Depuis plusieurs années, la pratique du «bail à durée ferme», à savoir un bail commercial interdisant au preneur de résilier le bail à l’expiration d’une ou plusieurs périodes triennales, s’est généralisée sous l’impulsion de bailleurs recherchant un rendement locatif pérenne.
Par Aline Divo, avocat associé spécialisé en droit immobilier, CMS Bureau Francis Lefebvre. Elle intervient dans tous les domaines du droit immobilier et plus particulièrement en matière de construction et de baux commerciaux.
En modifiant l’article L. 145-4 du Code de commerce, l’article 2 de la loi Pinel du 18 juin 2014 perturbe cette pratique. Désormais, un bail commercial d’une durée de neuf ans ne peut plus prévoir une renonciation du preneur à sa faculté de résiliation triennale, à l’exception de trois catégories de baux dont les contours ne sont pas parfaitement définis. Il s’agit en premier lieu des baux de locaux construits en vue d’une seule utilisation. On relèvera que le législateur n’a pas utilisé la notion de locaux monovalents. A notre avis, il faut supposer que sont visés les locaux dits «monovalents» tels que mentionnés à l’article R. 145-10 du Code de commerce (théâtres, cinémas, boulangeries dotées d’un four par exemple). Si certains locaux peuvent être considérés comme indiscutablement monovalents, d’autres posent difficulté en l’absence de définition générale de la notion.
En second lieu, sont visés les baux des locaux à usage exclusif de bureaux. Selon la jurisprudence actuelle, la notion de bureaux au sens de l’article R. 145-11 du Code de commerce recouvre les locaux utilisés pour des activités administratives mais également tous les locaux affectés à la réception de la clientèle dès lors qu’ils ne servent ni au dépôt ni à la livraison de marchandises. Les juges s’attachent à l’activité autorisée par le bail plutôt qu’aux caractéristiques physiques des locaux. Dès lors, sont concernés tant les bureaux proprement dits (sièges sociaux ou administratifs des entreprises) que les «bureaux boutiques» (agences bancaires, agences immobilières, agences de voyage ou agences de publicité).
En troisième lieu, sont visés les baux de locaux de stockage mentionnés au 3° du III de l’article 231 ter du Code général des impôts. Il s’agit des locaux ou aires couvertes destinés à l’entreposage de produits, de marchandises ou de biens et qui ne sont pas intégrés topographiquement à un établissement de production. Sont essentiellement visés les entrepôts autonomes. La définition mentionnée par l’article 231 ter du Code général des impôts n’étant pas limpide, elle devrait susciter de nombreuses interrogations sur sa portée. En outre, il convient de relever que la loi Pinel n’a pas modifié l’article L. 145-7-1 du Code de commerce relatif aux baux commerciaux signés entre les propriétaires et les exploitants de résidences de tourisme mentionnées à l’article L. 321-1 du Code de tourisme lequel prévoit que ces baux «sont d’une durée de neuf ans minimum, sans possibilité de résiliation à l’expiration d’une période triennale». A notre avis, pour cette catégorie de baux, dès lors qu’il s’agit de résidences de tourismes classées, le bail initial de neuf ans est forcément conclu pour une durée ferme en dépit de la nouvelle rédaction de l’article L.145-4 du Code de commerce.
Par ailleurs, le nouvel article L. 145-4 du Code de commerce prévoit que si le bail est conclu pour une durée supérieure à neuf ans, la faculté de conclure un bail d’une durée ferme est rétablie pour tous les locaux, quelle que soit leur nature. Compte tenu de la nouvelle rédaction de l’article L. 145-4 du Code de commerce, de nombreux bailleurs investisseurs devraient refuser de proposer des baux d’une durée de neuf ans pour les locaux portant sur des commerces de détail, des locaux à usage mixte (bureaux et commerces), des fonds artisanaux, des fonds industriels ainsi que pour l’ensemble des baux visés à l’article L. 145-2 du Code de commerce et les baux régis par une application conventionnelle du statut des baux commerciaux. La pratique du bail d’une durée de dix ans, avec renonciation du preneur à sa faculté de résiliation triennale, devrait dès lors se généraliser. Le preneur qui signera ce type de bail devra tenter de négocier des clauses rédigées dans un sens favorable à ses intérêts comme notamment une franchise de loyers de plusieurs mois, une clause de travaux de mise aux normes relativement équilibrée entre les parties, une possibilité de sous-location des locaux élargie et/ou une possibilité de céder le droit au bail aux sociétés du groupe du preneur.
