La lettre gestion des groupes internationaux

Novembre 2018

Nouvelles obligations de transparence fiscale (directive «DAC 6») : quels enjeux organisationnels pour les groupes ?

Publié le 30 novembre 2018 à 12h12

Marie-Hélène Pinard-Fabro

La directive 2018-822 du 25 mai 20181 n’a pas fini de faire parler d’elle. Rappelons que cette directive oblige les conseillers fiscaux entendus au sens large, ainsi que dans certains cas les contribuables eux-mêmes, à déclarer aux autorités fiscales celles de leurs transactions internationales qui présentent un caractère potentiellement agressif sur le plan fiscal, en raison de la présence d’au moins un «marqueur» ou élément caractéristique visé par la directive.

Par Marie-Hélène Pinard-Fabro, avocat, PwC Société d’Avocats

Cette nouvelle obligation de transparence vise, comme expressément précisé par la directive elle-même, à procurer aux administrations fiscales des Etats membres des informations complètes et pertinentes sur les opérations de planification fiscale mises en place par les contribuables, afin de leur permettre de réagir rapidement contre les pratiques fiscales dommageables et de remédier aux éventuelles lacunes constatées, soit par voie législative soit par le biais de contrôles fiscaux. L’efficacité du dispositif a vocation à être renforcée par l’échange automatique des déclarations entre les Etats membres.

Quand déclarer ?

La directive doit être transposée dans les droits nationaux d’ici le 31 décembre 2019. En France, cette transposition sera effectuée par voie d’ordonnance, comme le prévoit l’article 22 de la loi 2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude. Ces modalités de transposition, motivées par le caractère très technique des dispositions prévues par la directive, ainsi que par la faible marge de manœuvre laissée aux Etats membres, laissent présager d’un texte national très proche de celui de la directive.

Bien que la date d’application de la directive soit quant à elle fixée au 1er juillet 2020, ce qui laisse en théorie aux intéressés le temps de se préparer, l’obligation présente d’ores et déjà un caractère tout à fait prégnant puisque les opérations qui devront être déclarées au plus tard le 31 août 2020 seront celles dont la première étape de mise en œuvre sera intervenue à compter du 25 juin 2018. Les parties prenantes sont donc tenues d’organiser dès maintenant le recensement des opérations à déclarer ainsi que le stockage des informations correspondantes, afin d’être en mesure de remplir en 2020 cette nouvelle obligation déclarative, dont la gestion ne devrait pas manquer de s’avérer complexe pour les groupes d’une certaine taille.

Qui est intermédiaire ?

La complexité évoquée tient notamment à l’identification des déclarants. La directive a retenu à dessein une définition très large de la notion d’intermédiaire, qui vise non seulement :

– «toute personne qui conçoit, commercialise ou organise un dispositif transfrontière devant faire l’objet d’une déclaration, le met à disposition aux fins de sa mise en œuvre ou en gère la mise en œuvre» ; mais aussi

– «toute personne qui, compte tenu des faits et circonstances pertinents et sur la base des informations disponibles ainsi que de l’expertise en la matière et de la compréhension qui sont nécessaires pour fournir de tels services, sait ou pourrait raisonnablement être censée savoir qu’elle s’est engagée à fournir, directement ou par l’intermédiaire d’autres personnes, une aide, une assistance ou des conseils concernant la conception, la commercialisation ou l’organisation d’un dispositif transfrontière devant faire l’objet d’une déclaration, ou concernant sa mise à disposition aux fins de mise en œuvre ou la gestion de sa mise en œuvre».

Loin de circonscrire l’obligation de déclarer aux seuls banquiers ou conseils fiscaux, cette définition englobe potentiellement tous les prestataires de services suffisamment éclairés sur le contexte de l’opération dans le cadre de laquelle ils interviennent pour savoir qu’elle entre dans le champ d’application de la directive.

Opération impliquant plusieurs intermédiaires

A titre d’exemple et à supposer qu’il réponde à certains des marqueurs listés par la directive, le transfert d’un immeuble situé en France par une société française à une société étrangère faisant intervenir un avocat, un notaire, un agent immobilier, un évaluateur ainsi qu’une banque, devra potentiellement être déclaré par l’ensemble de ces personnes, à l’exception de celles d’entre elles qui seraient en mesure de prouver qu’elles ne savaient pas et ne pouvaient pas raisonnablement être censées savoir qu’elles participaient à un dispositif à déclarer au sens de la directive. Par exception, l’avocat, en raison du secret professionnel, devrait en principe être dispensé de l’obligation de déclarer lui-même l’opération. Il devrait en revanche être tenu de notifier sans retard à tout autre intermédiaire, ou en l’absence d’un autre intermédiaire au contribuable concerné, les obligations de déclaration qui lui incombent.

Cet exemple illustre la complexité du système déclaratif mis en place, qui peut conduire à de multiples déclarations pour une même opération, le cas échéant dans plusieurs Etats membres différents. La directive précise en effet que lorsqu’il existe plus d’un intermédiaire, l’obligation de transmettre des informations sur le dispositif transfrontière incombe à l’ensemble des intermédiaires participant à ce dispositif. Un intermédiaire ne peut être dispensé de déclarer que s’il peut prouver conformément au droit national que ces mêmes informations ont déjà été transmises par un autre intermédiaire.

