Qui est « l’employeur » ? En dehors de certaines situation spécifiques (co-emploi, sous-traitance), la question ne pose pas de difficulté : l’employeur est la personne physique ou morale liée à un ou plusieurs salariés par un contrat de travail.
L’identification de l’employeur amène une seconde question : qui représente l’employeur personne morale ? Dans une petite entreprise, marquée par la concentration du pouvoir entre les mains du dirigeant, l’affaire est entendue.
Au contraire, dans une entreprise de taille conséquente, le représentant légal, qui n’est ni omniscient ni omnipotent, doit déléguer une partie de ses prérogatives à des cadres de l’entreprise. Sur le plan civil et commercial, le mandataire social exerce ses prérogatives dans le cadre d’une représentation légale, régie par les dispositions générales du Code civil (art. 1153 et svts.), les dispositions spéciales applicables selon la forme de la société et par les statuts. Lorsqu’il délègue une partie de ses pouvoirs, la situation juridique est qualifiée de mandat, régi par les dispositions générales sur la représentation et les dispositions spéciales sur le mandat (C. Civ. Arts. 1984 et svts.) ; plus précisément, il s’agit d’un « acte par lequel une personne donne à une autre le pouvoir de faire quelque chose pour le mandant et en son nom ». En droit du travail, la délégation de pouvoirs revêt une dimension particulière que nous allons étudier sous l’angle de la responsabilité pénale puis sous celui des relations avec les salariés.
La délégation de pouvoirs et la responsabilité pénale du chef d’entreprise
Le droit du travail contient un nombre important de prescriptions pénalement sanctionnées notamment en matière d’hygiène, santé et sécurité, temps de travail, recours aux contrats précaires, harcèlements, discriminations, représentation du personnel et droit syndical. La chambre criminelle s’est donc penchée sur la question de la représentation de l’employeur, nécessaire d’une part à la détermination de la personne physique à laquelle s’impute le manquement aux règles pesant sur l’employeur, particulièrement en cas d’infraction par omission, et nécessaire d’autre part à la mise en jeu de la responsabilité de la personne morale qui s’opère par le truchement d’un organe ou d’un représentant de droit ou de fait ayant agi pour son compte (C. pén., art. 121-2). La jurisprudence n’impose pas de formalisme particulier, la délégation pouvant se déduire de circonstances de fait appréciées souverainement par le juge du fond (Crim., 27 fév. 2018, 17-81.457), pourvu qu’elle soit exclusive de toute ambigüité. Néanmoins, le prévenu qui entend s’exonérer doit prouver l’existence de la délégation, d’où la pratique répandue de formalisation du transfert de pouvoirs par une note de service ainsi qu’un écrit signé du délégataire et du délégant précisant l’étendue des prérogatives du premier et, le cas échéant, l’existence d’un pouvoir de subdélégation qui doit être explicite.
Les conditions de fond sont en revanche restrictives, la jurisprudence exigeant que la délégation soit délimitée dans son objet, une délégation « trop générale » étant considérée comme ambiguë sur son étendue (Crim., 2 sept., 2008, 08-80.408). Le délégataire doit disposer des compétences, de l’autorité et des moyens, matériels comme humains, nécessaires à l’exercice des missions confiées (Crim., 17 oct. 2017, 16-87.249). Par exemple, en matière de santé et sécurité, le délégataire doit avoir reçu la formation nécessaire et doit disposer de l’autorité lui permettant de donner des instructions au personnel sur la mise en œuvre des mesures de prévention, sur les méthodes, équipements et outils de travail. Il doit être en mesure de se faire assister, au besoin, de personnel de l’entreprise ou d’intervenants extérieurs spécialisés.
La délégation de pouvoirs valablement effectuée exonère le mandataire social de sa responsabilité pénale, sauf participation personnelle à l’infraction. Notons que cette exonération est très relative, la doctrine distinguant les obligations procédurales, transférées au délégataire, des obligations substantielles, dont le délégant demeure tenu aux côtés de son délégataire. Ainsi, la responsabilité pénale d’un président de société a été retenue pour une entrave au renouvellement du comité, la chambre criminelle recourant à la notion de « mesures ressortissant à son pouvoir propre de direction » (Crim. 6 nov. 2007, 06-86.027).
La délégation de pouvoirs et les relations avec les salariés
S’agissant des relations collectives de travail, le chef d’entreprise peut déléguer une personne, laquelle n’est pas nécessairement salariée de l’entreprise (Soc., 25 nov. 2020, 19-18.681), pour présider le comité social et économique. Il peut également déléguer la conduite des négociations syndicales. Dans tous les cas, il devra choisir une personne compétente, lui conférer l’autorité nécessaire et lui attribuer les moyens suffisants. En effet, la désignation d’un président de CSE n’ayant pas la compétence requise ou les moyens permettant d’accomplir les obligations d’information et consultation est de nature à constituer en soi un délit d’entrave au fonctionnement de l’instance. En matière de négociations syndicales, le fait de mandater une personne qui représente formellement l’employeur sans disposer de réel pouvoir de décision risque de priver les discussions avec les syndicats de toute utilité, contrevenant au principe cardinal de loyauté des négociations, expressément visé dans le Code du travail (par ex : C. Tr., art. L2242-6), dont les conséquences sont certes plus sociales que juridiques. Si pour ces raisons, tout mandat impératif est à proscrire, il est loisible au chef d’entreprise de fixer un cadre (par exemple des limites budgétaires) aux concessions que son représentant peut octroyer dans le cadre des négociations. Si le délégataire excède ce cadre, l’entreprise sera néanmoins tenue par l’accord signé par le représentant de l’employeur, en vertu de la théorie du mandat apparent fondée sur la croyance légitime du tiers contractant et consacrée à l’article 1156 du Code civil ; c’est pourquoi la confiance constitue un critère décisif dans le choix par le chef d’entreprise de son délégué.
Enfin, s’agissant des relations individuelles de travail, la souplesse est maximale, l’employeur étant sans formalisme représenté dans son pouvoir de contrôle et de direction par le supérieur hiérarchique du salarié. En matière disciplinaire, pour la déterminer si le pouvoir de sanction a été épuisé ou pour déterminer la date de connaissance des faits fautifs, le supérieur hiérarchique est assimilé à l’employeur (Soc., 23 juin 2021, 19-24.020 ; 20-13.762). Pour ce qui est du signataire de la lettre de licenciement, la jurisprudence est également compréhensive, la délégation du chef de l’entreprise pouvant être écrite ou bien découler tacitement des fonctions du salarié qui conduit la procédure (Ch. mixte 19 nov. 2010, n° 10-10.095) ; de plus, une lettre de licenciement signée par une personne incompétente, sous réserve qu’elle soit membre de l’entreprise, peut être tacitement ratifiée par le chef d’entreprise (Soc., 31 janvier 2012, 10-18.621), par exemple sous la forme de la défense du bien-fondé du licenciement devant la juridiction prud’homale.
Pour toutes ces raisons, le choix par le chef d’entreprise des personnes à qui il confère des prérogatives de direction de l’entreprise est loin d’être anodin.