En outre, le preneur devra tenter de négocier dans le bail une clause définissant les modalités de fixation du loyer lors du renouvellement prévoyant la règle du «plafonnement» du loyer. Cette clause devrait être acceptée par le bailleur sauf si elle porte sur des locaux à usage exclusif de bureaux ou des locaux monovalents. Si aucune clause n’est prévue, le «plafonnement» du loyer initial ne s’appliquera pas dès lors que le bail aura été conclu pour une durée supérieure à neuf ans. Il en résultera que le loyer de renouvellement sera fixé à la valeur locative. Il faudra également veiller à ce que la clause sur la fixation du loyer de renouvellement ne vise pas l’indice du coût de la construction (ICC) pour le calcul du loyer plafond mais l’indice des loyers commerciaux (ILC) ou l’indice des loyers des activités tertiaires (ILAT). En effet, en modifiant l’article L. 145-34 du Code de commerce, la loi Pinel ne permet plus de recourir à cet indice pour la détermination du loyer plafond lors du renouvellement du bail. Par ailleurs, avant la loi Pinel du 18 juin 2014, il était possible de prévoir dans le bail commercial des échéances de résiliation pour le preneur plus courtes que la période triennale, par exemple tous les ans. Cette pratique était fondée sur le fait que l’article L. 145-4 alinéa 2 du Code de commerce prévoyait la faculté de donner congé à l’expiration d’une période triennale «à défaut de convention contraire». La cour d’appel de Paris avait validé cette position. La loi Pinel, en supprimant la référence à la mention de «sauf stipulation contraire» dans la deuxième phrase de l’article L. 145-4 du Code de commerce, rend désormais incertaine cette pratique pour les baux de neuf ans qui ne relèvent pas de l’une des trois catégories de locaux susvisées. La question est d’autant plus délicate que les stipulations contraires aux dispositions de l’article L. 145-4 du Code de commerce sont désormais réputées non écrites en vertu de la nouvelle rédaction de l’article L. 145-15 du Code de commerce.
En effet, la loi Pinel a modifié l’article L. 145-15 du Code de commerce qui prévoyait que certaines clauses étaient nulles et de nul effet. Il en résulte que l’action tendant à voir sanctionner une clause contraire à l’article L. 145-4 du Code de commerce n’est plus soumise à la prescription biennale. Cette action est désormais imprescriptible, elle peut être exercée à tous moments. En outre, compte tenu de la suppression des termes «à défaut de convention contraire» dans la deuxième phrase de l’article L. 145-4 du Code de commerce, la jurisprudence qui permettait d’insérer dans un bail commercial une clause prévoyant qu’en cas d’exercice de sa faculté de résiliation triennale, le preneur verserait une indemnité au bailleur destinée à compenser le préjudice subi par le bailleur du fait de la résiliation anticipée du bail, n’est à notre avis plus applicable pour un bail d’une durée de neuf ans qui ne relève pas de l’une des trois catégories susvisées. Il résulte de tout ce qui précède que le bail commercial d’une durée de neuf ans, à l’exception de certaines catégories de baux, perd son attractivité pour le bailleur investisseur. Cette situation va indubitablement induire des conséquences dans la négociation des nouveaux baux et en particulier lors du renouvellement des baux actuels. Les praticiens doivent imaginer de nouvelles rédactions de clauses afin de contrer les effets de la loi Pinel et d’espérer limiter les contentieux.