En clair, l’application homogène et coordonnée de la directive suppose la mise en place d’une gouvernance entre les intermédiaires, permettant à ceux-ci de se concerter afin de déterminer par lequel d’entre eux l’opération sera déclarée et en quels termes. Une telle gouvernance pourrait permettre d’éviter que plusieurs déclarations ne soient déposées dans des Etats membres différents, à raison d’une même opération, sans que le contribuable concerné n’en soit nécessairement informé et avec des risques de positions divergentes quant à la présence de tel ou tel marqueur.

Les contribuables, et parmi eux les groupes de sociétés, auront donc tout intérêt à veiller à l’instauration d’une coordination entre leurs différents intermédiaires, voire à en être les pivots, afin de se tenir informés des déclarations déposées au titre de leurs opérations et en vue d’obtenir la communication du contenu de ces déclarations, en particulier en ce qui concerne les marqueurs identifiés. Ces précautions essentielles leur permettront de mieux anticiper les éventuelles demandes d’informations que pourraient ultérieurement leur adresser les autorités fiscales des Etats membres concernés par l’opération, et d’y répondre.

Opération mise en œuvre sans prestataire extérieur

En l’absence de recours à un prestataire de services extérieur, la situation peut à première vue apparaître plus simple pour les contribuables qui mettent en œuvre une opération déclarable au sens de la directive. Etant en effet seuls tenus de déposer la déclaration, en leur qualité de contribuables concernés, ils se verront ainsi assurés de la parfaite connaissance et maîtrise des informations transmises aux autorités fiscales dans le cadre de leurs déclarations. Il n’en demeure pas moins que la correcte application du dispositif dans les groupes de sociétés nécessitera la mise en place d’un système fiable d’identification des dispositifs entrant dans le champ d’application de la directive et une coordination entre les potentiels déclarants lorsque plusieurs entités du groupe sont parties à une même opération.

En outre, il n’est pas exclu qu’une société rendant au sein de son groupe des prestations de services de nature juridique ou fiscale soit impliquée dans les réflexions relatives à une transaction internationale déclarable, impliquant une ou plusieurs autres sociétés de son groupe. A la lecture de la directive, cette société devrait être tenue de déclarer l’opération en qualité d’intermédiaire, ce qui dispenserait du même coup de cette obligation les filiales directement concernées par l’opération.

Hormis ce cas, ce sont les filiales parties à l’opération qui devront déclarer et, faute de coordination entre elles, toutes les filiales concernées devront déclarer. La directive prévoit en effet que tout contribuable concerné n’est dispensé de l’obligation de transmettre les informations que dans la mesure où il peut prouver, conformément au droit national, que ces mêmes informations ont déjà été transmises par un autre contribuable concerné. Il semblerait de bonne gestion que dans un tel cas, la déclaration ne soit déposée que par une seule filiale du groupe, à charge pour cette dernière d’en informer les autres afin de les décharger de leur obligation.

Comment anticiper ?

L’échange et la concertation seront donc indispensables dans les groupes pour respecter les obligations prévues par la directive. Loin de n’impliquer que les fiscalistes, l’identification des opérations à déclarer demandera la vigilance, si ce n’est des dirigeants, du moins de tous les responsables juridiques, administratifs et financiers, ou encore des trésoriers, dans les différentes filiales du groupe établies dans les Etats membres de l’UE et à raison de toutes leurs opérations internationales, y compris lorsque ces opérations impliquent des pays tiers à l’Union européenne. C’est donc un véritable effort de sensibilisation et de formation qui devra être fourni dans les groupes, et qui nécessitera en parallèle la mise en place d’un système de remontées et de stockage de données permettant de conserver de manière centralisée l’historique des informations relatives aux dispositifs à déclarer. A cet égard, la directive «DAC 6» démontre une nouvelle fois l’intérêt et l’importance de la digitalisation pour la fonction fiscale…

1. Voir «L’extension de l’échange automatique en matière fiscale des dispositifs transfrontières “DAC 6” adoptée par l’Union européenne», par Guillaume Glon et Simon Perrot, PwC Société d’Avocats, Lettre gestion des groupes internationaux, juin 2018.


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Restructurations internationales – L’administration a publié ses premiers commentaires

Valérie Aelion

La loi de finances rectificative pour 20171 a modifié sur de nombreux points le régime fiscal des fusions et opérations assimilées, avec l’objectif principal de mettre ce régime en conformité avec le droit de l’Union européenne. L’administration fiscale a récemment publié ses commentaires sur les aménagements apportés par le législateur2 afin de préciser certains points et de lever des interrogations, même si des incertitudes demeurent. Le présent article a pour objet de passer en revue les commentaires intéressant le traitement des opérations de restructurations transfrontalières dont certains aspects ont été jugés non conformes par la CJUE.

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