La lettre des fusions-acquisition et du private equity

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Déduction fiscale des charges financières : contrôle-moi si tu peux !

Publié le 8 décembre 2022 à 17h59

CMS Francis Lefebvre    Temps de lecture 7 minutes

Le Conseil d’Etat apporte plusieurs précisions concernant la possibilité pour une société d’invoquer un taux de marché afin de justifier la déductibilité fiscale des charges financières rémunérant les prêts consentis par ses associés.

Par Laurent Hepp, avocat associé en fiscalité. Il intervient tant en matière de fiscalité des entreprises et groupes de sociétés qu’en fiscalité des transactions et private equity. laurent.hepp@cms-fl.com / Matias Labé, avocat associé en fiscalité. Il intervient tant en matière de fiscalité des entreprises, dans le cadre d’opérations transactionnelles, que de fiscalité du patrimoine. Il accompagne notamment des acteurs du private equity dans leurs structurations matias.labe@cms-fl.com / Et Vincent Forestier, avocat en fiscalité. Il conseille au quotidien des sociétés dans le cadre de leurs problématiques en fiscalité directe ainsi que dans leurs opérations d’acquisitions, de capital-transmission et de restructuration. vincent.forestier@cms-fl.com

La déduction fiscale des intérêts rémunérant les prêts consentis par des associés est plafonnée au taux effectif moyen pratiqué par les établissements de crédit pour des prêts à taux variable aux entreprises, d’une durée initiale supérieure à deux ans (« taux maximum »). Toutefois, lorsque l’associé prêteur est « lié », au sens de l’article 39-12. du Code général des impôts (CGI), à la société emprunteuse, cette déduction est déplafonnée si cette dernière apporte la preuve que le taux qui lui est appliqué n’est pas plus élevé que celui qu’aurait exigé un établissement financier indépendant et correspond dès lors à un « taux de marché ».

Le Conseil d’Etat a récemment rappelé (1) les exigences tenant à cette preuve tout en précisant les contours de la notion d’entreprise liée dans le cadre de ce dispositif. Dans cette affaire, était en cause, la réintégration par l’administration fiscale de la fraction du taux de 12 %, rémunérant, dans un contexte de LBO, des obligations convertibles en actions (« OCA ») émises concomitamment par une holding de reprise et sa filiale, qui excédait le « taux maximum » (2,82 % à l’époque).

Prise en compte de la situation de l’emprunteur et des caractéristiques de l’emprunt

La filiale, études de taux obligataires à l’appui, soutenait que la rémunération de 12 % représentait un « taux de marché ». Le Conseil d’Etat rappelle que cette preuve peut être rapportée par tout moyen et notamment à partir du rendement d’emprunts obligataires d’entreprises comparables, lorsque ces emprunts constituent une alternative réaliste à un prêt intragroupe (2).

Aucune des études versées au débat par la filiale n’a toutefois emporté la conviction du juge :

­– soit que recourant à un panel d’obligations simples, elles ne tenaient pas compte de la valeur de la prime de non-conversion qui aurait dû justifier, par comparaison, un taux d’intérêt décoté pour les OCA litigieuses  ;

– soit que se fondant sur les données consolidées avec sa société mère (3), ou encore sur des considérations générales relatives aux problématiques de financement dans le cadre de la restructuration de groupes de sociétés analogues, elles ne reposaient pas sur les données propres à l’emprunteuse.

Le choix des comparables, qui doivent présenter des caractéristiques analogues à l’emprunteur et à l’emprunt souscrit, doit donc faire l’objet d’une vigilance toute particulière.

Une référence implicite à la notion de contrôle conjoint pour le « taux de marché »

Dans cette affaire, la holding de reprise avait également émis des obligations souscrites par deux de ses associés financiers qui détenaient respectivement 48,12 % et 4,77 % de son capital.

La possibilité pour la société emprunteuse de déduire un « taux de marché » supérieur au « taux maximum », impliquait au préalable, conformément à l’article 212, I du CGI, que les prêteurs soient reconnus comme des entreprises lui étant liées au sens de l’article 39-12. du Code général des impôts.

Selon ce dernier article, des liens de dépendance sont réputés exister entre deux entreprises :

– lorsque l’une détient directement ou par personne interposée la majorité du capital social de l’autre ou y exerce en fait le pouvoir de décision ;

– lorsqu’elles sont placées l’une et l’autre, dans les conditions définies au premier tiret, sous le contrôle d’une même tierce entreprise.

