La lettre des fusions-acquisition et du private equity

Octobre 2020

L’imprévision : une arme efficace pour renégocier les opérations de fusion- acquisition ?

Publié le 7 octobre 2020 à 15h12    Mis à jour le 9 octobre 2020 à 11h42

CMS Francis Lefebvre Avocats

Les véhicules de capital-investissement sont soumis à différentes règles d’investis- sement dont le respect est susceptible d’être rendu plus difficile dans le contexte rencontré depuis le printemps dernier. Certaines de ces règles ont fait l’objet d’aménagements, comme la date limite d’atteinte de leur quota d’investissement par ces véhicules et l’octroi d’avances en compte courant auprès des sociétés dans lesquelles ils ont investi. Analyse de ces évolutions.

Par Aliénor Fevre, avocat en droit commercial. Elle intervient en conseil et en contentieux et a développé une expertise particulière en droit des contrats, droit de la distribution, responsabilité du fait des produits et compliance.

alienor.fevre@cms-fl.com 

Tout contrat conclu ou renouvelé à compter du 1er octobre 2016 peut, en principe, faire l’objet d’une renégociation, voire d’une résolution, pour cause d’imprévision. 

En effet, l’article 1195 du Code civil permet d’initier des négociations dès lors qu’«un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque» et que son application n’a pas été contractuellement exclue. Ces négociations peuvent, selon les cas, donner lieu à l’adaptation ou la résolution (amiable ou judiciaire) du contrat. 

Il est aujourd’hui incontestable que la pandémie de Covid-19 a engendré un changement général et durable du contexte économique, politique et sanitaire qui affecte fortement le monde des affaires et les opérations de fusion-acquisition. 

Renégociation de contrat, quand invoquer l’imprévision «de droit» ?

Ce seul changement de contexte général ayant pour cause la pandémie, les mesures gouvernementales imposant une certaine distanciation sociale, le ralentissement mondial de l’économie, etc., peut-il permettre d’invoquer l’imprévision «de droit» et obliger à renégocier un contrat tel qu’un share purchase agreement ou un asset purchase agreement ? 

Pour qu’une telle argumentation puisse prospérer, il faudra à tout le moins démontrer que :

– ce changement de circonstances, extérieur aux parties, a été postérieur à la date de conclusion du contrat et a modifié sensiblement l’environnement dans lequel le contrat s’inscrit ; 

– l’exécution du contrat est devenue «excessivement onéreuse» pour la partie qui invoque l’imprévision, étant entendu que nombre d’acteurs économiques vont soutenir que cette onérosité peut aussi bien résulter d’une augmentation du coût de la prestation que de la diminution de la valeur de la contrepartie ;

– le débiteur de l’obligation devenue excessivement onéreuse n’a jamais accepté d’assumer un tel risque en vertu de ses engagements contractuels au titre de la documentation contractuelle relative à l’opération de fusion-acquisition.

L‘imprévision «de droit», une solution de renégociation supplémentaire

Si les conditions nécessaires à l’application de l’article 1195 du Code civil sont réunies, l’imprévision «de droit» pourrait constituer un bon point de départ pour renégocier certaines opérations de fusion-acquisition. Ainsi, l’imprévision viendra opportunément compléter la palette des solutions contractuelles habituellement utilisées par les équipes de fusion-acquisition dans le cadre de leur négociation post-signing, au rang desquelles se trouvent les «MAC clauses» qui permettent d’anticiper les changements affectant la situation de la société-cible mais pas les changements plus généraux affectant le contexte global dans lequel s’inscrit l’opération envisagée.

Au vu de la crise actuelle et de l’incertitude engendrée par la pandémie de Covid-19, il est permis de penser que les acteurs économiques auront tout intérêt à privilégier la poursuite de leurs activités et la renégociation amiable de leurs contrats, y compris sur le fondement de l’article 1195 du Code civil, plutôt que de s’affronter stérilement et de laisser ces questions à la libre appréciation des juges.


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