La question traitée par le Conseil d’Etat dans sa décision du 9 octobre 2024 (CE n° 472947, SA BNP Paribas, mentionné aux tables du Recueil Lebon) concernait les dispositions de l’ancienne convention franco-britannique du 22 mai 1988 relatives à l’élimination de la double imposition des dividendes de source britannique. Si cette décision a une portée pratique limitée, eu égard à la législation en cause qui n’est plus en vigueur aujourd’hui, elle s’avère en revanche intéressante pour appréhender la méthode mise en œuvre par le juge de l’impôt pour interpréter les stipulations des conventions fiscales relatives à l’élimination de la double imposition.
L’affaire en cause remonte à l’époque où la législation britannique éliminait la double imposition économique des bénéfices distribués par l’attribution aux bénéficiaires des dividendes d’un crédit d’impôt (que l’on dénommera dans la suite des développements « crédit d’impôt britannique ») correspondant à un pourcentage des sommes distribuées. Ce crédit d’impôt équivalait dans son principe au mécanisme de l’avoir fiscal qui existait en France et permettait donc d’éviter partiellement que les bénéfices distribués par les sociétés soient taxés deux fois, une première fois au niveau de la société distributrice puis une deuxième fois au niveau de l’actionnaire lors de la perception de dividendes.
Ce mécanisme ouvert aux résidents britanniques par la loi domestique avait été étendu par voie conventionnelle aux résidents français. L’article 9 A 2 de la convention franco-britannique du 22 mai 1968 prévoyait en effet que « … un résident de France qui reçoit d’une société résidente du Royaume-Uni des dividendes dont il est le bénéficiaire effectif a droit, lorsqu’il est assujetti à l’impôt en France à raison de ces dividendes, au crédit d’impôt qui y est attaché et auquel une personne physique résidente du Royaume-Uni aurait eu droit si elle avait reçu ces dividendes, et au paiement de l’excédent de ce crédit d’impôt sur l’impôt du Royaume-Uni dont il est redevable ».
Pour mémoire, la répartition du pouvoir d’imposition des dividendes de source britannique était réglée par le 1 du A de ce même article en vertu duquel : a) les dividendes payés par une société résidente du Royaume-Uni à un résident de France étaient imposables en France, b) lorsqu’un résident français avait droit au crédit d’impôt britannique, l’impôt pouvait également être perçu au Royaume-Uni sur la somme du dividende et du montant du crédit d’impôt britannique, à un taux n’excédant pas 15 % (1).
Enfin, l’article 24 de la convention stipulait que la double imposition des dividendes était évitée grâce à l’octroi par la France au résident de France qui percevait des dividendes ayant leur source au Royaume-Uni et ayant supporté l’impôt au Royaume Uni conformément aux dispositions de l’article 9 de la convention, d’un crédit d’impôt correspondant au montant de l’impôt payé au Royaume-Uni.
Un exemple chiffré permettra d’illustrer cette mécanique et de mieux cerner la question soulevée dans cette affaire. A l’époque des faits le crédit d’impôt britannique était fixé à 1/9 du dividende brut soit pour un dividende reçu de 100, un crédit d’impôt britannique de 11,11 (100 x 1/9). L’impôt britannique s’élevait à 11,11 (100 + 11,11 x 10 %). Le crédit d’impôt britannique s’imputait en totalité sur l’impôt dû au Royaume Uni, de sorte qu’aucun versement n’était opéré par le bénéficiaire des dividendes.
Parallèlement le contribuable pouvait bénéficier en France d’un crédit d’impôt imputable sur l’impôt français, égal au montant de l’impôt britannique, l’administration fiscale ayant pris soin de préciser qu’il pouvait être considéré qu’un impôt avait été prélevé au Royaume-Uni à hauteur du crédit d’impôt britannique attaché aux dividendes. (2) La même doctrine précisait que des résidents de France percevant des dividendes de source britannique devaient déclarer en France un revenu imposable correspondant au dividende net majoré du montant du crédit d’impôt britannique.
Le débat à l’origine de l’arrêt ici commenté portait sur la question de savoir si le crédit d’impôt britannique accordé au résident français devait, en dépit de la position de la doctrine administrative, être inclus dans le revenu imposable à l’IS dû en France par le bénéficiaire des dividendes.
