L’utilisation par un investisseur étranger d’un véhicule luxembourgeois pour investir dans l’immobilier en France est une pratique usuelle depuis plusieurs décennies. Néanmoins, la question de l’intérêt d’une telle structuration se pose, compte tenu de l’évolution de l’environnement juridique.
Par Frédéric Gerner, avocat associé en fiscalité. Il intervient tant en matière de conseil que de contentieux dans les questions relatives aux impôts directs, notamment celles liées aux restructurations intragroupes et à l’immobilier (frederic.gerner@cms-fl.com); et Mary Lédée, avocat en fiscalité. Elle intervient en matière de fiscalité transactionnelle et conseille également les entreprises au quotidien, principalement dans le secteur immobilier (mary.ledee@cms-fl.com).
L'attractivité historique du Luxembourg pour investir en France s’expliquait par (i) la souplesse de la législation locale, (ii) les avantages fiscaux qu’offrait la convention fiscale conclue entre la France et le Luxembourg et (iii) la sécurité juridique qui était procurée par l’octroi de rescrits de la part de l’administration luxembourgeoise.
La signature d’une nouvelle convention entrée en vigueur le 1er janvier 2020 («la Convention») combinée à l’affaire des «Luxleaks» révélant le contenu de certains rescrits luxembourgeois a sonné le glas de cet âge d’or pour les investisseurs. Désormais, les rescrits sont plus rares et la Convention est l’une des plus modernes signées par la France à ce jour. Cette modernité se traduit en pratique par de nombreuses clauses anti-abus visant à limiter l’octroi des avantages conventionnels.
Ce changement d’environnement ne semble pas avoir impacté l’attrait du Luxembourg auprès des investisseurs, le Duché restant le lieu d’implantation privilégié des plateformes d’investissements pan-européens. La pratique montre pourtant que la structuration des investissements immobiliers français s’avère plus complexe depuis l’entrée en vigueur de la Convention. L’utilisation d’un SIF luxembourgeois pour investir dans un OPCI L’ancienne convention permettait aux investisseurs ayant un portefeuille d’actifs immobiliers français assez important de structurer leurs investissements au travers d’un OPCI (véhicule exonéré d’impôt sur le sociétés («IS») en France sous condition de redistribution des revenus) détenu par une société luxembourgeoise. Ce schéma s’avérait très efficace, la fiscalité française étant alors limitée à l’application d’une retenue à la source («RAS») de 5 %.
La Convention a mis fin à cette pratique en refusant les avantages conventionnels lorsque l’actionnaire luxembourgeois détenait au moins 10 % du capital de l’OPCI. Le droit interne français prévoyant une RAS limitée à 15 % lorsque l’entité bénéficiaire des dividendes est un fonds d’investissement comparable à un fonds français (au lieu des 28 % actuellement applicables en droit commun), le marché s’est adapté et l’utilisation des SIF (fonds d’investissements spécialisés) luxembourgeois, jugés éligibles à la RAS de 15 %, s’est développée pour investir dans les OPCI. Le SIF n’est toutefois pas adapté à toutes les situations. Les SIF sont en effet soumis à une obligation de diversification des investissements qui les rend inutilisables pour les portefeuilles de moins de 4 actifs. Leur constitution est en outre subordonnée à l’octroi d’un agrément au Luxembourg qui s’avère assez long à obtenir en pratique.
«Les nouveaux schémas d’investissement mis en place s’appuient sur l’application du droit interne français et non sur les avantages conventionnels.»
L’utilisation d’une société de capitaux luxembourgeoise pour investir dans une société de personnes française
Lorsque la combinaison SIF/OPCI n’est pas une option viable, les investisseurs peuvent recourir à une structuration plus classique dans laquelle une société de capitaux luxembourgeoise détient les parts d’une société de personnes française de type SCI. L’utilisation d’une société de personnes entraine alors l’imposition en France des revenus et plus-values immobilières nets. Cependant, elle sécurise l’absence de frottement fiscal en France lors de la remontée des flux et l’absence de décote pour fiscalité latente sur le prix de cession des parts de la SCI en cas de sortie d’investissement via un share deal.
