être paralysées alors que celles octroyées par des tiers devraient, en principe, pouvoir être activées.
Ici comme ailleurs, le recours à une fiducie permettant d’isoler le bien immobilier, malgré des coûts notamment fiscaux, pourrait permettre de sécuriser plus efficacement une opération avec un acteur à la santé financière incertaine.
En cas d’adoption d’un plan de cession incorporant l’actif, le sort des sûretés immobilières prises sur le bien afin de garantir son financement devrait permettre de transférer au repreneur la charge des échéances à venir à compter de la signature des actes de cession.
A l’heure incertaine où aucune défaillance n’est à exclure, il est impératif d’anticiper la sécurisation de l’opération et, peut-être, d’accepter de recourir à des moyens plus coûteux mais aussi plus efficaces.