La lettre gestion des groupes internationaux

La Lettre Professionnelle de PwC Société d'Avocats

Sociétés de personnes ayant des associés non-résidents : traitement fiscal des revenus de capitaux mobiliers perçus

Publié le 20 février 2025 à 15h53

PwC Société d’Avocats    Temps de lecture 9 minutes

Par Emilie Dussau, PwC Société d’Avocats

L’on savait depuis les décisions Sté Kingroup INC (1) et Sté Quality Invest (2) du Conseil d’Etat qu’une société relevant de l’article 8 du Code général des impôts (« CGI ») a une personnalité distincte de celle de ses membres et exerce une activité qui lui est propre, d’où il vient que lorsque cette activité est réalisée en France les bénéfices réalisés par cette société sont, en principe, imposables en France entre les mains de ses membres, y compris de ceux qui résident hors de France, qu’il s’agisse de personnes morales passibles de l’impôt sur les sociétés ou de personnes physiques, à proportion des droits qu’ils détiennent dans la société. Et la question de l’articulation entre ces principes normalement bien ancrés et le rôle d’établissement payeur que peuvent devoir endosser les sociétés de personnes n’est pas inédite en jurisprudence (3). Pour autant, la réponse qu’y a apportée la Cour administrative d’appel de Paris (« la CAA ») le 4 juillet 2024 (4) pourrait bien être sinon inédite, du moins nouvelle.

La société de droit mauricien Squish Holdings avait acquis l’usufruit temporaire de parts de la société civile SEESO, qui exerce une activité de gestionnaire d’un portefeuille de valeurs mobilières. A l’issue d’une vérification de comptabilité portant sur les exercices clos les 31 décembre 2014, 2015 et 2016 de cette dernière, l’administration fiscale a estimé que la société Squish Holdings était la bénéficiaire des dividendes perçus par la société civile SEESO à raison des participations que cette dernière détenait dans plusieurs sociétés françaises, et a notifié à la société Squish Holdings des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés assorties de pénalités.

Après avoir rappelé, au visa des dispositions des articles 8 et 238 bis K du CGI, les enseignements des jurisprudences Sté Kingroup INC et Sté Quality Invest ci-dessus relevés, la CAA a jugé qu’en application des articles 119 bis et 1672 du CGI et des articles 75, 4° et 79, 4 de l’annexe II à ce même code, il appartenait à la société civile SEESO de prélever la retenue à la source sur les dividendes qu’elle avait perçus qui était due, à raison de sa quote-part, par la société Squish Holdings sans qu’y fasse obstacle les dispositions de l’article 238 bis K du CGI eu égard à la nature des revenus en cause. Par suite, la CAA a jugé que la société Squish Holdings n’était pas elle-même passible de l’impôt sur les sociétés à raison des mêmes dividendes.

Le statut d’établissement payeur des sociétés relevant de l’article 8 du CGI est en effet prévu par l’article 75, 4° de l’annexe II au même code, pour les revenus définis au 4 de l’article 79 de la même annexe. Ce dernier dispose quant à lui que les sociétés qui sont visées par le premier « sont réputées verser à chacun de leurs associés la quote-part des revenus correspondant à ses droits, le jour où elles ont elles-mêmes encaissé lesdits revenus ou ont été créditées de leur montant. Elles prélèvent à la même date la retenue à la source visée au 2 de l’article 119 bis du code général des impôts qui est due, à raison de leurs quotes-parts respectives, par les associés dont le domicile réel ou le siège social est situé hors de la France métropolitaine et des départements d’outre-mer. » Dans sa décision Sté Profin (5), le Conseil d’Etat avait lui-même fait application de ces dispositions pour juger que le montant correspondant à l’avantage occulte consenti par une société tierce à une société relevant de l’article 8 du CGI doit faire l’objet de la retenue à la source prévue à l’article 119 bis du même code, dès lors que les associés de cette société sont résidents d’un Etat étranger. La logique suivie par la CAA sur ce point n’a donc rien de nouveau et s’inscrit dans le prolongement de cette décision, à ceci près qu’elle confirme, s’il en était besoin, qu’elle s’applique également lorsqu’une telle société perçoit des dividendes de source française.

De façon a priori plus étonnante en revanche, la CAA semble ici aller plus loin en jugeant qu’il s’ensuit que, malgré les enseignements de la jurisprudence Sté Quality Invest, du fait de l’application de la retenue à la source induite par le statut d’établissement payeur de la société de personnes le non-résident n’est pas passible de l’impôt sur les sociétés. Pourtant, dans ses conclusions sur l’affaire Sté Profin, la rapporteure publique Céline Guibé avait estimé que le mécanisme à l’œuvre ne lui semblait pas « ébranler frontalement les fondements de la jurisprudence Quality Invest pour ces catégories de revenus » (6), dans la mesure notamment où elle « (…) ne se prononce pas sur les modalités de recouvrement de l’impôt dû à raison des bénéfices de la société de personnes entre les mains de ses associés non-résidents » et où « dans les faits, la retenue à la source s’analyse, avant tout, comme une modalité de recouvrement spécifique de l’impôt dont ces associés sont redevables ». De quoi se demander si contrairement à la jurisprudence Sté Profin éclairée par les conclusions de sa rapporteure publique, la décision Squish Holdings ne s’écarte pas des fondements de la jurisprudence Sté Quality Invest.