Dans cette affaire une société française avait perçu au cours des exercices clos entre 2005 et 2009 des dividendes de source britannique qui avaient ouvert droit au crédit d’impôt britannique. Dans un premier temps elle avait considéré, conformément à la doctrine administrative précitée, que le crédit d’impôt britannique (qui comme on l’a vu correspondait à l’impôt prélevé au Royaume-Uni) était imposable en France.
Se ravisant, elle avait estimé que le crédit d’impôt britannique ne devait pas être imposé en France et qu’en conséquence elle pouvait réclamer la restitution de l’IS acquitté à tort à ce titre.
Si l’on reprend les chiffres de l’exemple précédent, la société avait initialement soumis à l’IS (au taux de 33,33 % à l’époque des faits) un montant de 111, 11 sur lequel elle avait imputé un crédit d’impôt conventionnel de 11,11. Elle avait ensuite considéré que le montant imposable en France était limité au montant du dividende distribué soit 100, le montant du crédit d’impôt conventionnel de 11,11 n’étant pas modifié.
Dit autrement la société considérait qu’il n’y avait pas lieu de retenir la même base imposable pour les dividendes au Royaume-Uni et en France.
Devant les juges, la société soutenait qu’en l’absence de disposition du droit interne prévoyant que le crédit d’impôt britannique constituait un revenu imposable, il n’était pas possible de se prévaloir des dispositions de la convention franco-britannique pour imposer ledit crédit d’impôt.
Cet argumentaire reposait sur le principe dit de subsidiarité des conventions fiscales internationales (ou de primauté du droit interne) en vertu duquel si une convention bilatérale conclue en vue d’éviter les doubles impositions peut, en vertu de l’article 55 de la Constitution, conduire à écarter, sur tel ou tel point, la loi fiscale nationale, elle ne peut pas, par elle-même, directement servir de base légale à une décision relative à l’imposition. Ce principe, établi par une jurisprudence Sté Schneider Electric du Conseil d’Etat (3) de 2002 a depuis lors fait l’objet d’évolutions qui ont restreint la portée de cette décision aux stipulations des conventions relatives à la répartition du pouvoir d’imposer. Ainsi, le Conseil d’Etat a jugé qu’il appartenait au juge de l’impôt de faire application des stipulations claires d’une convention relatives aux modalités d’élimination de la double imposition (4), celles-ci prévalant sur les dispositions du droit interne en vertu de l’article 55 de la Constitution, qui consacre la primauté des traités internationaux sur la loi nationale. De telles stipulations conventionnelles ont donc un « effet direct » et peuvent avoir un impact sur la base d’imposition d’un revenu en France.
Tel était le cas dans la décision HSBC précitée qui concernait l’ancienne convention franco-chinoise. Celle-ci prévoyait dans son article 22, relatif à l’élimination de la double imposition des intérêts, l’octroi d’un crédit d’impôt forfaitaire (fictif) égal à 10 % des intérêts. Le Conseil d’Etat a confirmé d’une part l’inclusion de l’impôt forfaitaire chinois pour le calcul du crédit d’impôt conventionnel déductible en France et d’autre part validé que l’imputation sur l’IS du crédit d’impôt ainsi déterminé était subordonnée à l’inclusion dans l’assiette de l’IS dû en France de ces intérêts augmentés de l’impôt forfaitaire chinois.
Au cas d’espèce le contexte était un peu différent de celui de l’affaire HSBC en ce qu’était en cause non pas un crédit d’impôt forfaitaire mais un crédit d’impôt dont la société française avait réellement bénéficié. En outre, l’article 24 de la convention franco-britannique ne contenait aucune stipulation permettant de fonder le caractère imposable du crédit d’impôt ou subordonnant son imputation à son inclusion dans l’assiette de l’impôt en France contrairement à la convention franco-chinoise qui stipulait que les intérêts provenant de Chine étaient inclus dans la base de l’impôt en France pour leur montant brut.
Dans la lignée de sa jurisprudence antérieure le Conseil d’Etat a dans un premier temps rappelé le considérant de principe de la décision HSBC sur l’application des stipulations de la convention relatives à l’élimination de la double imposition. Il lui restait ensuite à analyser les dispositions de la convention franco-britannique afin de déterminer le sort en France du crédit d’impôt britannique.
