Dans un arrêt du 11 mai dernier (n° 390118) le Conseil d’Etat envisage la possibilité pour une personne publique de conclure un bail à construction sur son domaine public alors que celui-ci est «inaliénable et imprescriptible» (art. L. 3111-1 du Code général de la propriété des personnes publiques – CGPPP). Le Conseil d’Etat admet que l’assiette des droits réels de l’occupant du domaine public inclut le terrain.
Par Jean-Luc Tixier, avocat associé en droit immobilier et droit public. Il assiste tant en matière de conseil que de contentieux des entreprises commerciales et industrielles. Il intervient auprès des promoteurs en matière de droit de l’urbanisme, de construction, de vente et location d’immeubles, de baux emphytéotiques et à construction. Il est chargé d’enseignement à l’Université Paris I. jean-luc.tixier@cms-bfl.com
La durée du bail à construction sur le domaine public, tel que conçu par la Haute juridiction, ne peut atteindre 99 ans (Titre V, L. 251-1 du Code de la construction et de l’habitation), mais ne peut dépasser 70 ans (L. 2122-6 du CGPPP).
La cession du droit réel par l’occupant du domaine public est soumise à agrément du propriétaire du domaine (L. 21222-7 du CGPPP), ce que ne peut prévoir un bail à construction de droit privé.
L’hypothèque du droit réel et des constructions n’est possible que «pour garantir les emprunts contractés en vue de financer la réalisation, la modification ou l’extension des ouvrages immobiliers sur le domaine public» (L. 2122-8 du CGPPP) alors que le droit d’hypothéquer librement ses droits par le preneur à construction de droit privé est essentiel.
Le Conseil d’Etat admet la possibilité de régulariser le bail afin qu’il soit compatible avec les règles de domanialité publique.
Mais le contenu de cette régularisation interpelle : le Conseil d’Etat semble envisager que le bail à construction puisse tout à la fois respecter les exigences édictées par les règles de la domanialité publique et celles du droit privé. Ceci conduit à un contrat qui possédera des caractéristiques antinomiques avec les caractères essentiels de cette institution.
Certes le législateur a pu dénommer «bail emphytéotique» (et renvoyer aux règles de droit privé) un contrat qui n’en possède pas les caractères essentiels, ou renvoyer, s’agissant des servitudes de l’article L. 2122-4 du CGPPP, à certaines règles du Code civil, mais il en résulte des incompatibilités, sinon incohérences et, s’agissant de ces deux institutions, la transposition en droit public d’institutions de droit privé conduit de façon inéluctable à la création d’instruments juridiques hybrides et, au final, peu lisibles.
En cas de conclusion d’un bail à construction, par nature de droit privé, sur le domaine public, telle qu’envisagée par le Conseil d’Etat, que restera-t-il d’un bail ainsi conçu ? Le nom sans la chose ! En effet, l’accommodation aux règles du CGPPP à laquelle invite le Conseil d’Etat implique bien plus que de simples «ajustements». Il semblera bien difficile de parler d’un «bail à construction» ; il s’agira d’un «équivalent» bail à construction ou «simili-bail à construction». Or, en l’absence d’un régime légal instituant ce qui serait alors un «bail à construction administratif», on peine à apprécier la fiabilité de la solution que cet arrêt invite à mettre en place.
En effet, le Conseil exclut qu’un tel bail puisse contenir des clauses incompatibles avec les dispositions du CGPPP mais il occulte le fait que cette mise en compatibilité impose que le contrat contienne alors des clauses incompatibles avec les caractères essentiels de cette institution tels qu’édictés par les articles L. 251-1 et suivants du Code de la construction et de l’habitation, qui en remettent en cause la nature. Il n’est pas certain que les praticiens soient enclins à se lancer dans un tel exercice.