Si nous ne reviendrons pas en détail sur les faits et la procédure de cette affaire, lesquels ont été présentés dans l’article publié ci-dessus en matière d’impôt sur les sociétés « la notion d’agent dépendant au sens des conventions fiscales : le Conseil d’Etat apporte une nouvelle pierre à l’édifice », nous nous attacherons néanmoins à identifier les principaux éléments sur lesquels cette décision s’appuie pour conclure, qu’en matière de TVA, une société française, rendant des services de prospection commerciale à sa société sœur irlandaise en vue de la commercialisation de services de marketing digital, doit être regardée comme l’établissement stable de cette dernière en France à partir duquel lesdits services sont rendus.
Par Muriel Illouz, avocate, PwC Société d’Avocats.
Si nous ne reviendrons pas en détail sur les faits et la procédure de cette affaire, lesquels ont été présentés dans l’article publié ci-dessus en matière d’impôt sur les sociétés « la notion d’agent dépendant au sens des conventions fiscales : le Conseil d’Etat apporte une nouvelle pierre à l’édifice », nous nous attacherons néanmoins à identifier les principaux éléments sur lesquels cette décision s’appuie pour conclure, qu’en matière de TVA, une société française, rendant des services de prospection commerciale à sa société sœur irlandaise en vue de la commercialisation de services de marketing digital, doit être regardée comme l’établissement stable de cette dernière en France à partir duquel lesdits services sont rendus.
En effet, dans cette affaire, la société irlandaise Valueclick International Ltd propose à ses clients des services de marketing digital, par l’intermédiaire d’une SARL de droit français (Valueclick France) à laquelle a été consentie une licence pour l’exploitation des services digitaux en France. Aux termes d’une convention de services intra-groupes, il a également été convenu que la société française devait fournir à la société irlandaise des services d’assistance marketing conduisant la Société française à agir « comme le représentant marketing de Valueclick International, ce qui inclut mais pas seulement l’identification, la prospection et le signalement des clients potentiels à Valueclick International, des services continus de management et services d’assistance back-office, une assistance administrative, incluant la comptabilité, la gestion des ressources humaines, les technologies de l’information et la trésorerie ».
Les faits se déroulant sur la période entre 2008 et 2011, une des premières difficultés pour le Conseil d’Etat a été d’articuler les règles de territorialité de TVA et de détermination du redevable en matière de prestations de services, ces dernières ayant été profondément modifiées à compter du 1er janvier 2010.
Selon la jurisprudence antérieure au 1er janvier 2010, l’établissement stable se définit comme une structure présentant « un degré suffisant de permanence et une structure apte, du point de vue de l’équipement humain et technique, à rendre possible, de manière autonome, les prestations de services considérées ». Mais il ne doit être pris en compte que dans « le cas où le rattachement au siège ne conduit pas à une solution rationnelle du point de vue fiscal ou crée un conflit avec un autre Etat membre » (CJCE, 4 juill. 1985, aff. C-168/84, Berkholz).
A l’inverse, la société qui ne dispose ni de personnel ni d’une structure propre rendant possible des décisions de gestion prises de façon autonome au siège ne peut être considérée comme un établissement stable (CJCE, 17 juill. 1997, aff. C-190/95, ARO Lease BV).
A compter du 1er janvier 2010, l’article 53, 1° du règlement d’exécution n° 282/2011 du 15 mars 2011 retient la même définition de l’établissement stable. Toutefois, si l’assujetti dispose d’un établissement stable dans un Etat membre à partir duquel les services sont rendus, cet établissement devient alors redevable de la TVA due au titre des services rendus dans cet Etat membre. Il n’est plus nécessaire, dans ce cas, de rechercher si ce rattachement à l’établissement stable est fiscalement plus rationnel qu’un rattachement au siège de l’activité économique du prestataire (CJUE, 23 avr. 2015, aff. C-111/14 Sarviz).
