Bon nombre d’immeubles constituent des œuvres architecturales. A ce titre, ils sont éligibles à la protection par le droit d’auteur à condition de satisfaire au critère d’originalité. Cette protection confère à l’architecte le droit d’autoriser ou d’interdire toute reproduction et/ou représentation de sa création par un tiers, en vertu des articles L. 122-2 et L. 122-3 du Code de la propriété intellectuelle (CPI).
Par Prudence Cadio, avocat en droit de la propriété intellectuelle et droit des nouvelles technologies. Elle intervient tant en conseil qu’en contentieux dans la protection du patrimoine intellectuel de ses clients et les accompagne dans leur développement numérique. prudence.cadio@cms-bfl.com
Ainsi, toute personne qui représenterait, fixerait et diffuserait l’image d’un immeuble (jeu vidéo à réalité augmentée, photographie, carte postale) sans l’autorisation du titulaire des droits d’auteur y attachés serait susceptible d’être poursuivi pour contrefaçon.
Au regard de la rigueur de ce principe, la reproduction de l’image des immeubles placés sur la voie publique a fait naître de nombreux contentieux lorsque des personnes souhaitant reproduire une vue panoramique devaient nécessairement capturer l’image d’une œuvre architecturale. Une exception aux droits de l’auteur a alors été développée par les tribunaux, mais ses contours ont été redessinés par l’exception de panorama nouvellement introduite par la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique, à l’article L. 122-5 11° du CPI.
Avant l’entrée en vigueur de ce texte, une solution fondée sur la théorie de l’accessoire avait été élaborée par la jurisprudence, consacrée notamment par l’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 15 mars 2005. Dans ce litige, la Cour avait refusé de faire droit aux auteurs qui s’opposaient à la diffusion d’une carte postale représentant la Place des Terreaux à Lyon sur laquelle leurs œuvres étaient également exposées au motif que «l’œuvre se fondait dans l’ensemble architectural de la Place des Terreaux dont elle constituait un simple élément».
En vertu de cette exception jurisprudentielle, une œuvre architecturale située dans un espace public pouvait être reproduite, à titre commercial ou non, sans autorisation du titulaire des droits, à condition qu’elle ne constitue pas le sujet principal de la reproduction. Tel était notamment le cas lorsque l’immeuble figurait en arrière-plan d’une prise de vue plus large.
Le nouvel article L. 122-5 11° du CPI modifie les contours de cette exception en disposant que : «Lorsque l’œuvre a été divulguée, l’auteur ne peut interdire : les reproductions et représentations d’œuvres architecturales et de sculptures, placées en permanence sur la voie publique, réalisées par des personnes physiques, à l’exclusion de tout usage à caractère commercial.»
L’exception est ainsi limitée aux actes de reproduction et de représentation effectués par une personne physique à des fins non commerciales. Toute reproduction ou représentation de l’image d’un bien par une personne morale et/ou à des fins commerciales nécessite donc désormais l’autorisation de l’architecte.
Compte tenu de l’interprétation stricte des exceptions en matière de droits d’auteur, l’appréciation de l’image d’un immeuble au regard de la théorie de l’accessoire ne devrait plus être retenue par les tribunaux dès lors qu’elle pourrait entrer en conflit avec l’exception de panorama.
En effet, cette disposition restreint la solution prétorienne préexistante en excluant la possibilité de diffuser et d’exploiter l’image de l’immeuble sans l’autorisation de l’auteur, quand bien même l’immeuble ne serait reproduit qu’à titre accessoire au sein d’un ensemble plus vaste. Dans une affaire similaire à celle de la Place des Terreaux, un éditeur de cartes postales pourrait désormais être condamné en contrefaçon par application de l’article L. 122-5 11° du CPI. Dans une application plus contemporaine, les éditeurs de jeux vidéo à réalité augmentée ne devraient pas pouvoir invoquer cette exception pour capter l’image de l’immeuble et devraient ainsi obtenir le consentement de l’architecte pour intégrer l’œuvre aux jeux.
Ainsi, si la loi pour la République numérique a le mérite d’énoncer une exception légale de panorama, elle en limite sévèrement la portée.