Un récent arrêt de la Cour administrative d’appel de Bordeaux vient rappeler la nécessité d’évaluer soigneusement, avant l’octroi de toute aide à une société étrangère, les conséquences de l’opération envisagée au regard, notamment, du risque de distribution occulte au sens des dispositions de l’article 111, c du CGI qui permettent à l’administration, sous certaines conditions, de soumettre le montant de l’aide à une retenue à la source, sous réserve de l’application des conventions fiscales internationales (CAA Bordeaux 23 octobre 2024 n° 22BX02116).
Décision de la Cour administrative d’appel de Bordeaux
La société Ecocert, spécialisée dans la certification, l’audit et le contrôle de produits ou de systèmes dans l’agriculture biologique détenait l’intégralité des parts d’une filiale allemande, ainsi que 99,87 % des parts d’une filiale équatorienne.
Disposant de créances commerciales sur ces deux sociétés et leur ayant par ailleurs accordé des avances financières, elle leur a consenti des abandons de créances, qu’elle a enregistrés en comptabilité comme des charges non déductibles et spontanément réintégrés dans ses bénéfices imposables.
A l’issue d’un contrôle fiscal, l’administration fiscale a soumis les sommes concernées à la retenue à la source sur revenus de capitaux mobiliers (CGI art. 119 bis, 2) à l’issue d’un raisonnement qui l’a conduite à considérer que les abandons de créances consentis constituaient des transferts indirects de bénéfices à l’étranger au sens de l’article 57 du CGI et devaient, par suite, être regardés comme des revenus distribués au sens de l’article 111, c du CGI.
Au cas particulier, la société Ecocert avait tenté de justifier ces abandons de créances par la situation déficitaire de sa filiale équatorienne, qui nécessitait sa fermeture, et par la mise en sommeil de sa filiale allemande, en vue d’une opération de fusion qui n’avait pas abouti. Mais la société n’avait produit au soutien de ses allégations que la liasse comptable de sa filiale allemande, de surcroît en langue anglaise, ce qui ne permettait pas, selon la cour, d’établir que les abandons de créance auraient été consentis en contrepartie de conditions favorables à sa propre exploitation, ou auraient été conformes à la sauvegarde de son propre intérêt commercial.
La Cour administrative d’appel de Bordeaux a ainsi confirmé la position de l’administration, jugeant que cette dernière avait, à bon droit, regardé les avantages consentis comme des transferts indirects de bénéfices à l’étranger constitutifs de revenus distribués au sens de l’article 111, c du CGI, quand bien même les sommes en cause avaient été spontanément réintégrées dans la comptabilité de la société Ecocert.
Le présent commentaire ne concerne que les conditions de mise en œuvre de l’article 111, c du CGI. L’application des conventions fiscales franco-allemande et franco-équatorienne n’est pas évoquée, d’autant que l’analyse de la cour au regard de cette seconde convention nous parait discutable.
Conditions de reconnaissance d’une distribution occulte
Cette décision permet de revenir sur les conditions de mise en œuvre de l’article 111, c du CGI qui reposent d’une part, sur la démonstration par l’administration de l’existence d’un avantage présentant le caractère d’une libéralité et d’autre part, sur le caractère occulte de cet avantage.
1) Avantage présentant le caractère d’une libéralité
Dans son arrêt, la Cour administrative d’appel de Bordeaux juge qu’en application des dispositions combinées des articles 57 et 111, c du CGI, « dans le cas où l’existence d’un transfert de bénéfices est établie en application de l’article 57 du CGI, le montant correspondant doit, en application des dispositions du c de l’article 111 du CGI, être regardé comme un revenu distribué ».
Cette solution n’est pas sans rappeler une décision plus ancienne du Conseil d’Etat dans laquelle la Haute Juridiction avait considéré qu’en présence d’une pratique entrant dans les prévisions des dispositions de l’article 57 du CGI, dès lors que la société ne démontrait pas qu’elle avait retiré une contrepartie de la dépense correspondante, cette dernière constituait un transfert indirect de bénéfices, de nature à donner lieu à l’application de la retenue à la source prévue à l’article 119 bis du même code (CE 13 décembre 2017 n° 387969). Dans cette affaire, l’administration avait remis en cause le paiement, par une société française, d’une facture qui lui avait été adressée par sa société mère américaine et qui concernait des prestations d’audit diligentées dans l’intérêt de cette dernière et non de la filiale française. Dans de telles circonstances, l’identification d’un transfert de bénéfices au sens de l’article 57 du CGI semble autoriser le juge à confirmer l’existence d’un revenu distribué sans passer très explicitement par l’étape de la reconnaissance d’une libéralité.
