Le tsunami réglementaire ESG qui déferle sur les entreprises les oblige à fournir des informations détaillées et standardisées sur leur impact environnemental. L’ESG ne s’accompagne pas d’un régime de responsabilité ou de sanction nouveau, à l’exception sans doute du devoir de vigilance. Pour autant, la responsabilité des dirigeants peut toujours être engagée au titre de la police de l’environnement classique, qui recoupe l’essentiel des thématiques de l’ESG en matière d’environnement.
1. La montée en puissance de l’ESG sur les aspects environnementaux ne s’accompagne pas véritablement d’un régime de responsabilité ou de sanction nouveau
a) La réglementation ESG se renforce et se complexifie sur les obligations de reporting sans pour autant créer un régime de responsabilité ou de sanction environnementale nouveau
Le tsunami de la réglementation ESG est d’abord un exercice de transparence - La directive CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive - (EU) 2022/2464) impose aux entreprises européennes un reporting extra-financier précis et complet pour fournir notamment des informations environnementales fiables sur l’entreprise.
Le règlement Taxonomie (2020/852) permet d’établir un système européen de classification des activités durables. C’est un langage commun qui introduit, dans un premier temps, une nomenclature des activités économiques en fonction de l’objectif d’atténuation et d’adaptation au changement climatique.
En parallèle, le règlement Disclosure (Sustainable Finance Disclosure Regulation - (UE) 2019/2088) a pour objectif d’harmoniser et de renforcer les obligations de transparence applicables aux acteurs financiers. Ils doivent publier des informations institutionnelles relatives à leurs politiques générales, leurs processus de décision d’investissement ou la fourniture de leurs conseils ainsi que des informations relatives aux produits.
Pour autant ces réglementations ne créent pas à ce stade de régime de responsabilité autonome ou un système de sanction nouveau qui découlerait de l’impact de leur activité sur l’environnement. L’ensemble de ces textes a un impact indirect : les entreprises doivent publier des informations relatives à leurs objectifs de durabilité à long terme et mesurer leurs progrès. La notation extra-financière est fortement valorisée auprès des investisseurs.
b) Le devoir de vigilance qui existe en droit français est le contrepoint juridique permettant de pousser les entreprises à se transformer et demain peut-être l’instrument d’une mise en cause de la responsabilité des administrateurs
Comme rappelé dans l’article précédent, la France a adopté une loi sur le devoir de vigilance (n° 2017-39) qui impose aux entreprises visées de mettre en place une cartographie exhaustive de l’ensemble des risques pouvant résulter de leurs activités.
En cas de manquement, toute personne justifiant d’un intérêt à agir peut demander au juge d’enjoindre une entreprise, après mise en demeure, de se conformer aux dispositions de la loi relatives au contenu et à la publication du plan de vigilance. Au terme d’un délai de 3 mois, le président du Tribunal Judiciaire peut être saisi.
Deux actions judiciaires sont envisageables, l’action préventive en cessation de l’illicite (article L. 225-102-4, II du Code de commerce) et l’action en responsabilité (article L. 225-102-5 du même code). La responsabilité civile de l’entreprise donneuse d’ordre peut être engagée en raison des dommages causés aux personnes ou à l’environnement par ses activités, notamment lorsque ses obligations de vigilance n’ont pas fait l’objet d’un suivi attentif.
Le Tribunal Judiciaire de Paris (TJ Paris, 28 février 2023, n° 22/53942) a statué pour la première fois sur une demande, en référé, sur le fondement du devoir de vigilance contre TotalEnergies. En 2020, un groupe d’associations et de collectivités avaient assigné la société TotalEnergies devant le Tribunal Judiciaire, à la suite de la publication par cette dernière de ses plans de vigilance en 2018 puis en 2019, qu’elles estimaient insuffisants. Elles ont demandé au juge d’enjoindre à la société de prendre les mesures nécessaires pour s’aligner avec les objectifs de l’Accord de Paris.
Le juge des référés a conclu à l’irrecevabilité de la demande. Il constate tout d’abord l’absence de cadre juridique contraignant pour déterminer les contours des devoirs de vigilance s’imposant aux entreprises concernées. Après un détour sur l’importance du travail de co-construction du plan de vigilance avec les parties prenantes, en particulier avec le mécanisme de mise en demeure, le juge du référé, juge de l’évidence, constate les limites de son office. Il ne peut faire injonction que dans des cas manifestes, par exemple, lorsque l’entreprise n’a pas établi de plan de vigilance, qu’une rubrique est de toute évidence sous-dimensionnée par rapport aux enjeux ou lorsqu’il est constaté une illicéité manifeste. Il appartient au seul juge du fond d’analyser en profondeur un plan de vigilance.
On ne peut que s’étonner de la longueur de cette procédure en référé, qui s’explique en partie par des questions de détermination du juge compétent. Entre-temps, TotalEnergies a pu publier d’autres plans de vigilance critiqués par les requérantes mais sans succès, celles-ci ayant omis de mettre en demeure préalablement l’entreprise.
Au-delà du caractère médiatique de ces procédures, celles-ci se cherchent encore pour assurer leur efficacité au-delà de l’aspect réputationnel. C’est sans doute sur le terrain de la responsabilité civile classique qu’il peut y avoir des avancées même s’il restera difficile d’établir – sauf non-conformité – un lien entre l’activité d’une entreprise (fautive ?) et un dommage souvent diffus à l’environnement.
