Par Bruno Dondero et Olivier Dutheilletde Lamothe, avocats associés.
Du strict point de vue juridique, les salariés sont des tiers par rapport à l’opération de transfert du contrôle d’une entreprise. Le contrat par lequel sont cédées les parts ou les actions de la société exploitant l’entreprise ne fait pas intervenir les salariés, à moins que ceux-ci ne détiennent des droits sociaux. En dépit de cette qualité formelle de tiers, les salariés sont très fortement concernés par l’opération de cession.
Il est en effet évident que la cession porte – même si ce n’est qu’indirectement – sur les salariés. Ce ne sont bien entendu pas les salariés eux-mêmes que l’on cède, et leurs contrats de travail ne sont même pas modifiés par une opération de cession de parts sociales ou d’actions : avant comme après la cession, les salariés ont toujours le même employeur. Mais c’est bien la personne morale qui, en tant qu’employeur, voit son contrôle changer de mains. Les conditions de travail des salariés peuvent s’en trouver bouleversées.
Pour appréhender cette situation particulière, et pour protéger les salariés tout en évitant d’imposer trop de contraintes aux opérations de cession, le droit français recourt à différents instruments.
L’information des représentants du personnel est aujourd’hui bien connue et permet aux salariés de comprendre l’opération dont leur entreprise fait l’objet. Elle peut néanmoins conduire à des situations paradoxales : ainsi, dans le projet d’OPA de Veolia sur SUEZ, décrit dans cette lettre, SUEZ, qui faisait l’objet de l’attaque de Veolia, a été forcée par le juge de consulter ses instances représentatives du personnel sur une prise de contrôle minoritaire, en principe non soumise à consultation, sur la base de documents qu’elle ne possédait pas. Avec ces opérations, on sort du schéma classique où l’employeur consulte les institutions représentatives du personnel sur ses décisions pour entrer dans un schéma où l’employeur doit les consulter sur des décisions émanant de tiers qu’il ne maîtrise en rien.
A ce dispositif déjà complexe s’en sont ajoutés d’autres, comme la surprenante loi Hamon du 31 juillet 2014, qui fait peser de lourdes contraintes sur les opérations de cession et dont l’efficacité reste à démontrer.
S’il faut protéger les salariés en cas de cession de leur entreprise, il faut aussi permettre au cessionnaire d’appréhender l’étendue de l’actif et du passif de la société dont il prend le contrôle, y compris au regard des salariés. Du point de vue actif, le cessionnaire doit être assuré que les salariés les plus importants pour l’entreprise ne quitteront pas celle-ci au moment même où il en prendra le contrôle. Il est notamment intéressant d’associer les équipes dirigeantes à l’opération d’acquisition. Du point de vue passif, le risque social doit être audité et au besoin couvert par des garanties appropriées.
Parce qu’il n’est de richesse que d’hommes (et de femmes bien entendu), l’acquisition d’une entreprise n’est pas qu’un contrat de vente, mais constitue une aventure humaine aux multiples dimensions. La question des salariés se pose en réalité sous des formes très diverses, comme l’illustre bien le présent numéro de la Lettre des Fusions-Acquisitions et du Private Equityz.