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Précisions sur la notion de bénéficiaire effectif d’une distribution de dividendes

Publié le 20 février 2025 à 16h37

PwC Société d’Avocats    Temps de lecture 9 minutes

Dans une décision mentionnée au recueil Lebon, le Conseil d’État a apporté de nombreuses précisions sur la notion de bénéficiaire effectif d’une distribution de dividende et les implications de sa mise en œuvre.

Par Charlotte Guincestre Carpentier, PwC Société d’Avocats

Les faits soumis au Conseil d’État étaient les suivants : en 2011, la société de droit français Foncière Vélizy Rose (ci-après « FVR ») exerçant une activité de location immobilière, a été cédée à une société de droit luxembourgeois, Vélizy Rose Investment (ci-après « VRI »), constituée par un consortium de six investisseurs : la société de droit luxembourgeois Dewnos Investment, quatre fonds établis à Guernesey et une personne physique habitant en Allemagne.

Dewnos Investment est ensuite devenue actionnaire unique de VRI, et s’est engagée, en vertu d’un contrat de fiducie conclu avec l’ancien consortium d’investisseurs, à reverser 90 % des dividendes reçus de VRI aux autres constituants, à hauteur des droits dont chacun disposait avant cette date dans VRI.

C’est ainsi qu’en 2014, FVR a versé un acompte sur dividendes de 3,6 millions d’euros à sa société mère luxembourgeoise VRI, qui a redistribué ce même montant le lendemain à son associé unique, la société Dewnos Investment. L’acompte sur dividendes n’a fait l’objet d’aucune retenue à la source, la société FVR se prévalant de l’exonération prévue par les dispositions de l’article 119 ter du Code général des impôts (ci-après « CGI »).

L’administration ayant remis en cause cette exonération de retenue à la source à l’occasion d’une vérification de comptabilité, le Tribunal administratif de Montreuil puis la Cour administrative d’appel de Paris ont validé sa position.

Dans sa décision du 8 novembre 2024 n° 471147, mentionnée au recueil Lebon, le Conseil d’État confirme l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Paris du 7 novembre 2022 (n° 21PA05986) et rejette le pourvoi de la société sur plusieurs fondements.

Sur l’absence d’abus de droit rampant

La société requérante arguait que l’administration fiscale avait implicitement recouru à la procédure de l’abus de droit prévu à l’article L. 64 du Livre des procédures fiscales (ci-après « LPF ») pour refuser la qualité de bénéficiaire effectif à la société VRI, en remettant en cause la substance économique de Dewnos Investment afin de rendre son existence inopposable.

Affirmant le principe de l’autonomie de la notion de bénéficiaire effectif par rapport à la procédure de l’abus de droit, le Conseil d’État juge que l’administration fiscale ne peut être regardée comme ayant implicitement mais nécessairement recouru à la procédure de répression des abus de droit, sans offrir au contribuable les garanties prévues par l’article L. 64 du LPF, lorsqu’elle se borne à estimer, sans écarter aucun acte comme ne lui étant pas opposable, que le contribuable ne peut être regardé comme étant le bénéficiaire effectif d’une somme d’argent.

En l’espèce, comme l’indique la rapporteure publique dans ses conclusions sous la décision ici commentée, l’administration n’a ni écarté les actes de droit privé de création de la société VRI, ni soutenu que sa création et son interposition auraient procédé d’un motif purement fiscal.

Sur l’identification du bénéficiaire effectif

Le Conseil d’État juge que la société luxembourgeoise n’était pas le bénéficiaire effectif de l’acompte sur dividende litigieux validant le raisonnement de la Cour qui, pour qualifier d’entité-relai la société luxembourgeoise VRI et lui dénier la qualité de bénéficiaire effectif de la distribution, s’est fondée sur :

– des éléments factuels : l’acompte sur dividende a fait l’objet d’un reversement intégral à son associé unique le lendemain de sa perception et VRI ne disposait d’aucun autres fonds disponible,

– des éléments fonctionnels : analyse de la substance de VRI, qui n’exerçait aucune autre activité que celle de porter les titres de la société française FVR.

Soulignons que la rapporteure publique avait ajouté à ces critères des éléments « aux confluents du factuel et du fonctionnel » relatifs à la totale maîtrise des décisions de VRI par son associé unique et à leur direction par des dirigeants communs.

Dans ses conclusions rendues sous la décision ici commentée, Emilie Bokdam-Tognetti souligne que « hiérarchiser les critères parait impossible et dessiner des solutions générales, tranchées et systématiques, hors de portée », indiquant à cet effet que la recherche du bénéficiaire effectif dépend d’appréciations propres à chaque configuration d’acteurs, mais plus spécifiquement encore à chaque flux de revenus (V. également en ce sens CE, 5 février 2021, n° 430594 et 432845, min c/ Sté Performing Rights Society).

Ainsi selon la rapporteure publique, sont sans incidence sur le raisonnement retenu pour le flux en litige par la Cour (i) l’absence de reversement immédiat d’un autre dividende versé deux ans plus tard et (ii) le fait que le consortium d’investisseurs ayant créé la société VRI pour acquérir les titres de FVR n’ayant encore reçu aucun retour sur leur investissement en 2014 (l’investissement ayant été réalisé en 2011), il était normal et rationnel de leur reverser immédiatement l’intégralité de l’acompte sur dividende.

Sur la compatibilité de la condition de bénéficiaire effectif pour le bénéfice de l’exonération de retenue à la source avec le droit de l’Union européenne

Le Conseil d’État, à la faveur d’une substitution de motifs, rejette le moyen de la société requérante tiré de la contrariété des dispositions des articles 119 bis et 119 ter du CGI avec la liberté d’établissement (TFUE, art. 49 et 54).

