Au regard du monopole bancaire français, seuls les établissements de crédit et les sociétés de financement peuvent, par principe, effectuer des opérations de crédit à titre habituel. Les possibilités pour un fonds français d’octroyer des prêts sont donc limitées. Ces contraintes tendent néanmoins à se réduire au regard de l’évolution de la réglementation permettant désormais à certains fonds d’octroyer des prêts aux entreprises, notamment afin de financer des investissements immobiliers.
Par Grégory Benteux, avocat associé, responsable de l’activité Titrisation et financements structurés. Il intervient notamment dans la structuration de véhicules de titrisation et d’opérations de financements immobiliers. gregory.benteux@cms-bfl.com
Alexandre Bordenave, avocat au sein de l’équipe Titrisation et financements structurés. Il intervient notamment dans la structuration de véhicules de titrisation et d’opérations de financements immobiliers. alexandre.bordenave@cms-bfl.com
et Damien Luqué, avocat au sein de l’équipe Services financiers. Il intervient dans la structuration de véhicules immobiliers (OPCI, SCPI, FPS) au bénéfice de sociétés de gestion ou d’établissements financiers. damien.luque@cms-bfl.com
L’évolution du principe de monopole bancaire français
L’article L. 511-5 du Code monétaire et financier («CMF») interdit à «toute personne autre qu’un établissement de crédit ou une société de financement d’effectuer des opérations de crédit à titre habituel».
Les opérations de crédit sont définies à l’article L. 313-1 du CMF comme «tout acte par lequel une personne agissant à titre onéreux met ou promet de mettre des fonds à la disposition d’une autre personne ou prend, dans l’intérêt de celle-ci, un engagement par signature tel qu’un aval, un cautionnement, ou une garantie».
Ne bénéficiant pas du monopole bancaire, les fonds ne sont donc pas, par principe, autorisés à réaliser des opérations bancaires. Cependant, cette interdiction est largement atténuée par l’article L. 511-6 du CMF qui autorise, notamment, les fonds d’investissement alternatif («FIA») à réaliser des opérations de crédit «sans préjudice des dispositions particulières qui leur sont applicables». Le principe est donc que les FIA peuvent réaliser des opérations de crédit, pour autant que les dispositions qui les régissent le permettent.
C’est ainsi que certains fonds peuvent aujourd’hui réaliser des opérations de crédit. A titre d’exemple, on peut citer les organismes de titrisation dont l’objet principal est d’acquérir des créances à terme (ce type de transaction étant qualifié d’opération de crédit). Dans une moindre mesure, il est également possible pour certains fonds d’investissement d’octroyer des avances en compte courant à des sociétés dans lesquelles ils détiennent une ou plusieurs participations1. Cependant, s’agissant de la possibilité pour un FIA d’octroyer des prêts, les quelques ouvertures ne permettaient pas à ces fonds d’être des acteurs autonomes du financement des entreprises, y compris dans le domaine immobilier.
Comme souvent, les initiatives européennes en matière de gestion d’actifs et de financement de l’économie ont fait bouger les lignes de la réglementation bancaire française. A titre d’illustration, le règlement (UE) n° 345/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2013 relatif aux fonds de capital-risque européens («EuVECA»), qui est d’application directe en France, intègre parmi les actifs éligibles à l’EuVECA «les prêts […] consentis par [l’EuVECA] à une entreprise du portefeuille éligible […]». Plus récemment encore et, de manière plus significative, le règlement FEILT2 donne également la possibilité aux FEILT d’octroyer des prêts aux entreprises éligibles.
L’entrée en application du règlement FEILT, depuis décembre 2015, et l’impossibilité pour les fonds français agréés FEILT de pouvoir octroyer des prêts aux entreprises cibles avaient justifié la mise en place par l’Autorité des marchés financiers («AMF») d’une réflexion sur «la possibilité d’adapter les règles françaises pour qu’un fonds de droit français puisse prêter»3.
La loi de finances rectificative n° 2015-1786 du 29 décembre 2015 (la «Loi Rectificative») est venue consacrer la possibilité donnée à certains FIA français (c’est-à-dire les fonds professionnels spécialisés, les fonds professionnels de capital-investissement et les organismes de titrisation) de conclure des prêts «lorsqu’ils ont reçu l’autorisation d’utiliser la dénomination de FEILT […] ou dans les conditions fixées par décret en Conseil d’Etat.».
