Le projet de loi de finances pour 2021 légalise la jurisprudence communautaire applicable en matière de TVA aux prestations de services dites complexes. De telles prestations, fournies en complément de la mise à disposition d’entrepôts, sont susceptibles d’entrainer des conséquences tant en matière de TVA qu’en matière d’impôt sur les sociétés («IS») dans certaines situations.
Par Gaëtan Berger-Picq, avocat associé en fiscalité. Il conseille et assiste les entreprises, notamment en immobilier, dans l’ensemble des sujets relatifs à la TVA et à la taxe sur les salaires ainsi que dans le suivi et la gestion des contrôles et contentieux fiscaux (gaetan.berger-picq@cms-fl.com); et Mary Lédée, avocat en fiscalité (mary.ledee@cms-fl.com).
La problématique de qualification au regard de la TVA
La mise à disposition d’entrepôts logistiques est soumise à des régimes fiscaux différents selon qu’elle s’accompagne ou non de services connexes et selon l’importance de ces derniers.
Au regard de la TVA, la problématique de qualification des opérations complexes est d’actualité puisque le projet de loi de finances pour 2021 propose de légaliser une «clarification» des règles établies au fil du temps par la jurisprudence, notamment de la Cour de justice de l’Union européenne.
Les enjeux sont multiples : outre la territorialité des services, le régime de taxation en dépend car, selon que la prestation s’analyse ou non en une location immobilière, elle est exonérée de TVA ou taxable de plein droit, ou sur option.
Chaque opération imposable à la TVA est considérée comme distincte et indépendante et suit son régime propre, déterminé en fonction de son élément principal ou de ses éléments autres qu’accessoires.
L’étendue d’une opération est déterminée au terme d’une appréciation d’ensemble, réalisée du point de vue du consommateur normalement exigeant. Elle tient compte de l’importance des différentes composantes de l’opération en termes de quantité et de qualité ainsi que de l’ensemble des circonstances dans lesquelles l’opération se déroule.
Relèvent ainsi d’une opération unique les éléments si étroitement liés qu’ils forment une seule prestation économique indissociable dont la décomposition revêtirait un caractère artificiel. Lorsqu’un élément est accessoire à un ou plusieurs autres éléments, il relève de la même opération que ces derniers.
Par exemple, le «self stockage» qui inclut la présence de personnel aux horaires d’ouverture, le gardiennage et la surveillance des locaux, la mise à disposition de matériel de manutention et la fourniture d’électricité et de chauffage, s’analyse en principe en une prestation unique globalement distincte de la location.
Elle est alors taxable à la TVA de plein droit au taux normal, à la différence d’une location nue d’entrepôt qui serait exonérée de TVA, sauf option du bailleur en faveur de la taxation volontaire.
L’immeuble demeurant central dans le service, l’opération est a priori localisée dans l’Etat où il se situe.
Rappelons en effet que l’article 47 de la directive 2006/112/CE soumet les prestations se rattachant à un immeuble à la TVA de l’Etat dans lequel l’immeuble se situe, par dérogation à la règle générale de l’article 44 entre assujettis, localisant les services au lieu d’établissement du preneur.
«Autant il ne fait pas de doute que la simple mise à disposition des entrepôts s’analyse en une location, autant il convient de procéder à un examen au cas par cas lorsqu’elle est accompagnée de services connexes.»
L’article 31 bis du règlement d’exécution n°1042/2013 du Conseil, du 7 octobre 2013, précise que notamment, le crédit-bail ou la location d’un bien immeuble, y compris l’entreposage de biens dans une partie spécifique de l’immeuble affectée à l’usage exclusif du preneur entrent dans la catégorie de services se rattachant à un immeuble.
Pour savoir si un service complexe d’entreposage s’analyse en une location au regard de la TVA, il convient de répondre aux deux questions suivantes :
– l’entreposage est-il fourni avec d’autres services si étroitement liés qu’ils forment une prestation indissociable, dont l’élément entreposage reste, en tout état de cause, la prestation principale recherchée par la clientèle ?
– l’entreposage est-il fourni avec d’autres services qui représentent pour la clientèle non pas une fin en soi, mais simplement le moyen de bénéficier dans les meilleures conditions du service d’entreposage (alors dits «accessoires») ?
Si la réponse à l’une de ces deux questions est affirmative, la prestation complexe doit être traitée comme une prestation unique.
Dès lors qu’une partie spécifique du site d’entreposage est affectée à l’usage exclusif du preneur, les services indissociables, dans le premier cas, et tous les éléments de la prestation complexe, dans le deuxième cas (à la fois l’entreposage de biens et les services accessoires), sont soumis à la TVA à l’endroit où le site d’entreposage est situé.
En pratique, autant il ne fait pas de doute que la simple mise à disposition des entrepôts s’analyse en une location au regard de la TVA, autant il convient de procéder à un examen au cas par cas lorsqu’elle est accompagnée de services connexes.
«Dès lors que les loyers sont déjà imposables en France, de telles prestations, si elles sont incluses dans le coût du loyer, devraient être sans incidence pour le bailleur, qu’il soit ou non résident fiscal français.»
Le risque IS lié à la création d’un établissement stable («ES»)
Il est communément admis que la simple détention d’un actif immobilier en France aux fins de location n’est pas constitutive d’un ES français. Il peut toutefois en être autrement lorsque le bailleur fournit, en plus de la mise à disposition des locaux, des prestations supplémentaires.
En pratique, dès lors que les loyers sont déjà imposables en France en application du droit interne français et de la plupart des conventions fiscales internationales, de telles prestations, si elles sont incluses dans le coût du loyer, devraient être sans incidence pour le bailleur, qu’il soit ou non résident fiscal français.
Elles pourraient toutefois avoir un impact pour l’entreprise locataire lorsque celle-ci est non-résidente si le bailleur venait à être regardé comme constitutif d’un ES français de son locataire. On peut se demander s’il pourrait en être ainsi par exemple lorsque le bailleur est en charge - en sus de la location stricto sensu - du passage à quai des marchandises comprenant leur réception et leur dépôt puis de la préparation et de l’expédition des commandes aux destinataires finaux.
Dans une telle situation, le principal risque pourrait être la qualification du bailleur d’agent dépendant du locataire afin d’attraire l’imposition des bénéfices de ce dernier en France. En effet, l’article 12 de la convention multilatérale («MLI») ratifiée par la France a élargi la définition de l’agent dépendant qui suffit à caractériser un ES. Ainsi, l’indépendance de l’agent permettant d’éviter la qualification d’ES est écartée lorsque ce dernier agit exclusivement ou presque exclusivement pour le compte d’une ou plusieurs entreprises auxquelles il est étroitement lié. Au sens de la convention MLI, une personne est «étroitement liée à une entreprise» lorsque «compte tenu de l’ensemble des faits et circonstances pertinents, l’une est sous le contrôle de l’autre ou toutes les deux sont sous le contrôle des mêmes entreprises». Un tel contrôle peut être aussi bien capitalistique qu’économique.
En pratique, les entreprises spécialisées dans la vente en ligne pourraient potentiellement être concernées dans les cas où elles seraient l’unique locataire de leur bailleur/prestataire. La qualification d’agent dépendant du bailleur supposerait toutefois que ce dernier ait le pouvoir de contracter pour le compte de son locataire ou à tout le moins de jouer un rôle principal dans la conclusion des contrats entre le locataire et ses clients. De telles conditions ne devraient pas être satisfaites dans les faits dans la mesure où, en général, le bailleur n’intervient pas dans le processus commercial.