Afin de lutter contre le travail dissimulé, le code du travail prévoit l’obligation pour le donneur d’ordre de vérifier, au moment de la conclusion d’un contrat de prestations de services, puis tous les six mois jusqu’à son terme, que son cocontractant s’acquitte de ses obligations déclaratives, paie ses cotisations sociales et n’emploie pas de travailleurs étrangers sans titre de travail.
Par Aline Divo, avocat associé spécialisé en droit immobilier et Caroline Froger-Michon, avocat spécialisé en droit social.
L’objectif est de s’assurer que le personnel employé par le prestataire l’est de manière régulière. Cette obligation de vérification s’impose au cocontractant implanté en France ou à l’étranger. Si le donneur d’ordre ne procède pas à cette vérification, il encourt des sanctions civiles et pénales. Le donneur d’ordre a une obligation de vigilance mais aussi de diligence. Une simple demande de documents ne suffit pas à l’exonérer de sa responsabilité. En cas de sous-traitance, il doit également vérifier que le sous-traitant est en capacité de traiter le marché.Par un arrêt du 7 novembre 2013, la cour d’appel de Chambéry fait application de ces règles à l’encontre d’un maître d’ouvrage. En l’espèce, le maître d’ouvrage avait confié le gros œuvre d’un chantier de construction à la société Pala, qui avait elle-même sous-traité auprès d’une entreprise polonaise, Manualis, à laquelle elle avait fourni l’ensemble du matériel nécessaire à la réalisation de l’opération. Cette dernière avait alors détaché des ouvriers polonais en France pour réaliser ce chantier. A la suite d’un accident du travail sur le chantier d’un ouvrier polonais, une enquête révèle de nombreuses infractions aux règles de sécurité conduisant l’inspection du travail à ordonner l’arrêt immédiat du chantier.
Après examen de la chaîne contractuelle, une fausse sous-traitance est établie par l’inspection du travail, destinée exclusivement à fournir de la main-d’œuvre non déclarée. En effet, les ouvriers polonais, s’ils étaient officiellement employés par l’entreprise polonaise, travaillaient en réalité sous la subordination directe de la société Pala. Le contrat de sous-traitance visait uniquement à fournir de la main-d’œuvre, à bas coût.La cour d’appel de Chambéry condamne non seulement la société Pala et la société Manualis pour prêt illicite de main-d’œuvre et marchandage mais également le maître d’ouvrage. Elle relève que le maître d’ouvrage avait agréé le contrat de sous-traitance signé entre la société Pala et Manualis ; n’avait jamais contesté être informé de tout ce qui concernait l’opération de construction ; était destinataire d’un courrier de l’inspection du travail qui attirait son attention sur la régularité de la sous-traitance intervenue. Dans ces conditions, la Cour considère que le maître d’ouvrage avait, en connaissance de cause, prêté son concours aux pratiques illicites de son cocontractant en omettant de satisfaire aux obligations de contrôle imposées par la loi.
Elle retient l’existence d’une opération de travail dissimulé et un délit de marchandage. En effet les salariés polonais détachés n’ont pas bénéficié des dispositions d’ordre public de la loi française en particulier en matière d’hygiène et de sécurité, applicables en cas de détachement intra-communautaire. Cette décision s’inscrit dans le cadre du renforcement de la lutte contre le travail dissimulé, dans le secteur du BTP, tant au niveau européen que français. En effet, le 9 décembre dernier, les ministres européens ont décidé de remettre à plat la directive de 1996 relative au détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de service. L’idée est de renforcer les contrôles pour lutter contre le dumping social. A cet égard, il est prévu d’instaurer, pour le seul secteur du BTP, une responsabilité solidaire du donneur d’ordre vis-à-vis de ses sous-traitants, de manière obligatoire, dans tous les Etats de l’Union européenne. Les donneurs d’ordres devront désormais, dans chacun des pays de l’Union, vérifier les pratiques de leurs sous-traitants. Ils pourraient ainsi être poursuivis pour les fraudes constatées chez leurs sous-traitants. Une chaîne des responsabilités pourrait donc être établie pour lutter contre les schémas frauduleux.
Une coopération entre les pays européens serait également mise en place.En France, le ministre du Travail a récemment annoncé la mise en place d’un plan de lutte contre le travail dissimulé et les fraudes au détachement en Europe qui prévoit notamment une intensification des contrôles de l’inspection du travail, un ciblage des pratiques contestables et un renforcement des compétences des services de contrôle. Les inspecteurs pourraient désormais infliger directement des amendes aux entreprises contrevenantes et leurs pouvoirs en matière de blocage des chantiers pourraient être élargis. Dès lors, plus que jamais l’attention des maîtres d’ouvrage doit être attirée sur leurs responsabilités. Une prudence particulière est recommandée en cas de sous-traitance. Le respect des obligations de vigilance et de diligence doit en particulier inciter les maîtres d’ouvrage à se méfier des entrepreneurs qui proposeraient une prestation à un prix très inférieur aux pratiques du marché.