Parmi les nombreuses dispositions réformant le statut des baux commerciaux que contient la loi Pinel figurent celles qui apportent de substantielles adaptations au régime des baux qualifiés de «dérogatoires» par la pratique, conclus à compter du 1er septembre 2014.
Par Jean-Luc Tixier, avocat associé, spécialisé en droit immobilier et droit public, CMS Bureau Francis Lefebvre. Il assiste tant en matière de conseil que de contentieux des entreprises commerciales et industrielles et intervient auprès des promoteurs en matière de droit de l’urbanisme, de construction, de vente et location d’immeubles, de baux emphytéotiques et à construction. Il est chargé d’enseignement à l’Université de Paris I.
Par la combinaison de plusieurs dispositions, la «courte durée» pour laquelle le bailleur et le preneur peuvent se lier est tout à la fois de prime abord allongée, mais au final substantiellement raccourcie.
Le bail dérogatoire : plus long…
Jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi Pinel, les parties pouvaient se lier par un ou plusieurs baux dérogatoires au statut des baux commerciaux, dès lors que la durée totale du bail ou des baux successifs n’excédait pas deux ans. La rédaction de l’article L. 145-5 du Code de commerce telle qu’issue de la loi Pinel maintient cette possibilité mais en portant cette durée maximale à trois ans.
Les travaux parlementaires révèlent de façon fort surprenante que l’objectif poursuivi est d’améliorer les conditions pour tester la rentabilité d’une activité commerciale ou artisanale, en cette période d’incertitude pour le commerce ; or cet objectif est suffisamment atteint par l’exercice du congé triennal dans le bail commercial.
… mais moins pérenne
La situation des parties à l’expiration de la durée maximale de trois ans du ou des baux dérogatoires évolue sensiblement.
Si le locataire reste dans les lieux sans opposition du bailleur, il ne naît plus un nouveau bail régi par le statut des baux commerciaux dès le lendemain du jour de l’expiration du bail. Désormais les parties disposent d’un délai d’un mois «à compter de l’expiration de la période de trois ans» pour manifester leur volonté d’échapper au statut des baux commerciaux1. Ceci se traduit respectivement par le fait pour le preneur de quitter les lieux et pour le bailleur de faire connaître au locataire sa volonté de le voir quitter les lieux.
La troisième voie, qui consistait pour les parties à acter leur renonciation au bénéfice du statut et à conclure à nouveau une ou plusieurs nouvelles conventions dérogatoires n’excédant pas trois ans, ne semble plus possible ; la reconnaissance de cette possibilité par la jurisprudence2, dès lors que les strictes conditions par cette dernière étaient remplies, avait contribué au développement notable de cette pratique.
Désormais, à l’issue de la période maximale de trois ans, les parties ne pourront «plus» conclure un nouveau bail dérogeant au statut des baux commerciaux pour exploiter le même fonds dans les mêmes locaux3.
Si les parties veulent que le même fonds continue d’être exploité dans le cadre d’un bail dérogatoire, cela supposera que le bailleur dispose d’un autre local à cet effet.
A défaut, si les parties souhaitent se lier par un bail dérogatoire au titre du même local il faudra que ce soit pour y exploiter un autre fonds4. Cette solution marque un assouplissement par rapport à la jurisprudence selon laquelle tout nouveau bail conclu entre les mêmes parties et portant sur le même local était soumis au statut, sans considération de l’activité autorisée, fût-elle différente5. Reste que l’efficacité de ce schéma supposera d’analyser avec vigilance le point de savoir si l’on est bien, ou non, en présence d’un «autre fonds». L’abondante jurisprudence rendue en matière de cession de fonds déguisant une cession de bail pourra aider à l’analyse.
Par ailleurs, l’obligation d’établissement d’un état des lieux d’entrée et de sortie est aussi étendue à ce type de bail.
1. C. com. art. L. 145-5, al. 2 modifié.
2. V. notamment Cass. 3e civ. 5-5-1999 n° 97-19 163 : RJDA 7/99 n° 766 ; Cass. 3e civ. 2-4-2003 n° 01-14 898 : RJDA 7/03 n° 698.
3. C. com. art. L. 145-5, al. 1.
4. Avis sén. n° 446.
5. Cass. 3e civ. 31-5-2012
n° 11-15 580 : RJDA 10/12 n° 831.