A l’heure actuelle, une telle structuration se heurte toutefois à des problèmes d’interprétation de la Convention côté luxembourgeois. Les SCI françaises sont traditionnellement perçues comme des sociétés transparentes par les autorités fiscales luxembourgeoises. Les investissements réalisés au travers de SCI françaises sont donc réputés être directement réalisés par la société luxembourgeoise. Cette qualification aboutit en principe à une exonération d’IS au Luxembourg des revenus et plus-values immobilières de source française (ce qui, en contrepartie, est susceptible côté français d’entrainer le rejet de la déduction de l’intégralité des intérêts versés par la SCI à son actionnaire luxembourgeois en application des règles anti-hybrides codifiées à l’article 205 B du CGI).
«La réalisation d’un investissement immobilier en France peut présenter un réel intérêt combinant les performances du marché français, l’accès à un réseau étendu de conventions fiscales et le choix entre des modalités de structuration variées.»
La Convention reconnait toutefois aux SCI la qualité de résident et prévoit par ailleurs que les revenus appréhendés par un résident luxembourgeois via une société de personnes française (revenus fonciers et plus-values sur cessions des actifs par la SCI) soient également imposables au Luxembourg. L’élimination de la double imposition s’effectue alors par imputation sur l’impôt luxembourgeois d’un crédit d’impôt égal à l’impôt français. L’impôt luxembourgeois est composé de l’IS au taux de 18,19 % et de l’impôt commercial au taux de 6,75 %. En pratique, il semblerait que l’administration fiscale locale permette uniquement l’imputation de l’IS français sur l’IS luxembourgeois, sans possibilité d’imputation sur l’impôt commercial. Si une telle interprétation devait prospérer, il en résulterait une situation de double imposition à hauteur de 6,75 %. Bien qu’une telle situation soit contraire au but et à la lettre de la Convention (l’impôt commercial entrant dans le champ d’application de la Convention), l’administration luxembourgeoise n’a pas, à ce jour, formellement pris position sur l’interprétation qui sera donnée à la Convention sur ce point.
Les avantages de la législation française
En définitive, les nouveaux schémas d’investissement mis en place s’appuient sur l’application du droit interne français et non sur les avantages conventionnels. Par ailleurs, les difficultés d’interprétation de la Convention sont, en attendant une prise de position formelle des autorités fiscales luxembourgeoises, une source d’incertitude juridique pour les investisseurs. Dès lors, on peut se demander si l’utilisation d’une structure luxembourgeoise pour porter les investissements français présente toujours une utilité.
Si l’investisseur étranger accepte l’idée qu’il devient difficile, dans le contexte politique, économique et légal actuel, de bénéficier globalement d’une fiscalité symbolique sur un investissement immobilier, et qu’un minimum d’impôt doit être acquitté dans l’Etat de situation du bien comme c’est la règle générale en matière de fiscalité internationale, la réalisation d’un investissement immobilier en France peut présenter un réel intérêt. Elle combine en effet les performances du marché français, l’accès à un réseau étendu de conventions fiscales et le choix entre des modalités de structuration variées. Celles-ci peuvent chacune présenter un intérêt fiscal, sachant que contrairement aux idées reçues qui sont surtout liées à son système social, la France est aujourd’hui plutôt compétitive du point de vue du coût fiscal.
Sociétés translucides (SCI), sociétés de capitaux avec un taux d’IS modéré (25 % en 2022), organismes exonérés (OPCI) : l’investisseur devrait avoir le choix, en fonction de sa localisation et de son propre statut (société, particulier, fonds, etc.), pour réaliser un investissement direct adapté en France dans des conditions fiscales raisonnables.