Afin d’orienter l’action des autorités de concurrence européennes et françaises vers les opérations de concentration réellement susceptibles d’entraver la concurrence, les législations prévoient des seuils exprimés généralement en chiffres d’affaires, plus rarement en parts de marché, au-delà desquels les entreprises doivent impérativement notifier leurs projets d’opérations et attendre l’autorisation de ces autorités de concurrence.
Si ces seuils sont en principe applicables à toutes les concentrations quel que soit le secteur d’activité concerné, la France a progressivement considéré que certains secteurs justifiaient des conditions dérogatoires. Celles-ci doivent être connues sous peine de se mettre en défaut de notification et de s’exposer à de fortes sanctions.
Des seuils inférieurs pour certaines opérations
Certains secteurs connaissent des seuils de chiffre d’affaires plus bas permettant l’examen d’opérations de taille plus modeste.
Tel est le cas du secteur du commerce de détail où les seuils sont réduits de 150 à 75 millions d’euros pour le CA mondial de toutes les entreprises participant à la concentration et de 50 à 15 millions d’euros pour le CA réalisé individuellement en France.
Ces seuils s’appliquent aussi aux opérations impliquant des entreprises actives dans les départements et certaines collectivités d’outre-mer, le seuil individuel de chaque entreprise étant même réduit à 5 millions d’euros dans le secteur du commerce de détail.
Un traitement particulier pour d’autres opérations
Les entreprises en difficulté font l’objet d’une appréhension particulière. D’une part, les offres de reprise sur « des entreprises en liquidation ou redressement judiciaire font partie des hypothèses pouvant conduire à l’octroi d’une dérogation à l’effet suspensif de la procédure de concentration » c’est-à-dire l’obligation des parties de ne pas réaliser l’opération avant son autorisation par l’Autorité de la concurrence. D’autre part, la théorie de l’entreprise défaillante permet à une autorité de concurrence d’autoriser une concentration portant significativement atteinte à la concurrence lorsque la preuve est rapportée que l’entreprise cible rencontre des difficultés qui entraîneraient sa disparition rapide, qu’il n’y a pas d’autre offre de reprise moins dommageable pour la concurrence et que l’atteinte à la concurrence ne serait pas moins grave si l’entreprise cible disparaissait effectivement. C’est l’application de cette théorie qui a permis à l’ADLC d’autoriser le rachat de Conforama par But le 28 avril 2022 .
Par ailleurs, une récente évolution de la pratique de la Commission européenne a acté la possibilité pour certaines opérations de concentration ne franchissant pas les seuils nationaux ou européens d’être examinées par la Commission européenne.
Désormais, même en-deçà des seuils européens et nationaux, une opération est contrôlable par la Commission, sur saisine d’un ou plusieurs Etats membres, dès lors qu’elle « affecte le commerce entre États membres et menace d’affecter de manière significative la concurrence » (art. 22 Reg. 139/2004).
Sont ici visées les situations dans lesquelles le chiffre d’affaires d’au moins une des entreprises concernées par la concentration « ne reflète pas [son] potentiel concurrentiel réel ou futur ». Si tous les secteurs peuvent être concernés, la Commission vise notamment l’économie numérique, le secteur pharmaceutique et tous les secteurs où l’innovation est un paramètre important de concurrence. Elle a d’ailleurs récemment interdit le rachat d’une biotech active dans le dépistage des cancers après avoir été saisie par les autorités de concurrence de six Etats membres (Communiqué de presse du 6/09/ 2022).
En définitive, les dispositions spécifiques à certains secteurs complexifient l’analyse préalable d’une concentration. Surtout, l’hypothèse d’un contrôle même en-deçà des seuils introduit un facteur d’incertitude supplémentaire pour les entreprises.