La lettre gestion des groupes internationaux

Mars 2021

Covid-19 - Télétravail et établissement stable : précisions complémentaires de l’OCDE

Publié le 19 mars 2021 à 11h18    Mis à jour le 11 octobre 2021 à 14h50

PwC Société d’Avocats

Les mesures adoptées par les gouvernements dans le cadre de la pandémie de Covid-19 se sont traduites par d’importantes restrictions aux déplacements et la généralisation du télétravail, situation qui a pu susciter un certain nombre d’interrogations sur les risques d’établissement stable potentiellement liés à cette situation, lorsqu’un salarié est amené à travailler depuis son domicile situé dans une juridiction différente de celle de son employeur.Dans une recommandation en date du 21 janvier 2021, l’OCDE met à jour ses commentaires d’avril 2020 évoquant cette question et envisage en complément les conséquences de l’éventuelle poursuite du télétravail après la pandémie.

Marie-Hélène Pinard-Fabro, avocate, PwC Société d’Avocats et Sarah Benkadour, PwC Société d’Avocats.

Télétravail et installation fixe d’affaires

En application du modèle de convention OCDE, la reconnaissance d’un établissement stable sur le fondement d’une installation fixe d’affaires suppose, entre autres critères, un certain degré de permanence de l’installation fixe, qui doit également être à la disposition de l’employeur.

Au mois d’avril 2020, l’OCDE avait rappelé, en se fondant sur le paragraphe 18 de ses commentaires relatifs à l’article 5 du modèle de convention (version novembre 2017), que le travail à domicile d’un salarié dans le cadre de la pandémie de Covid-19, laquelle constitue un événement extraordinaire et non une obligation imposée par l’employeur, ne devrait pas entraîner pour ce dernier la présence d’un établissement stable dans la juridiction du domicile du salarié, la condition de permanence ou de continuité n’étant pas remplie, ou les locaux n’étant pas à la disposition de l’employeur.

Dans la mise à jour de ces mêmes recommandations en date du 21 janvier 2021, l’OCDE alerte sur la poursuite du travail à domicile après la pandémie, en précisant qu’elle pourrait traduire un certain degré de permanence, sans que cet élément ne puisse toutefois suffire à caractériser un établissement stable. Un examen des faits et circonstances serait alors nécessaire pour déterminer si le bureau à domicile est à la disposition de l’entreprise.

Se fondant sur le paragraphe 18 précité de ses commentaires, l’OCDE indique que le fait pour l’employeur d’obliger un salarié à utiliser son domicile pour l’exercice d’une activité de l’entreprise (notamment en ne fournissant pas de bureau à un salarié alors que la nature même de l’emploi l’exige clairement), pourrait amener à considérer que le bureau à domicile est mis à la disposition de l’entreprise. L’OCDE reprend l’exemple du paragraphe 19 des commentaires précités selon lequel, lorsqu’un travailleur transfrontalier exécute la majeure partie de son travail à partir de son domicile situé dans un Etat, et non à partir du bureau mis à sa disposition dans l’autre Etat, il conviendrait de ne pas considérer que son domicile est mis à la disposition de l’entreprise dans la mesure où ce n’est pas l’entreprise qui a exigé que le domicile soit utilisé pour l’exercice de ses activités.

Au vu de ces recommandations et en cas de persistance du télétravail après la pandémie, les entreprises devront donc se préparer à justifier sans ambiguïté des circonstances dans lesquelles le télétravail se poursuit, et notamment si cette organisation est ou non imposée au salarié.


Télétravail et agent dépendant

En ce qui concerne la notion d’agent dépendant, le critère prépondérant permettant de déceler l’existence d’un établissement stable, fixé par l’article 5(5) du modèle de convention fiscale de l’OCDE, repose sur le point de savoir si le salarié conclut habituellement des contrats au nom de l’entreprise.