Le développement du contentieux de la vigilance viendra peut-être du projet de directive européenne sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité actuellement en discussion au Conseil de l’Union européenne qui va plus loin que le droit français. Le projet de texte renforce les obligations des entreprises, le régime de contrôle et de sanction et prévoit l’engagement de la responsabilité des administrateurs de l’entreprise assujettie. Il devrait être discuté au Parlement européen lors de la session de mai.
2. Aujourd’hui, la responsabilité directe des dirigeants reste difficile à engager en matière environnementale
a) Les conditions d’engagement de la responsabilité pénale des dirigeants sont strictes
Le droit pénal de l’environnement recherche la responsabilité propre du dirigeant au-delà de la responsabilité de la personne morale. Il incombe personnellement au dirigeant de veiller au respect de la réglementation et donc sa responsabilité peut être personnellement engagée (Cass. crim., 28 févr. 1956, n° 53-02.879).
Le Code de l’environnement prévoit (i) des peines d’amendes : le fait est punissable dès lors que la matérialité de l’infraction est constatée et (ii) des délits avec des peines d’emprisonnement. En cas de faute d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, il y a délit s’il est établi que l’auteur des faits n’a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait.
Le dirigeant peut tenter de s’exonérer de sa responsabilité s’il parvient à démontrer qu’il a délégué ses pouvoirs à un préposé pourvue de la compétence, l’autorité et les moyens nécessaires. La délégation de pouvoirs doit être expresse, précise, effective et acceptée.
b) Ces dernières années, d’autres voies de droit ont été explorées pour mettre en cause la responsabilité environnementale des entreprises, y compris de leurs dirigeants
Le droit pénal général - Les dirigeants sont ainsi soumis aux infractions de droit pénal général tels que les délits de mise en danger de la vie d’autrui (article 223-1 du Code pénal) et plus généralement l’ensemble des atteintes à l’intégrité de la personne pouvant être occasionnées par les dommages environnementaux (Articles 221-6, 222-19 et 222-20 et suivants du Code pénal).
Le droit pénal général a été utilisé dans l’affaire AZF (CA Toulouse, 24 sept. 2012, n° 2012/642). La Cour d’appel de Toulouse a reconnu la responsabilité pénale de la personne morale exploitante mais également de son dirigeant pour les infractions d’homicides et blessures involontaires. Pour cela, la Cour s’est fondée sur les anomalies relevées dans la gestion des déchets industriels de l’usine et le lien de causalité avec l’explosion du bâtiment concerné.
Le Code civil prévoit l’engagement de la responsabilité de l’auteur en cas de préjudice écologique. Il est défini comme une « atteinte non négligeable aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes ou aux bénéfices collectifs tirés par l’homme de l’environnement ». Il s’agit d’une action qui est largement ouverte, notamment à la société civile dont les associations de défense de l’environnement (Articles 1246 à 1252 du Code civil). Ces dispositions du Code civil issues de la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité s’inscrivent dans le développement des armes législatives pour la protection de l’environnement.
3. En tout état de cause, le droit pénal de l’environnement couvre déjà toutes les thématiques encadrées par la réglementation ESG et accompagne le développement de celle-ci
Le droit pénal de l’environnement ne peut que se renforcer avec la montée en puissance de l’ESG, par exemple les infractions liées :
- aux émissions de gaz à effet de serre et aux changements climatiques : dans le cadre de la législation sur les quotas d’émission de gaz à effet de serre, lorsque les quotas ne sont pas rendus en totalité dans le délai imparti, ils sont repris d’office, et il est prononcé à l’encontre de l’exploitant une amende proportionnelle au solde de quotas qui n’ont pas été rendus ou repris d’office (Article L. 229-8 du Code de l’environnement).
- à l’usage de substances dangereuses : la réglementation REACH prévoit des amendes en cas de non-respect de la réglementation liée au contrôle des produits chimiques (Articles R. 521-1 à R. 521-2-16 du Code de l’environnement) ;
- à l’économie circulaire : la loi AGEC du 10 février 2020 sanctionne ceux qui détruisent ou détériorent les denrées alimentaires invendues avec une amende modulable en fonction de la taille du commerce ;
- à la biodiversité et aux paysages : la loi sur la reconquête de la biodiversité du 8 août 2026 prévoit un délit de mise en danger de l’environnement. Les personnes ayant exposé l’environnement à un risque de dégradation durable de la faune, de la flore ou de l’eau seront passibles d’une amende de 250 000 € et de trois ans d’emprisonnement (Article L.173-3-1 du Code de l’environnement).
Enfin, sur le « greenwashing », l’article 12 de la loi Climat et Résilience (n° 2021-1104) a encadré l’usage de la mention « neutre en carbone » sauf à rendre disponible au public un bilan carbone, un rapport de synthèse sur l’empreinte carbone du produit ou du service et le cas échéant, les modalités de compensation (art. L. 229-68 du Code de l’environnement). Deux décrets n° 2022-538 et 2022-539 du 13 avril 2022 précisent les sanctions applicables qui peuvent aller jusqu’à 20 000 € pour une personne physique et 100 000 € d’amende pour une personne morale.
Alors que l’ESG va pousser les entreprises à être « mieux disantes » sur une logique anglo-saxonne de « name and shame » voire de mise en cause de la responsabilité des dirigeants avec le projet de directive européenne sur le devoir de vigilance, le droit pénal de l’environnement complète ce mouvement à mesure que le législateur renforce les standards environnementaux. On peut penser également que la montée en puissance de l’ESG va renforcer l’usage des outils existants par une multiplication des actions pénales.