Un projet de décret fixant les conditions dans lesquelles certains FIA peuvent octroyer des prêts (le «Décret») vient quant à lui préciser, notamment :
– les conditions d’organisation de la société de gestion souhaitant gérer ce FIA ;
– la liste des bénéficiaires du prêt ;
– les caractéristiques du prêt octroyé (maturité, levier).
Ce projet de Décret est perfectible et montre que le Gouvernement et les régulateurs adoptent pour l’heure une démarche excessivement prudente. On peut notamment regretter que le fait que certains fonds puissent déjà acquérir des créances de prêts (notamment les organismes de titrisation) n’ait pas conduit à limiter les contraintes exigées lorsqu’il s’agit d’octroyer ces mêmes prêts. Par ailleurs, le projet de Décret prévoit des règles sensiblement identiques pour chaque type de fonds ; pour les organismes de titrisation, cela conduit à introduire des contraintes en matière de liquidité ou de levier, qui n’existent pas nécessairement lorsque ces organismes de titrisation procèdent à l’acquisition de prêts de même nature.
A ce jour, le Décret n’a toujours pas été publié, seule l’instruction AMF 2016-02 relative à l’organisation des sociétés de gestion de portefeuille pour la gestion de FIA qui octroient des prêts («Instruction AMF») l’ayant été4. Cette Instruction AMF vient détailler les conditions d’organisation de la société de gestion en imposant la mise en place d’un ensemble de mesures additionnelles et, notamment :
– un système d’analyse de crédit spécifique à l’octroi de prêts (mise en place d’une procédure écrite d’octroi de prêts) ;
– un système de valorisation des prêts ;
– des moyens humains disposant d’une expertise en prêts ;
– un audit juridique devant être mis en place avant l’octroi des prêts ;
– une procédure de traitement des conflits d’intérêt.
L’utilisation des fonds dans le financement des transactions immobilières
Comme nous l’avons vu précédemment, seuls les fonds professionnels spécialisés, les fonds professionnels de capital-investissement et les organismes de titrisation pourront octroyer des prêts à des entreprises. A ce stade, ni la Loi Rectificative ni le Décret n’ont ouvert cette possibilité aux organismes professionnels de placements collectifs immobiliers («OPPCI») alors même qu’un OPPCI pourrait être agréé en qualité de FEILT.
Les trois catégories de FIA visées permettent la mise en place d’opérations de financement de sociétés procédant à l’acquisition d’un bien immobilier, puisque les entreprises conduisant des activités immobilières sont éligibles tant au regard des règles FEILT5 que de celles proposées par le projet de Décret.
Bien entendu, certains de ces fonds participent déjà au financement d’actifs immobiliers par l’acquisition de créances de prêts : le nouveau contexte réglementaire permettra de le faire plus directement et en rendant les négociations plus fluides, en évitant par exemple le recours à une banque intermédiaire.
Ces nouvelles possibilités auront sans doute un impact sur les stipulations régissant les prêts accordés. Par exemple, le FIA peut demander à ce que certaines stipulations du contrat de crédit soient adaptées afin de tenir compte de sa situation particulière, comme les conditions de taux proposées ou la clause de «coûts de rupture», applicable lorsque les fonds réservés ne sont pas mis à disposition ou en cas de remboursement anticipé du prêt. Il existe d’autres particularités, aussi opérationnelles que financières, dont la maîtrise permet de rendre plus aisée la réalisation de ces opérations.
1. Voir notamment l’article L. 214-28 du CMF pour les FCPR, l’article L. 214-42 du CMF pour les OPCI ou encore l’article L. 214-160 du CMF pour les FPCI.
2. Règlement (UE) 2015/760 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2015 relatif aux fonds européens d’investissement à long terme («FEILT»).
3. Voir la consultation publique lancée le 22 octobre 2015 par l’AMF sur la possibilité pour un fonds d’investissement d’octroyer des prêts.
4. Instruction publiée le 27 juin 2016.
5. Sous réserve de respecter les conditions strictes applicables aux «actifs physiques» telles que définies dans le règlement FEILT (par exemple : montant minimum et usage conféré à l’actif).