L’OCDE avait précisé dans le cadre de ses recommandations du mois d’avril 2020 que l’activité d’un employé ou d’un agent dans une juridiction avait peu de chances d’être considérée comme habituelle si ce salarié ne travaillait à domicile dans la juridiction concernée qu’en raison d’un événement extraordinaire ou de mesures de santé publique imposées ou recommandées par un gouvernement.

Dans sa mise à jour du 21 janvier 2021, l’OCDE précise toutefois que l’approche pourrait être différente si, avant la pandémie, le salarié concluait déjà à titre habituel des contrats au nom de son entreprise. Par ailleurs, il est dans ce cas encore plus que probable, selon l’OCDE, que si le salarié poursuit le télétravail à titre habituel après la pandémie, tout en continuant à conclure des contrats au nom de son entreprise, il sera considéré comme un établissement stable de cette entreprise.

L’OCDE précise que l’appréciation du caractère habituel de l’activité de l’agent est susceptible de varier selon la nature des contrats et l’activité de l’entreprise. En ce qui concerne la durée d’exercice de l’activité, l’OCDE se réfère aux paragraphes 28 à 30 des commentaires relatifs à l’article 5 pour indiquer que, même si les pratiques des pays membres n’ont pas été homogènes en ce qui concerne le critère temporel, l’expérience montre que l’on n’a pas normalement conclu à l’existence d’un établissement stable lorsque l’activité avait été exercée dans un pays par l’intermédiaire d’une installation d’affaires tenue depuis moins de six mois. C’est donc une approche stricte qui semble être retenue par l’OCDE, alors même que la pandémie a débuté il y a près d’un an et que la durée de six mois pourrait ainsi être facilement dépassée. On peut par ailleurs regretter l’absence de précision de l’OCDE sur d’autres critères qui pourraient être pertinents, tels que la compétence géographique de l’agent ou encore la localisation géographique des clients. En effet, un agent dépendant concluant des contrats avec des clients établis dans l’Etat de résidence de son employeur et non dans l’Etat de son domicile devrait logiquement pouvoir échapper à la qualification d’établissement stable.

Soulignons qu’à la suite de l’arrêt Conversant (CE, 11 déc. 2020, n° 420174), il est avéré que la France retient une définition large du pouvoir de conclure les contrats dans le cadre des conventions fiscales conformes au modèle OCDE, considérant que cette notion recouvre aussi le pouvoir de décider de transactions que l’entreprise se borne à entériner et qui, ainsi entérinées, l’engagent. Cette circonstance, qui s’ajoute à l’approche stricte retenue par l’OCDE au regard de l’appréciation de la qualité d’agent dépendant dans le cadre de la crise sanitaire, devrait inciter les entreprises à beaucoup de prudence vis-à-vis du télétravail de salariés amenés à jouer un rôle important dans la conclusion de leurs contrats, lorsque ces derniers sont domiciliés dans une juridiction fiscale différente de celle de leur employeur. n


La lettre gestion des groupes internationaux

La notion d’agent dépendant au sens des conventions fiscales : le Conseil d’Etat apporte une nouvelle pierre à l’édifice

PwC Société d’Avocats,

L’affaire Conversant, tout comme l’affaire Google, illustre la difficulté d’appréhender la matière fiscale issue du secteur de l’économie digitale dans le cadre d’une fiscalité internationale dont les repères historiques, fondés sur la présence physique, sont inéluctablement destinés à évoluer. L’arrêt du Conseil d’Etat du 11 décembre 2020 rendu dans le cadre de l’affaire Conversant (CE, 11 déc. 2020, n° 420174) témoigne d’une telle évolution en apportant un nouvel éclairage sur la notion d’établissement stable prise sous l’angle de l’agent dépendant. Cet important arrêt innove également en ce qui concerne l’interprétation des conventions fiscales internationales à la lumière de commentaires publiés par l’OCDE postérieurement à la signature de ces conventions.

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