En conséquence, si pour la période antérieure à 2010, la question porte sur la notion de rattachement fiscalement rationnel des services au siège en Irlande ou à l’établissement stable en France, après 2010, elle ne se limite plus qu’à la seule reconnaissance de l’établissement stable en France, ce dernier étant redevable de la TVA sur les services rendus aux clients établis en France.
Ainsi, le changement de réglementation TVA n’ayant pas d’incidence sur la notion même d’établissement stable, il est donc nécessaire de rechercher, si dans les faits, la société irlandaise Valueclick International Ltd, dispose par l’intermédiaire de sa société sœur française, des moyens humains et matériels rendant possible de manière autonome la fourniture de ces prestations de services numériques.
Tout d’abord, s’agissant des moyens humains, il est relevé que « le choix de conclure un contrat avec un annonceur et l’ensemble des tâches nécessaires à sa conclusion relève des salariés de la société française, la société irlandaise se bornant à valider le contrat par une signature qui présente un caractère automatique ». Ainsi, les salariés de la société française interviennent tout au long du processus de commercialisation des services, la société irlandaise n’intervenant que par une validation et une signature automatique du contrat avec l’annonceur. Cette intervention automatique et très limitée est ainsi considérée comme insuffisante pour conclure à l’absence d’un établissement stable en France.
En d’autres termes, s’il est d’usage de s’interroger sur la capacité juridique des salariés à conclure les contrats de vente pour rechercher l’existence d’un établissement stable prestataire, une simple réponse négative ne suffit plus. Il conviendra désormais de s’interroger également d’une part, sur leurs implications et leurs rôles tout au long du processus de négociation préalable à la conclusion des contrats et d’autre part, sur l’étendue de l’intervention du siège.
S’agissant de la caractérisation des moyens matériels, la décision fait preuve d’une approche inédite. En effet, au cas d’espèce, les serveurs utilisés pour l’exécution des fonctionnalités de mise en relation entre l’annonceur et l’éditeur autrement dit les moyens nécessaires à la réalisation des services de marketing digital ne se trouvaient pas physiquement en France ni en Irlande. Mais bien que la société française ne dispose pas d’infrastructures techniques, le Conseil d’Etat relève que « si l’exécution des fonctionnalités de mise en relation en temps réel des annonceurs et des éditeurs de sites Internet suppose une infrastructure technique, comprenant les logiciels nécessaires au fonctionnement des plateformes de mise en relation et des serveurs sur lesquels elles sont hébergées, implantés dans des centres de données, la création, le paramétrage et la gestion du compte client par les salariés de la société française, en application du contrat conclu avec un annonceur, suffisent pour ouvrir de manière effective à ce dernier un accès aux fonctionnalités prévues au contrat adapté aux besoins de ses programmes de publicité, sans restriction et sans qu’aucune intervention spécifique soit requise de la part de sociétés du groupe distinctes de la société française et de la société irlandaise… ».
En matière de services numériques, la localisation du centre de données en tant qu’infrastructure technique permettant de fournir les services est un élément à prendre en compte pour caractériser l’existence d’un établissement stable (CJUE, 16 oct. 2014, aff. C-605/12, Welmory).
Dans la décision, cet élément est tout simplement écarté par le Conseil d’Etat au profit d’une approche inédite beaucoup plus large consistant à identifier la possibilité technique de donner accès aux clients aux fonctionnalités prévues au contrat. Une telle approche n’est pas sans conséquences et l’on peut s’interroger sur sa portée. En effet, dans un monde qui se digitalise et où les nouvelles technologies sont de plus en plus innovantes, l’appréciation des moyens techniques ne semblerait plus uniquement s’apprécier au regard de la notion d’infrastructures techniques. Serait-ce un nouveau tournant dans la définition TVA d’un établissement stable ?
En conclusion, si cette décision s’inscrit dans la jurisprudence communautaire selon laquelle la prise en compte de la réalité économique et commerciale est un critère fondamental pour l’application du système commun de la TVA (CJCE, 20 févr. 1997 aff. C-260/95, DFDS Seaways), elle semble aller encore plus loin en prenant également en compte la réalité technologique. n