Tout d’abord, le juge rejette l’argument de la requérante selon lequel il existe une discrimination entre une société mère étrangère, qui doit être le bénéficiaire effectif du dividende pour bénéficier du régime mère-fille prévu par l’article 119 ter du CGI et une société mère française, qui n’a pas à remplir la condition de bénéficiaire effectif pour bénéficier du régime mère-fille des articles 145 et 216 du CGI.

Sans trancher la « redoutable question » de l’éventuelle présence d’une condition implicite de bénéficiaire effectif à l’article 4 de la directive mère-fille ne pouvant, selon Émilie Bokdam-Tognetti, être réglée sans une question préjudicielle à la CJUE, le Conseil d’État juge que le régime mère fille prévu aux articles 145 et 216 du CGI doit être regardé comme assurant la transposition des objectifs de l’article 4 de la directive mère-fille (Dir. 2011/96/UE, 30 nov. 2011) qui doivent être lus à la lumière de ces objectifs. Il en déduit que, dès lors que la loi française est conforme aux objectifs de la directive, il ne peut être utilement soutenu que les dispositions du CGI institueraient entre les sociétés mères percevant d’une filiale établie en France des dividendes dont elles ne sont pas les bénéficiaires effectives, selon qu’elles sont elle-même établies en France ou dans un autre État membre de l’UE, une différence de traitement fiscal méconnaissant la liberté d’établissement.

Ensuite, le Conseil d’État écarte l’argument de la requérante tiré de ce que la remise en cause de l’exonération de retenue à la source sur le fondement de l’article 119 ter du CGI pèse uniquement sur la filiale distributrice française tandis qu’une société mère française supporte seule la remise en cause du régime mère-fille dont elle aurait indûment bénéficié.

Il juge en effet que la circonstance qu’une filiale distributrice établie en France soit redevable de la retenue à la source prévue à l’article 119 bis, 2 du CGI est inhérente à cette technique d’imposition et sans incidence sur la qualité de contribuable de la société bénéficiaire non-résidente à laquelle la filiale peut demander la restitution de cette imposition payée pour son compte.

Enfin, le Conseil d’État rejette le moyen soulevé selon lequel le taux d’imposition appliqué à cette filiale est plus élevé que celui auquel serait soumise cette société mère française en jugeant que la méthode de calcul de l’assiette de la retenue à la source (calcul dit « en dedans ») n’a ni pour objet ni pour effet d’appliquer à cette assiette reconstituée (l’« assiette brute ») un taux supérieur à celui prévu à l’article 187 du CGI (soit 30 % à l’époque des faits), lequel est, au demeurant, inférieur au taux de l’impôt sur les sociétés qui aurait été appliqué, l’année de l’imposition en litige (soit 33, 1/3 % à l’époque des faits), à une société mère française ne bénéficiant pas du régime mère-fille, à raison de la perception d’un même montant brut de dividendes.

Sur l’application de la convention fiscale conclue entre la France et l’État de résidence du bénéficiaire effectif

Sur le terrain conventionnel, le Conseil d’État juge que l’absence de clause réservant le bénéfice de l’avantage conventionnel au bénéficiaire effectif du revenu ne fait pas obstacle à ce que l’administration fiscale puisse refuser cet avantage conventionnel au récipiendaire de ce revenu qui n’en serait que le bénéficiaire apparent (au moins dans une situation telle qu’en l’espèce où la convention a été signée avant l’introduction de cette disposition dans le Modèle OCDE – Voir notamment, en ce sens, CE Avis, 31 mars 2009, Section des finances, n° 382545).

Ainsi, il juge que lorsqu’il apparaît que le récipiendaire d’un dividende versé depuis la France ne peut être regardé comme son bénéficiaire effectif et qu’il ne saurait ainsi être fait application à ce revenu de la convention d’élimination des doubles impositions conclue avec son État de résidence, l’administration comme le contribuable peuvent appliquer la convention fiscale conclue avec l’État de résidence du ou des bénéficiaires effectifs des sommes en cause, et ce, quand bien même ils auraient été versés à un intermédiaire établi dans un État tiers.

Cette solution avait déjà été admise en 2022 par le Conseil d’État s’agissant de redevances (CE, 20 mai 2022, n° 444451, Sté Planet), mais dans une hypothèse dans laquelle c’est l’administration qui se prévalait de l’application de la convention conclue avec l’État de résidence du bénéficiaire effectif d’une redevance versée depuis la France.

Le Conseil d’État étend ici donc, implicitement, au contribuable la possibilité d’invoquer la convention conclue avec l’État de résidence du bénéficiaire effectif, et ce dans le cas d’une distribution de dividendes, cette possibilité étant toutefois conditionnée à la nécessité pour le contribuable de prouver la résidence fiscale du bénéficiaire effectif du revenu en cause.

En l’espèce, si le Conseil d’État reconnait que la qualité de bénéficiaire effectif de la société Dewnos Investment pour la fraction des dividendes conservés et de M. A, demeurant en Allemagne et bénéficiaire effectif d’une partie des dividendes en application du contrat de fiducie conclu avec Dewnos Investment ressort des pièces du dossier soumis à la Cour administrative d’appel, il refuse l’application des avantages de la convention prévue entre la France et l’État de résidence du bénéficiaire effectif au revenu litigieux sur le terrain de la preuve de la résidence fiscale. 


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