La holding défendait que les deux porteurs d’obligations, qui détenaient ensemble la majorité de son capital, exerçaient un « contrôle conjoint », situation non expressément visée par le texte de loi qui ne vise que le contrôle d’« une entreprise » (au singulier). Cette rédaction n’avait cependant pas empêché certaines Cours administratives d’appel de se référer à la notion de contrôle conjoint pour l’application du même dispositif (4).

Selon le Code de commerce, « deux ou plusieurs personnes agissant de concert sont considérées comme en contrôlant conjointement une autre lorsqu’elles déterminent en fait les décisions prises en assemblée générale (5) ». Deux conditions doivent donc être réunies pour établir un « contrôle conjoint »: l’action de concert et la détermination « en fait » des décisions prises en assemblée générale (AG).

Dans l’affaire soumise au Conseil d’Etat, un pacte d’actionnaires avait été conclu entre les associés de la holding de reprise, au sujet duquel le juge relève que son objet se limitait à définir :

– les modalités de détention et de transfert des titres de la société et assurer la stabilité de son actionnariat ;

– les modalités de liquidation de la participation des parties,

– les obligations des parties, et

les droits d’information de l’investisseur financier.

Sur la base de ce constat, le Conseil d’Etat considère que « ni ce pacte ni aucune autre pièce du dossier – et notamment aucun accord qui conduirait à organiser une action de concert entre les investisseurs financiers, aux fins d’influencer la politique de la société ou d’y exercer un pouvoir de décision – ne permet d’établir que les investisseurs financiers (…) y exerceraient ensemble le pouvoir de décision au sens du 12 précité de l’article 39 ». La Haute-Juridiction en conclut que n’était pas, en l’espèce, ouverte à la société emprunteuse la possibilité de justifier que la rémunération des OCA correspondait à un « taux de marché ».

En acceptant d’examiner si les associés emprunteurs exerçaient ensemble le pouvoir de décision, et d’analyser dans ce cadre le pacte d’actionnaires liant les associés, le Conseil d’Etat semble ainsi admettre implicitement la possibilité d’exciper du « taux de marché » en démontrant l’existence d’un contrôle conjoint de l’emprunteuse par les deux prêteurs.

Ce rapprochement entre la notion de contrôle conjoint au sens du Code de commerce et la notion d’entreprises liées pour la limitation de la déduction des intérêts paraît ainsi faire  écho aux récentes conclusions rendues dans une autre affaire examinée par le Conseil d’Etat au stade de l’admission, dans lesquelles la rapporteur public Céline Guibé soulignait le lien étroit entre ces deux notions: « la notion d’entreprises liées doit inclure (…) le cas de l’exercice d’un contrôle conjoint sur une entreprise, défini par le III de l’article L.233-3 du Code de commerce comme visant l’hypothèse dans laquelle deux ou plusieurs personnes agissant de concert déterminent en fait les décisions prises en assemblée générale ».

Une telle appréciation de la notion d’entreprise liée devrait ouvrir la possibilité d’un alignement des conditions de déductibilité des intérêts versés à des associés minoritaires participant à un tel contrôle conjoint, sur celles qui s’appliquent aux intérêts versés à des prêteurs majoritaires.

A suivre donc ! 

1. CE, 20 septembre 2022, n° 455651, HCL Maître Pierre et n° 455655, HGFI Saint-Martin.

2. En ce sens : CE, avis, 10 juillet 2019, n° 429426, SAS Wheelabrator Group.

3. CE, 29 décembre 2021, n° 441357, société Apex Tool Group : possibilité néanmoins ouverte pour apprécier la situation d’une société mère de prendre en compte celles de ses filiales.

4. Voir « Amendement Charasse et déduction des charges financières : à qui perd gagne ? » par Laurent Hepp et Vincent Forestier   – La Lettre des fusions-acquisitions et du Private Equity - Option finance, 23 mars 2022.

5. C. com., art. L. 233-3.

6. CE 9e ch. 2-6-2022 no 458874, Sté Obol France 3. La décision du Conseil d’Etat, qui n’admet pas le pourvoi (ce qui était également la conclusion de Mme Guibé), ne comporte pas d’indications explicites sur ce point.


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