La lettre gestion des groupes internationaux

Novembre 2018

Entrée en vigueur de l’instrument multilatéral pour la France le 1er janvier 2019 : quels impacts sur les conventions fiscales françaises ?

Publié le 30 novembre 2018 à 12h12

Guillaume Glon et Florian Rodriguez

Parmi les 15 actions portées par le projet BEPS de l’OCDE visant à lutter contre l’érosion de base taxable et le transfert de bénéfices, celles dont le but était de «réparer» les conventions fiscales internationales, selon les termes de Pascal Saint-Amans, ont permis la mise à jour du Modèle de convention fiscale de l’OCDE en novembre 2017 (avec en particulier l’introduction du Principal Purpose Test comme clause anti-abus générale et une notion conventionnelle d’établissement stable élargie).

Par Guillaume Glon, avocat associé, PwC Société d’Avocats et Florian Rodriguez avocat, PwC Société d’Avocats

Pour assurer une mise en œuvre concrète de ces avancées tout en évitant l’inertie des négociations bilatérales traditionnelles entre Etats, l’action 15 du projet BEPS a été dédiée au développement d’un instrument multilatéral («IM») visant à modifier les conventions fiscales de ses signataires. L’IM a été signé à Paris le 7 juin 2017 par 67 Etats, dont la France. A ce jour, le nombre d’Etats signataires a été porté à 84, un chiffre qui ne comprend toutefois pas des partenaires conventionnels majeurs de la France tels que les Etats-Unis ou encore le Brésil.

Depuis lors, la France a ratifié l’IM et l’a déposé auprès de l’OCDE le 26 septembre 2018, déclenchant ainsi son entrée en vigueur pour la France au 1er janvier 2019 (i.e., comme le prévoit le texte de l’IM, le 1er jour du mois suivant l’écoulement d’une période de trois mois à compter du dépôt de l’instrument ratifié).

Il convient cependant de relativiser l’impact de l’échéance du 1er janvier 2019 sur le réseau conventionnel français, qui ne sera en réalité que très partiellement affecté dans l’immédiat. En effet, pour que l’IM produise ses effets sur une convention fiscale bilatérale, encore faut-il que celle-ci entre dans son champ d’application matériel (ratione materiae) et temporel (ratione temporis).

S’agissant tout d’abord du champ d’application matériel (ratione materiae) de l’instrument, une approche au cas par cas est nécessaire en raison de la flexibilité offerte à chaque Etat signataire tant au regard de la portée de l’instrument sur ses conventions fiscales (système de conventions couvertes) que du contenu de celui-ci (système de réserves, options et notifications). En effet, une stipulation particulière de l’IM ne s’appliquera à une convention fiscale entre deux Etats qu’à la triple condition que les deux parties aient signé l’IM, qu’ils aient tous deux désigné ladite convention fiscale comme étant «couverte» dans le cadre de l’instrument, et qu’ils fassent preuve d’une réciprocité de choix vis-à-vis de cette stipulation particulière de l’IM (absence de réserve commune, choix d’option identique ou compatible, notification commune de la stipulation lorsque nécessaire) hormis les standards minimums, obligatoires pour tous les signataires.

Ainsi, la convention bilatérale entre la France et les Etats-Unis ne sera pas modifiée en raison de la non-signature de l’instrument par les Etats-Unis, la convention franco-suédoise ne sera pas affectée par l’IM en raison de la non-couverture de cette convention par la Suède (alors même que la France a notifié son intention de la couvrir dans le cadre de l’IM) et la convention avec le Royaume-Uni, bien qu’affectée par l’IM puisque couverte par les deux Etats parties, ne sera pas impactée en ce qui concerne la nouvelle définition de l’établissement stable, en raison de la réserve notifiée par le gouvernement britannique sur cette stipulation de l’IM (alors même, là encore, que la France n’a pas émis une telle réserve).

Concernant le champ d’application temporel de l’instrument (ratione temporis), il s’appréciera également au regard de la position de chacun de nos partenaires conventionnels ayant signé l’IM et entendant couvrir leur convention avec la France. Bien que l’IM entre en vigueur le 1er janvier 2019 pour la France, celui-ci n’affectera concrètement une convention fiscale particulière qu’à compter de sa date de prise d’effet. A cet égard, le texte de l’IM opère une distinction. Pour les impôts prélevés à la source, la prise d’effet de l’instrument intervient le 1er janvier de l’année qui suit sa date d’entrée en vigueur pour le dernier des deux Etats signataires parties à une convention bilatérale. Si la dernière date d’entrée en vigueur est un 1er janvier, la date de prise d’effet sera ce même jour et non le 1er janvier de l’année suivante. Pour les autres impositions, l’IM prend effet pour les périodes d’imposition ouvertes à compter de l’écoulement d’une période de six mois suivant l’entrée en vigueur pour le dernier des deux Etats signataires. La question de la prise d’effet de l’IM sur une convention fiscale ne s’envisage donc qu’après l’entrée en vigueur de l’instrument pour les deux partenaires conventionnels.

Ainsi, suite au dépôt par le gouvernement britannique de l’instrument ratifié auprès de l’OCDE le 29 juin 2018, l’IM est entré en vigueur depuis le 1er octobre pour le Royaume-Uni. Cette date n’a cependant eu aucun impact sur la convention fiscale franco-britannique, dans la mesure où l’IM n’était pas encore entré en vigueur pour la France. Au 1er janvier 2019, l’IM sera en vigueur pour les deux Etats et produira ses effets sur la convention franco-britannique pour les impositions à la source. Pour les autres impositions, ces effets s’appliqueront aux périodes d’imposition ouvertes à compter du 1er juillet 2019. A compter de ces dates respectives, le texte de notre convention avec le Royaume-Uni se lira à la lumière de l’IM au même titre qu’un protocole additionnel.

En conséquence, le 1er janvier 2019 ne sera dans les faits synonyme de prise d’effet de l’IM que pour une poignée de conventions fiscales françaises, i.e. celles conclues avec les quelques Etats pour lesquels l’IM entrera ou sera déjà entré en vigueur à cette date (à l’exception toutefois de ceux qui, comme la Suède, n’entendent pas couvrir leur traité avec la France).

Outre le Royaume-Uni, sont notamment concernées nos conventions conclues avec l’Autriche, l’Australie, Israël, le Japon, la Lituanie, la Pologne, la Serbie ou encore la Slovénie. S’agissant toutefois de l’Autriche, la prise d’effet relative aux impositions autres qu’à la source n’interviendra pas au 1er juillet 2019 mais, conformément à la réserve du gouvernement autrichien, pour les périodes d’imposition ouvertes à compter du 1er janvier 2020.

Il conviendra de suivre attentivement la position de nos autres partenaires conventionnels (dépôt de l’instrument ratifié, réserves éventuelles quant à la date de prise d’effet) afin d’anticiper avec précision la prise d’effet de l’IM dans nos relations bilatérales.

Quant à l’étendue des changements opérés par l’IM sur les conventions fiscales concernées, elle reposera essentiellement sur le degré de réciprocité et de compatibilité des positions françaises avec celles de nos partenaires conventionnels (sauf standards minimums tels que le Principal Purpose Test). Là encore, compte tenu des choix tendanciellement opérés par ces derniers dans le cadre de l’IM, la révolution tant annoncée n’est probablement pas pour tout de suite.


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