Une taxe européenne temporaire sur les services digitaux encore en cours de définition mais dont l’entrée en vigueur sera probablement reportée, une taxe française sur les livraisons de colis du commerce en ligne proposée par l’association des maires de France, une taxe britannique sur les revenus des plateformes digitales, une taxe espagnole temporaire en attendant la mise en place temporaire de la taxe européenne proposée au Parlement, un courrier du sénateur américain Hatch en charge de la commission des finances au président de la Commission européenne lui demandant de renoncer à la taxe européenne temporaire… L’activité législative et politique en matière de fiscalité de l’économie numérique continue d’être intense mais fractionnée.
Par Michel Combe, avocat associé, PwC Société d’Avocats
Pourquoi sommes-nous confrontés à une telle situation ? Au-delà du fait que tous les Etats veulent leur «fair share of tax», nous sommes confrontés à des points de vue très différents de la part des Etats. De façon schématique, trois points de vue se confrontent.
Certains Etats considèrent tout d’abord que les décalages observés dans l’économie numérique entre le lieu de création de valeur et le lieu d’imposition des bénéfices ne résultent pas de pratiques d’évitement fiscal mais des caractéristiques propres des modèles d’affaires à forte composante numérique. Pour les tenants de ce courant, des mesures ciblées suffiraient à corriger les imperfections du système sans avoir recours à une refonte complète du cadre fiscal international.
D’autres défendent que la numérisation de l’économie menace le cadre fiscal international actuel en sapant ses deux principes directeurs, qui sont le lieu (déterminant le droit d’imposer) et l’attribution des bénéfices (déterminant l’assiette imposable). Pour eux, les règles actuelles seraient inadaptées et appelleraient une refonte globale.
Enfin, d’autres considèrent que les mesures du projet «BEPS» de l’OCDE apportent déjà des réponses satisfaisantes. Pour ces derniers, il n’est nécessaire d’agir ni ponctuellement ni globalement.
Ces voix divergentes ont conduit l’OCDE à conclure que si la direction est claire et la conduite des travaux techniques en cours, le consensus semble difficile à atteindre alors même que de par la nature globale de l’économie digitale, toute mesure ponctuelle et/ou isolée, sera la source d’un risque de double imposition pour les entreprises.
Revenons à la raison de base qui a conduit le G20 à mandater l’OCDE : les grandes entreprises de l’économie digitale ne paieraient pas la part d’impôt sur les bénéfices qu’elles devraient et accessoirement pas dans les Etats où la valeur est créée. Si tel est l’axiome de base, on ne peut que s’interroger sur la pertinence de quelques-unes des réponses apportées à ce jour.
Depuis quand une imposition sur le chiffre d’affaires est-elle une mesure pertinente de la profitabilité d’une entreprise ? Toutes les entreprises profitables ou déficitaires acquittent par exemple en France la TVA indépendamment de leur rentabilité. Une telle taxe ne conduira donc pas à imposer les profits des entreprises de l’économie digitale mais «au mieux» une fraction de ces profits.
Est-ce que cette imposition sera à la charge des entreprises, ce qui serait un «moindre» mal par rapport à l’objectif annoncé d’imposer les entreprises de l’économie digitale ? La réponse est connue : à l’exception du secteur financier, la TVA est neutre pour les entreprises. En fait, cette imposition est un coût pour les consommateurs finaux vers lesquels elle est repoussée.
Comment alors faire qu’une taxe digitale assise sur le chiffre d’affaires constitue une imposition à la charge des entreprises de l’économie digitale ? La seule solution serait que la loi interdise de changer les prix des biens et services acquis de manière digitalisée en répercutant cette taxe aux consommateurs finaux.
A supposer qu’une telle mesure soit mise en place, comment s’en assurer dans la durée lorsqu’on constate qu’une société de consommation repose sur des offres renouvelées en permanence, rendant impossible de s’assurer qu’in fine la taxe soit un coût pour l’entreprise digitale ?
En synthèse, une taxe digitale assise sur le chiffre d’affaires ne produira pas l’effet recherché, se trompant de «cibles» !
Si l’on s’intéresse aux données qui participent à la co-création de valeur, la question se pose de savoir à quel instant elles devraient être évaluées et donc conduire à une imposition. Faut-il les évaluer au moment de leur collecte ou lors de leur exploitation ?
Le principe de l’offre et de la demande est la clé de voûte de la valorisation des biens et des services. Au moment de la collecte, il n’y a pas nécessairement une demande.
C’est pourquoi, d’un point de vue fiscal, il est plus orthodoxe de considérer que le fait générateur de l’imposition est l’usage, la vente ou la consommation, c’est-à-dire l’instant où la valeur est externalisée dans le cadre d’une transaction commerciale. Si l’on retient cette idée, se pose la question de tracer la donnée afin de s’assurer qu’elle sera imposée lors de son utilisation.
Oublions la question suivante : quelle est la part de cette donnée brute dans la création de valeur, par rapport aux algorithmes et à toutes les autres actions conduites par les entreprises de l’économie digitale pour les valoriser ?
A supposer l’hypothèse de base de la réflexion des Etats comme étant correcte, on doit constater que les idées proposées jusqu’à ce jour par nombre d’Etats sont loin de permettre d’atteindre l’objectif recherché. Il est encore temps de trouver un consensus international au profit des entreprises et des consommateurs, qui réponde de manière durable aux objectifs des parties prenantes en assurant une imposition internationalement harmonieuse, évitant des risques de double imposition, des obligations de déclaration et de paiement multiples et complexes, et plus largement en ne freinant pas le développement de ce pan de l’économie.