La lettre des fusions-acquisition et du private equity

Décembre 2016

En matière de procédures collectives aussi, l’enfer est pavé de bonnes intentions

Publié le 9 décembre 2016 à 12h08    Mis à jour le 9 janvier 2017 à 15h45

Alexandre Bastos et Guillaume Bouté

Alors que le droit est devenu un champ de réformes permanentes, le droit des entreprises en difficulté ne fait pas exception. Ainsi, une nouvelle modification du Livre VI du Code de commerce vient d’être adoptée définitivement par l’Assemblée nationale après le jeu habituel des navettes parlementaires.

Par Alexandre Bastos, avocat associé, responsable de l’activité Restructuring-Insolvency. Il intervient sur l’ensemble des problématiques liées à la prévention ou au traitement des difficultés des entreprises, tant en conseil qu’en contentieux. Il est également chargé d’enseignement à l’Université Paris II Assas et à l’ESCP. alexandre.bastos@cms-bfl.com et Guillaume Bouté, avocat, membre de l’équipe Restructuring-Insolvency. Il traite de l’ensemble des problématiques soulevées par la défaillance d’entreprises, amiable ou judiciaire. Il intervient tant en conseil qu’en contentieux. Il est chargé d’enseignement à l’Université Paris II Assas et à l’ULCO. guillaume.boute@cms-bfl.com

Le 8 novembre 2016, la loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (dite loi Sapin II) a été adoptée, y compris son article 146 qui complète le premier alinéa de l’article L. 651-2 du Code de commerce, lequel dispose :

«Lorsque la liquidation judiciaire d’une personne morale fait apparaître une insuffisance d’actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d’actif, décider que le montant de cette insuffisance d’actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d’entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables».

En y ajoutant la disposition suivante :

«Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la société, sa responsabilité au titre de l’insuffisance d’actif ne peut être engagée.»

Cette modification peut être rapprochée de celle opérée par la loi Macron1 qui impose désormais de démontrer que le dirigeant a «sciemment» omis de déclarer la cessation des paiements de son entreprise pour caractériser une faute de nature à ouvrir la voie à une condamnation d’interdiction de gérer2.

Si la motivation de cette modification de l’article L. 651-2 ne peut qu’être approuvée : favoriser le rebond de l’entrepreneur, ne pas accabler le dirigeant d’une entreprise en procédure collective et, partant, ne pas hypothéquer les chances d’un traitement à temps des difficultés rencontrées par l’entreprise, la traduction concrète de cette magnanimité interpelle tant quant à son utilité que quant à son éventuelle portée.

Une modification inutile ?

Une étude casuistique de la jurisprudence, rendue sur le fondement de l’article L. 651-2, conduit à constater que la voie de la condamnation ne semble empruntée que lorsque la faute du dirigeant revêt une certaine gravité.

Dès lors que l’article L. 651-2 impose la caractérisation d’une faute, il semblait cohérent d’en déduire que la «simple négligence», isolée, ne peut pas être de nature à entraîner la mise en cause du dirigeant. Cette analyse avait d’ailleurs conduit le Sénat à rejeter la modification proposée.

Une modification potentiellement dangereuse

Dans la mesure où le législateur prend le soin de n’exclure que la «simple négligence» du dirigeant des fondements d’une action en responsabilité à l’encontre de ce dernier, n’est-ce pas considérer, a contrario, que toute faute, aussi légère soit-elle, que toute négligence qui ne pourrait être qualifiée de «simple» doit entraîner la condamnation du dirigeant au paiement de tout ou partie de l’insuffisance d’actif ? Une telle conséquence serait, pour le moins, regrettable.

Sans qu’il soit besoin d’épiloguer, s’ajouteront à ce risque les conséquences de l’absence de définition de la notion introduite : quels sont les critères de la simple négligence ?

Finalement, selon les mots d’Honoré de Balzac, «l’enfer est pavé de bonnes intentions n’est pas un paradoxe de prédicateur». Le législateur souhaitant alléger le risque pesant sur le dirigeant de l’entreprise en difficulté aurait été bien mieux inspiré de qualifier la faute (grave, lourde, etc.) de nature à ouvrir la voie à la condamnation du dirigeant que de jeter, ici encore, de l’encre dans l’aquarium !

Nous ne pouvons que rejoindre le professeur Roussel-Galle3 quand ce dernier qualifie cette modification de l’article L. 651-2 de «fausse bonne idée».

1. Loi n° 2015-990 du 6 août 2015.

2. Art. L. 653-8 du Code de commerce.

3. RPC, n° 4, juillet 2016, repère 4.


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