Quelle portée pourrait-elle avoir par ailleurs sur le taux à appliquer dans pareille situation ? S’il devait être acté, comme semble le sous-entendre la décision de la CAA, que l’associée personne morale non-résidente d’une société de personnes n’est redevable en France que de la retenue à la source de l’article 119 bis, 2 du CGI et non, per se, de l’impôt sur les sociétés du fait du statut d’établissement payeur de la société de personnes, pourrait-on chercher à avancer qu’elle devrait l’être sous réserve des stipulations de la convention fiscale signée entre la France et le pays dans lequel elle est établie ? La thèse voulant que le régime de la transparence se substitue purement et simplement à celui de la translucidité lorsqu’une société de personnes est tenue d’endosser son rôle d’établissement payeur, désormais défendue par Bruno Gouthière (7), n’était pas partagée par la rapporteure publique Céline Guibé (8). Dans ses conclusions sur l’affaire Sté Quality Invest, le rapporteur public Laurent Olléon avait quant à lui méticuleusement pris le soin d’étudier les thèses doctrinales alors en présence, avant de renoncer à l’idée de proposer au Conseil d’Etat d’adopter en matière de sociétés de personnes un mécanisme de pure transparence fiscale à rebours de la jurisprudence Sté Kingroup INC (9). Et alors même que la question du taux conventionnel réduit appliqué dans les faits par la société SEESO n’était pas non plus en litige devant la CAA, la rapporteure publique Elodie Jurin n’a pourtant pas manqué de rappeler la position de Céline Guibé dans ses propres conclusions, et a estimé qu’au cas d’espèce c’est bien le taux de droit commun qui aurait dû s’appliquer. Reste que, comme précédemment relevé, il est selon nous possible de se demander si la décision ne se démarque pas des fondements de la jurisprudence Sté Quality Invest. La décision, qui est définitive (10), a-t-elle ouvert une brèche ? 

1. CE, 9e et 8e, 4 avr. 1997, n° 144211, Sté Kingroup INC : Dr. fisc. 1997, n° 26, comm. 728 ; RJF 5/1997, n° 424, concl. F. Loloum, p. 293.

2. CE, plén., 11 juill. 2011, n° 317024, Sté Quality Invest : Dr. fisc. 2011, n° 36, comm. 496, concl. L. Olléon ; RJF 10/2011, n° 1063, chron. C. Raquin, p. 907.

3. Sur la nécessité pour une société de personnes d’appliquer la retenue à la source de l’article 119 bis, 2 à une rémunération ou un avantage occulte perçus au sens de l’article 111, c du CGI, v. CE, 9e et 10e, 6 déc. 2021, n° 429308, Sté Profin Développement et Gestion : Dr. fisc. 2022, n° 17-18, comm. 208, concl. C. Guibé. V. avant, bien que portant sur l’obligation pour une société de personnes de produire la déclaration de l’article 242 ter, 1 du CGI en tant qu’établissement payeur, CE, 9e et 10e, 20 sept. 2017, n° 392510, Sté Norma : Dr. fisc. 2018, n° 28, comm. 327 ; RJF 12/17, n° 1190, concl. É. Bokdam-Tognetti.

4. CAA Paris, 7e ch., 4 juill. 2024, n° 23PA01034, Sté Squish Holdings : Dr. fisc. 2024, no 44, comm. 365, concl. É. Jurin, note M. Michineau – V. B. Sibilli, H. Brasnu, G. Perroy et A. de Phily, « Cours administratives d‘appel - Jurisprudence des cours administratives d’appel (novembre 2023 – novembre 2024) - Partie 2 », Dr. fisc. 2024, n° 51-52, 399, spéc. n° 43 ; B. Gouthière, « Chronique de jurisprudence fiscale internationale », RJF 12/24, p. 16.

5. CE, 9e et 10e, 6 déc. 2021, n° 429308, Sté Profin Développement et Gestion précitée.

6.  Conclusions de la rapporteure publique Céline Guibé (CE, 9e et 10e ch., 6 déc. 2021, n° 429308, Sté Profin Développement et Gestion) dans Dr. fisc. 2022, n° 17-18, comm. 208, no 5.

7. B. Gouthière, Les impôts dans les affaires internationales, EFL, 18e éd., 2024, no 31955 ; Adde, B. Gouthière, « Chronique de jurisprudence fiscale internationale », RJF 12/24, p. 16 (commentant la décision Squish Holdings).

8. Alors même que la question n’était pas soumise au Conseil d’Etat dans l’affaire Sté Profin, la rapporteure publique Céline Guibé avait malgré tout pris le soin, dans une réponse directement adressée à Bruno Gouthière, de conclure qu’il ne lui semblait « pas que l’on puisse traiter les revenus de capitaux mobiliers reversés par une société de personnes à des associés non-résidents comme si ces derniers les avaient directement perçus, et, par suite, appliquer à ces derniers le traitement conventionnel prévu en cas de détention directe. » Voir en ce sens, Conclusions de la rapporteure publique Céline Guibé (CE, 9e et 10e ch., 6 déc. 2021, n° 429308, Sté Profin Développement et Gestion), art. préc., no 5.

9. Voir en ce sens Conclusions du rapporteur public Laurent Olléon (CE, 3e, 8e, 9e et 10e ss-sect., 11 juill. 2011, n° 317024, min. c/ Sté Quality Invest dans Dr. fisc. 2011, no 36, 496, no 5 à 9.

10. Voir en ce sens, B. Gouthière, « Chronique de jurisprudence fiscale internationale », RJF 12/24, p. 16, note de bas de page no 24.


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