En 2015, l’action 6 du plan BEPS de l’OCDE préconisait l’insertion dans les conventions fiscales d’une clause générale anti-abus. Deux modèles étaient proposés : la clause de limitation des bénéfices de la convention (Limitation of Benefits ou LOB), d’inspiration américaine, et la règle du «critère des objets principaux» (Principal Purpose Test ou PPT), plus subjective.
Par Renaud Jouffroy, avocat associé, PwC Société d’Avocats
La clause PPT a été insérée dans l’article 7 (1) de la Convention multilatérale, en tant que standard minimum, et est désormais contenue dans l’article 29 (9) de la convention modèle OCDE, dans sa version mise à jour en 2017.
Selon cette clause, si l’un des objets principaux d’une transaction ou d’un montage est d’obtenir un avantage au titre d’une convention fiscale, cet avantage est refusé, à moins qu’il ne soit établi que ce bénéfice a été accordé conformément à l’objet et au but des dispositions de la convention fiscale applicable. En d’autres termes, il s’agit de s’assurer que seuls jouissent de la convention fiscale les opérations, transactions et mouvements «authentiques» et non ceux qui ont été mis en place principalement dans le but de profiter de ses avantages.
La clause s’applique à l’ensemble de la convention fiscale et porte sur tous les cas d’abus de celle-ci. Elle prévaut donc sur l’ensemble des dispositions contenues dans la convention et s’applique même lorsque le contribuable satisfait aux conditions qui lui permettent d’échapper à l’application d’une règle anti-abus spécifique contenue dans la convention (clause de bénéficiaire effectif, clause anti-abus relative à une catégorie de revenus seulement, etc.).
Les commentaires du modèle de convention fiscale de l’OCDE, mis à jour en 2017, tentent d’apporter des éclaircissements sur la portée de cette clause par des exemples détaillés. Sans surprise, ces commentaires rappellent que la clause PPT s’applique aux montages ou transactions dépourvus de substance économique et dont l’objet est principalement fiscal, tels que le transfert de droit à dividendes à une institution financière, la cession temporaire d’usufruit d’action privilégiée ou encore l’étalement d’un chantier de construction dans le seul but d’éviter l’établissement stable. Ces commentaires apportent des précisions plus intéressantes sur l’appréciation du critère des objets principaux de l’opération mise en place. En effet, il ressort de plusieurs exemples (dont celui d’une société holding) que, lorsque le montage est inextricablement lié à une activité commerciale principale ou, plus généralement, présente une substance économique réelle, le fait que le montage soit également déterminé par des facteurs fiscaux n’emporterait pas nécessairement l’application de la clause PPT. Ces exemples traduisent à notre sens l’embarras des rédacteurs des commentaires sur la portée du critère d’un des objectifs principaux. Les critères principaux du choix de la juridiction dans lequel un groupe ou un fonds décide d’établir une société holding incluent nécessairement la fiscalité et notamment le réseau de conventions fiscales applicables aux investissements projetés. Alors que le texte prévoit l’application de la clause PPT dès lors qu’un seul des motifs principaux est l’obtention de l’avantage conventionnel, les commentaires semblent aller dans le sens de l’unicité du motif fiscal principal. Ne seraient ainsi sanctionnées que les opérations dont l’objectif principal (et non un des objectifs principaux) serait l’avantage conventionnel. Par ailleurs, les commentaires ne permettent guère de mieux cerner la notion de la conformité de l’octroi de l’avantage avec l’objet et le but de la convention fiscale. Le seul exemple illustrant clairement cette notion est l’augmentation du pourcentage d’investissement dans une filiale pour passer un seuil (de 24 % à 25 %) permettant de réduire le taux de retenue à la source applicable. En dehors de cette situation simple, on peut s’interroger sur le sens à donner à l’objet et au but d’une convention fiscale. Les réponses usuellement apportées telles que la répartition de la base imposable, la suppression des obstacles aux libertés de circulation ou désormais la lutte contre les abus ne sont guère utiles à l’analyse de la clause PPT aux situations rencontrées en pratique.
A ce jour, plus de 80 juridictions sont couvertes par la Convention multilatérale et de ce fait plus de 1 400 conventions fiscales contiennent la clause PPT. Au moins 15 signataires ont déjà ratifié cette convention et la clause PPT affectera environ 50 conventions dès le 1er janvier 2019. En l’absence de lignes directrices claires, des approches divergentes vont nécessairement naître entre les administrations fiscales qui, chacune, l’apprécieront notamment à l’aune de leurs règles anti-abus nationales, créant ainsi une véritable insécurité juridique dans les transactions internationales.
A la demande du G20, l’OCDE et le FMI ont produit en 2017 un rapport sur la sécurité juridique en matière fiscale, «Tax certainty»1. La mise à jour de ce rapport en 2018 ajoute désormais au menu des travaux la clause PPT et la création d’un groupe ad hoc chargé d’explorer les solutions possibles et d’émettre des rapports et recommandations à ce sujet.
En parallèle de ces incertitudes conventionnelles, les clauses anti-abus fleurissent bon train. L’article 48 du projet de loi de finances pour 2019 transpose pour l’impôt sur les sociétés la clause anti-abus générale prévue à l’article 6 de la directive dite «ATAD» (anti-tax avoidance directive), dont la rédaction est assez similaire à la clause PPT de la Convention multilatérale. De même, un amendement a été adopté par l’Assemblée nationale pour étendre cette clause anti-abus générale à tous les impôts, mais en se limitant au motif principal et non aux objectifs principaux.
Cette situation d’insécurité juridique est particulièrement inquiétante dans le contexte de la nouvelle loi relative à la lutte contre la fraude, qui introduit un dispositif de transmission automatique au parquet dans certaines situations, compte tenu de la pratique de l’administration d’appliquer largement la pénalité pour erreur délibérée.
Dans ce tableau noir, l’espoir pourrait naître d’une convergence des recommandations OCDE et du droit européen dans la seule recherche du but essentiel de l’opération incriminée et l’abandon de fait du critère des objets principaux. La CJUE2 a en effet rappelé que l’application de la législation doit être prévisible pour les justiciables (impératif de sécurité juridique). Dans ses conclusions relatives aux affaires danoises de retenues à la source3, l’avocate générale Kokott proposait quant à elle de restreindre l’abus de droit fiscal aux hypothèses de montages purement artificiels, dépourvus de toute réalité économique, ou aux hypothèses dans lesquelles le but essentiel du montage consiste à éluder un impôt qui serait dû conformément à l’objet de la loi.
1. Tax Certainty, IMF/OECD Report for the G20 Finance Ministers, mars 2017.
2. CJCE, 21 février 2016, C-255/02, Halifax plc.
3. Conclusions de l’avocat général Mme Juliane Kokott présentées le 01/03/2018 dans l’affaire C-117/16.