Il résulte pourtant d’un arrêt fondateur du Conseil d’Etat (CE 28 février 2001 n° 199295, Thérond), rendu à l’occasion d’un achat de titres pour un prix majoré, que la preuve d’une distribution occulte au sens de l’article 111, c du CGI suppose que l’administration apporte la preuve d’une libéralité.
La même condition de preuve d’une libéralité a ensuite été transposée au cas d’un abandon de créances par l’arrêt Simon-Bigart (CE 7 novembre 2009 n° 309786).
En pratique, la libéralité est toutefois présumée lorsque les parties sont en relation d’intérêt (V. par exemple sur ce point CE 25 octobre 2023 n° 466532), ce qui certes place le contribuable dans une situation défavorable au regard de la charge de la preuve, mais lui laisse tout de même par principe la possibilité de démontrer que l’avantage qu’il a octroyé était justifié par l’existence d’une contrepartie, laquelle devrait dans la plupart des cas faire échec aussi bien au redressement pratiqué en matière d’impôt sur les sociétés, qu’au redressement pratiqué en matière de retenue à la source.
La particularité de la présente affaire repose sur la réintégration spontanée, par la société, du montant des abandons de créances pour la détermination de son résultat imposable. On aurait en effet été tenté de croire que la réintégration spontanée d’un abandon de créance et par voie de conséquence, l’absence de redressement en matière d’impôt sur les bénéfices, serait de nature à placer l’entreprise à l’abri d’un redressement en matière de retenue à la source. La présente décision indique qu’il n’en est rien, confirmant à cet égard la ligne jurisprudentielle adoptée depuis plusieurs années par la Cour administrative d’appel de Versailles au regard de l’article 111, c du CGI (V. CAA Versailles, 20 octobre 2016 n° 14VE01604, Sté ALD International SA).
Une autre décision de cette cour, rendue en 2021, concerne des sommes prises en charge par une société pour le compte de certaines de ses filiales étrangères. La société concernée avait spontanément réintégré les sommes correspondantes à son résultat fiscal. Dans cette affaire, la cour a confirmé que l’administration avait pu tirer argument de la réintégration spontanément opérée par la société pour la détermination de son résultat fiscal pour présumer que les charges en cause étaient constitutives d’un transfert de bénéfices au sens de l’article 57 du CGI. Elle n’avait procédé à aucune des comparaisons normalement requises pour l’application de cet article. La cour a admis ce raisonnement et jugé que la détention majoritaire des filiales étrangères bénéficiaires par la société suffisait à faire présumer l’intention libérale eu égard à la relation d’intérêt existant entre une société mère et ses filiales (CAA Versailles 9 février 2021 n° 18VE04115), ce qui autorisait l’application de l’article 111, c du CGI.
S’il ressort de ces décisions que la réintégration spontanée de sommes sur l’imprimé 2058-A ne permet pas par principe d’écarter l’acte anormal de gestion ou le transfert de bénéfices sur le fondement de l’article 57 du CGI, on peut notamment s’interroger sur le bien-fondé de la solution consistant à présumer que les sommes spontanément réintégrées relèvent d’un acte anormal de gestion ou d’un transfert indirect de bénéfices à l’étranger.
Cette interrogation s’avère particulièrement pertinente depuis que l’article 39, 13 du CGI, issu de la loi de finances rectificative pour 2012, prévoit que « Sont exclues des charges déductibles pour l’établissement de l’impôt les aides de toute nature consenties à une autre entreprise, à l’exception des aides à caractère commercial ». Ainsi et plus particulièrement dans ce cas, la réintégration de la charge, commandée par la loi, ne saurait aucunement préjuger du caractère normal ou anormal de l’aide.
La jurisprudence antérieure à la loi de finances rectificative pour 2012 admet en effet l’existence d’un intérêt financier permettant de considérer comme normale une aide consentie par une société mère à sa filiale, avec notamment pour objet de sauvegarder le renom de la mère et d’assainir la situation financière de la filiale (V. notamment CE 30 avril 1980 n° 16253). Dans ces conditions, et en l’absence de libéralité, aucune retenue à la source ne devrait à notre avis pouvoir trouver à s’appliquer sur le fondement de l’article 111, c du CGI.
