Par David Mantienne, avocat counsel en corporate/fusions et acquisitions. Il intervient principalement en matière d’opérations de fusion-acquisition, de private equity et de restructuration de groupes de sociétés, pour des clients tant français qu’étrangers. david.mantienne@cms-fl.com et François Gilbert, docteur en droit, avocat au sein du département doctrine juridique. Il intervient notamment en droit des sociétés et droit des marchés financiers. francois.gilbert@cms-fl.com
La troisième chambre civile de la Cour de cassation, par un arrêt du 26 novembre 20201, illustre de façon inédite la double peine que peut se voir infliger une société absorbante en matière de couverture d’assurance à l’occasion d’une fusion. En premier lieu - et sans surprise - la Cour rappelle que parmi les passifs que l’absorbante se voit transmettre de plein droit par l’effet de la transmission universelle de patrimoine opérée par la fusion figure la dette de responsabilité de l’absorbée au titre de faits antérieurs à l’opération. En second lieu - et pour la première fois - les juges précisent que l’assurance de responsabilité de l’absorbante souscrite avant la fusion (il s’agissait au cas présent d’une garantie décennale construction) n’a toutefois pas vocation à garantir le paiement de cette dette « dès lors que le contrat d’assurance couvre, sauf stipulation contraire, la responsabilité de la seule société assurée ». Cette dernière est par conséquent l’unique bénéficiaire, à l’exclusion de tout autre société (même absorbée ensuite par l’assurée), de la garantie que l’assureur a accordée « en fonction de son appréciation du risque ».
L’intuitu personae du contrat d’assurance
Comme l’invoquait un des moyens au pourvoi, étendre le bénéfice de l’assurance de responsabilité souscrite par l’absorbante aux faits commis par l’absorbée avant la fusion reviendrait à modifier le risque que l’assureur a entendu garantir. C’est précisément là que réside le fondement de cet arrêt rendu au visa, notamment, de l’ancien article 1134 du Code civil2 relatif à la force obligatoire du contrat. La couverture consentie par une compagnie d’assurance résulte en effet de l’appréciation que celle-ci a eu du risque qu’elle garantit, tant dans sa nature que dans son quantum, lors de la négociation et de la conclusion du contrat d’assurance.
Les conditions de la police ainsi souscrite, au premier rang desquelles le montant de la prime demandée à l’assuré, découlent directement du périmètre du risque garanti qui constitue logiquement un des principaux étalons du niveau d’exposition de l’assureur. Bien que la dette de responsabilité de l’absorbée soit devenue celle de l’absorbante, on conçoit aisément que l’élargissement de ce périmètre par l’effet d’une fusion-absorption vienne perturber l’économie de la police et, sauf disposition contraire prévue par les parties, que ce foyer additionnel de risques ne puisse être garanti via une assurance souscrite par l’absorbante avant la réalisation de la fusion.
L’accomplissement de diligences adaptées
Cet arrêt invite à une vigilance accrue quant aux diligences à accomplir préalablement à une fusion, mais également, selon nous, à un apport partiel d’actif soumis au régime juridique des scissions.
D’une part, la société absorbante devra s’attacher à vérifier que la dette de responsabilité qu’elle s’apprête le cas échéant à recevoir de la société absorbée, attachée aux fautes que celle-ci aurait commises avant la fusion, sera susceptible d’être couverte par une assurance adaptée, suffisante et valablement souscrite par l’absorbée3. Tout particulièrement, il conviendra de veiller à ce que les termes et conditions des polices d’assurance de l’absorbée ne fassent pas obstacle à un appel en garantie par l’absorbante au titre de ces fautes.
D’autre part, il incombera à la société absorbante d’auditer ses propres contrats d’assurance afin de déterminer à quelles conditions ceux-ci - voire éventuellement ceux de l’absorbée qui lui seraient transmis - pourront couvrir les fautes qu’elle viendrait à commettre elle-même, après la réalisation de l’opération, au titre des activités jusqu’alors exercées par l’absorbée.
Une relecture attentive des polices d’assurance de l’absorbée et de l’absorbante s’impose donc préalablement à l’opération projetée, au risque pour cette dernière d’hériter de risques sans couverture associée.