La lettre gestion des groupes internationaux

Captives de (ré)assurance, substance et prix de transfert

Publié le 19 mars 2021 à 12h52    Mis à jour le 11 octobre 2021 à 14h51

PwC Société d’Avocats

Outil fondamental de gestion du risque de nombreux groupes français, les captives d’assurance (filiales consolidant directement les risques intragroupes) ou de réassurance (filiales réassurant tout ou une grande partie des risques intragroupes couverts par un assureur tiers dit « fronteur ») présentent de nombreux avantages opérationnels, qu’il s’agisse de couvrir des risques difficilement assurables ou d’atténuer la volatilité de coûts d’assurance voire même les réduire. Aisément délocalisables, les captives font naturellement l’objet d’arbitrages réglementaires mais également fiscaux, ce qui explique qu’elles soient ciblées par les autorités fiscales et souvent suspectes de concentrer des revenus importants entre les mains d’équipes souvent réduites.

Par Fabien Fontaineavocat, associé, PwC Société d’Avocatset Sandra Fleurier, avocate,PwC Société d’Avocats.

En France, les captives d’assurance et de réassurance peuvent se voir opposer plusieurs dispositifs allant de l’établissement stable ou d’un rejet de résidence fiscale, aux dispositions anti-abus, dont la clause générale de l’article 205 A CGI et les articles 209 B et 238 A CGI.

Ainsi, plusieurs vérifications récentes ont porté sur les captives de réassurance luxembourgeoises qui bénéficient d’un régime de provision pour fluctuation de sinistralité (PFS) couvrant l’ensemble des risques de la captive – donc bien plus favorable que la provision française pour égalisation (articles 39 quinquies G et 39 quinquies GA CGI) qui visent des risques spécifiques (risques dus à des éléments naturels, risque atomique, etc.). A l’occasion de ces vérifications, l’administration fiscale a considéré que cette déductibilité intégrale qualifie un régime fiscal privilégié au sens de l’article 238 A du CGI, et conjugue cette disposition avec l’article 209 B du CGI en considérant la captive comme artificielle à raison d’une absence alléguée de moyens matériels, techniques et humains, d’autonomie dans la conduite de son activité et ses prises de décisions (nombre limité de réunions du conseil d’administration et des comités de souscription au Luxembourg, ou encore gestion des contrats de réassurance par la direction des assurances du groupe localisé en France). Les redressements s’accompagnent souvent de la majoration de 40 % pour manquement délibéré, d’où non seulement un risque financier mais plus encore pénal (voire réputationnel, comme l’ont démontré les « Malta files » de 2017).

Les contribuables ne manquent cependant pas d’arguments pour justifier de la nécessité et du fonctionnement de leurs captives ainsi que de leur localisation. Sans être exhaustif, par la nature même de son activité, une captive de réassurance ne requiert pas d’équipe permanente importante, mais l’intervention de compétences multiples ponctuelles ; la délégation de gestion à des tiers indépendants n’enlève rien à l’implication des administrateurs dans les décisions stratégiques. De même, le Luxembourg est une place financière mondialement reconnue réunissant les meilleures expertises. Enfin, plus techniquement, on peut penser que la PFS n’offre qu’un décalage temporaire d’imposition et ne constitue pas à ce titre un régime fiscal privilégié. Le plus souvent, ces arguments sont rejetés tant par l’administration que le juge – mais il est vrai que les contentieux jugés sont à ce jour en nombre réduit1, et ont fait l’objet d’appels.

Une note de l’administration fiscale diffusée de manière restreinte en septembre 2020 semble amorcer un changement de paradigme pour les captives de réassurance de l’Union européenne.

Par cette note, la DGFiP écarte en effet les articles 209 B et 238 A du CGI pour les captives remplissant de strictes fonctions d’activité effective de réassurance et de gestion quotidienne correspondante (paramètres ou du cadre de prise en charge du risque, primes de réassurance de pleine concurrence), étant entendu qu’une sous-traitance est possible par un contrat de prestation de services – la note évoque sur ce point l’hypothèse que « des prestations nécessaires à la réalisation de l’activité de la captive sont exercées par la direction des assurances du groupe ». Sur le plan des actifs, la captive doit respecter les ratios prudentiels locaux, disposer de locaux (y compris sous forme de domiciliation) et de compétences assurantielles. Enfin, sur le plan des risques, la captive doit centraliser et diversifier le risque de réassurance, contrôler le risque économiquement significatif de souscription et encourir un risque réel de perte.

Pour peu que ces critères soient réunis, la captive ne peut être considérée comme exploitée en France ; quand bien même elle bénéficierait d’un régime fiscal privilégié, elle ne pourrait être considérée comme un montage artificiel. Elle bénéficie ainsi de l’exception du II de l’article 209 B CGI.

La portée de la note est incertaine, et en tout état de cause en deçà de celle conférée par l’article L. 80A LPF. Elle constitue néanmoins une avancée intéressante car elle pose les bases techniques d’une légitimité d’opérations de réassurance luxembourgeoises et en cela peut sans doute contribuer à rééquilibrer les échanges entre vérificateurs et contribuables.

Enjeu pratique important, la note formule l’exigence que la rémunération de la direction des assurances du groupe mentionnée ci-dessus soit conforme aux dispositions de l’article 57 du CGI et des principes de pleine concurrence posés par l’OCDE en matière de prix de transfert (on peut penser que selon l’implication des équipes centrales, la méthode à retenir ira d’un cost + à un partage de profits).

Un tel renvoi aux principes OCDE n’est pas étonnant car, à bien y regarder, l’ensemble des conditions de substance énoncées par la note transpose nettement les lignes directrices de l’OCDE sur les captives2. Selon ces dernières3, en effet, la qualification d’une activité d’assurance effective dépend d’une politique de diversification et de mutualisation des risques bénéficiant au groupe, et ce dernier doit prouver qu’en tant qu’entité régulée la captive prend réellement en charge le risque et conserve un niveau de capital approprié. L’OCDE entend par ailleurs qu’une captive dispose des compétences appropriées, y compris en matière d’investissement, et soit exposée à un risque réel de pertes. L’attribution à la captive du risque assurantiel (et donc des revenues associés4) dépend de son contrôle des risques économiquement significatifs associés à cette fonction de souscription5 – c’est-à-dire d’accepter ou non un risque (et à quelles conditions)6, étant entendu que la simple définition des paramètres ou du cadre de prise en charge du risque ne peut être considérée comme une fonction de contrôle7. Si la captive est autorisée à externaliser une partie de ses activités de souscription (telle que l’acceptation du risque d’assurance), la captive doit conserver des fonctions de contrôle pour continuer à se voir attribuer le risque8 (et, à nouveau, la rémunération correspondante).

On le voit, les conditions posées par la note DGFiP sont d’une simplicité qui n’est qu’apparente, et peuvent soulever de nombreux enjeux en prix de transfert. A la manière d’une boîte de Pandore, les développements de l’OCDE norment la performance financière des captives9, le montant des primes qu’elles reçoivent10, leur niveau de capitalisation11, et exigeant la redistribution de toute synergie de centralisation des risques par une réduction de primes12. Le champ ainsi potentiellement ouvert est considérable.


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