2) Caractère occulte de l’aide
Lorsque l’administration entend, sur le fondement de l’article 111, c du CGI, soumettre à la retenue à la source de l’article 119 bis, 2 du CGI les sommes réintégrées par une société sur son imprimé 2058-A, au motif qu’elles peuvent être regardées comme distribuées, encore faut-il que ces distributions présentent un caractère occulte. En effet, l’absence de caractère occulte prive de fondement l’application de la retenue à la source sur le fondement de l’article 111, c du CGI, même dans l’hypothèse d’un acte qui serait constitutif d’un acte anormal de gestion. L’administration, si elle entend redresser, doit alors mobiliser d’autres dispositions, comportant des exigences de preuve ou des conditions d’application différentes.
Au cas particulier, la société Ecocert avait constaté les abandons de créances dans sa comptabilité, et elle les avait réintégrés spontanément dans sa liasse fiscale. La Cour d’appel a cependant confirmé le bien-fondé du redressement.
Cette circonstance pourrait d’autant plus surprendre que, dans la situation relativement similaire de recettes non facturées à une société étrangère, l’administration elle-même avait laissé entendre, à l’occasion d’une conférence, que l’indication précise, par l’entreprise, sur sa liasse fiscale, du montant et de la nature des sommes non facturées, avec le nom de chaque bénéficiaire, permettant à l’administration, à partir de la liasse fiscale, d’identifier très précisément le ou les bénéficiaire(s), ne donnerait pas lieu à des rappels de retenue à la source par la DVNI (Panorama des Redressements Fiscaux 2016, Feuillet Rapide Francis Lefebvre 6/17 inf. 1).
Malgré cette position, la jurisprudence parait donc suivre une ligne stricte, dans la foulée de l’arrêt Thérond précité, selon lequel l’avantage peut être qualifié d’occulte, alors même que l’opération est portée en comptabilité et y est assortie de toutes les justifications concernant son objet et l’identité du co-contractant, lorsque cette comptabilisation ne révèle pas, par elle-même, la libéralité en cause.
On signalera toutefois quelques décisions jurisprudentielles laissant entrevoir davantage de souplesse. Une intéressante décision concerne une société qui avait pris en charge une partie du règlement transactionnel que sa filiale était tenue de verser dans le cadre d’un litige avec d’anciens actionnaires. Cette prise en charge, qualifiée de subvention et estimée anormale par l’administration, avait toutefois été inscrite en comptabilité sous un libellé explicite alors que, par ailleurs, le document de référence de la société présentait en détail les étapes du litige entre la filiale et ses anciens actionnaires, notamment la conclusion du protocole ayant conduit au versement de l’indemnité transactionnelle. Le Conseil d’Etat a considéré que la qualification de rémunération occulte était exclue, dès lors que le versement litigieux avait été présenté par la société dans sa comptabilité d’une façon permettant d’identifier l’objet réel de la dépense et son bénéficiaire (CE 16 décembre 2022 n° 459047).
De même, à l’occasion d’une autre affaire (CAA, 9 février 2021 n° 18VE04115, précité), la Cour administrative d’appel de Versailles a jugé que la mention extra-comptable portée par la société au tableau 2058-A de sa déclaration de résultat permettait de révéler tant l’objet de la dépense que son bénéficiaire, cet avantage ne pouvant dès lors être regardé comme un avantage occulte au sens des dispositions de l’article 111, c du CGI.
Dans le cadre de la présente affaire soumise à la Cour administrative d’appel de Bordeaux, le rapporteur indique simplement dans ses conclusions que la seule comptabilisation en charges des abandons de créances ne permettait aucunement de révéler la libéralité consentie par la requérante à ses deux filiales. La réintégration fiscale opérée spontanément par la société ne parait pas entrer en ligne de compte. En l’absence de précisions complémentaires, il est difficile de déterminer si la Cour administrative d’appel de Bordeaux a entendu retenir une approche plus stricte que la Cour administrative d’appel de Paris dans sa décision précitée du 9 février 2021.
En conclusion, les entreprises confrontées à des charges non déductibles, telles que les aides consenties pour des motifs autres que commerciaux, visées à l’article 39,13 du CGI auront tout intérêt à documenter l’existence d’une contrepartie à l’aide octroyée, quand bien même cette dernière n’est pas déductible sur le plan fiscal. En tout état de cause, la révélation explicite d’une libéralité et de l’identité de son bénéficiaire dans la comptabilité ou la liasse fiscale devraient permettre d’éviter la qualification de distribution occulte et l’application des dispositions de l’article 111, c du CGI. On soulignera à toutes fins utiles que la présente décision repose exclusivement sur les conditions d’application de l’article 111, c, de telle sorte que sa portée, tout comme la présente analyse, se limitent à la mise en œuvre de cet article.