S’appuyant comme dans la décision HSBC sur la lettre de la convention mais également sur l’objet même de l’article 24 qui est d’éliminer la double imposition née de la possibilité reconnue à la France et au Royaume-Uni de taxer les dividendes de source britannique perçus par une entreprise établie en France, le Conseil d’Etat juge qu’il résulte :
– En premier lieu, des stipulations de l’article 9 de la convention qu’un résident de France qui reçoit d’une société résidente du Royaume-Uni des dividendes dont il est le bénéficiaire effectif a droit au crédit d’impôt prévu par les dispositions de droit interne britannique, imputable sur l’impôt dû au Royaume-Uni, et que le revenu que tant la France, en application du a) du 1 du A de l’ article 9, que le Royaume-Uni, en application du b) du 1 du A de ce même article, sont autorisés à taxer, s’entend de la somme des dividendes et de ce crédit d’impôt (britannique).
– En second lieu, de la combinaison des articles 24 et 9 de la même convention que l’imputation, sur l’impôt dû en France à raison de tels dividendes, du crédit d’impôt conventionnel prévu par l’article 24, égal à l’impôt perçu au Royaume-Uni sur une base constituée de la somme des dividendes et du crédit d’impôt britannique, est subordonnée à l’inclusion de ce dernier crédit d’impôt dans les bases de l’impôt dû en France.
Selon le rapporteur Romain Victor dans ses conclusions sous la présente décision, même si la convention franco-britannique ne prévoyait pas expressément l’imposition en France des dividendes sur leur montant brut, la lettre de l’article 24 de la convention allait dans le sens d’une imposition du crédit d’impôt britannique. En effet cet article prévoyait que le crédit d’impôt conventionnel, « qui ne peut excéder le montant de l’impôt français afférent aux revenus susvisés (i.e les dividendes ayant supporté l’impôt au Royaume-Uni), est imputé sur les impôts visés à l’alinéa B du paragraphe 1 de l’article 1er de la présente Convention, dans l’assiette desquels ces revenus sont compris… ».
Pour corroborer l’interprétation littérale, le Conseil d’Etat et son rapporteur public se réfère à l’objet de la convention.
Or, l’interprétation au regard de l’objet de la disposition retenue semble-t-il par le Conseil d’Etat et en tout cas proposée par son rapporteur public, nous semble sujette à débat. Selon ce dernier, l’interprétation littérale proposée « paraît la plus conforme à l’objet de l’article 24 qui est d’éliminer une imposition excédentaire, une telle situation n’apparaissant que si l’on intègre l’avoir fiscal britannique dans la base taxable en France. L’avoir fiscal et l’impôt britannique s’annulant, le résident de France n’a besoin que l’on élimine une double imposition que si l’on ajoute au dividende imposable en France l’avoir fiscal britannique ou (c’est encore une autre manière de dire les choses) si l’on refuse de soustraire au dividende reçu en France l’impôt acquitté au Royaume-Uni. »
Déjà, l’objet de l’article 24 (rappelé d’ailleurs par le Conseil d’Etat) est l’élimination de la double imposition (juridique) et non de l’imposition excédentaire. Or, le dividende a bien été imposé au Royaume-Uni et il est de nouveau imposé en France. Certes, l’impôt britannique ne donne pas lieu à une liquidation en numéraire car il est liquidé par imputation d’un crédit d’impôt octroyé par le Royaume Uni afin d’éliminer la double imposition économique des bénéfices (ou plus exactement l’imposition en chaîne). Cependant il nous paraît difficile de considérer que l’élimination de la double imposition économique par le Royaume Uni priverait d’objet l’obligation d’élimination de la double imposition juridique garantie par la convention car, ce faisant, l’on prive d’effet le crédit d’impôt éliminant la double imposition économique. En effet, les bénéfices imposés au Royaume Uni le sont de nouveau en France, sans que l’octroi du crédit d’impôt éliminant la double imposition économique ne soit venu l’atténuer.
Cela étant on peut comprendre la difficulté à faire admettre cette solution dans la situation jugée. Si le raisonnement que nous proposons semble bien fonctionner lorsque l’Etat source impose les dividendes et octroi un crédit d’impôt pour éliminer la double imposition économique et rembourse l’excédent (ce que faisait, selon le rapporteur public, le Royaume Uni au moment de la conclusion de la convention), sa force est atténuée dans la situation prévalant au moment des faits, la législation britannique ayant évolué. Le crédit d’impôt éliminant la double imposition économique était égal à la retenue à la source britannique, sachant qu’en doit interne britannique aucune retenue à la source n’est normalement prélevée. Ce changement de législation aboutissait alors à une absence de paiement effectif de retenue à la source (situation qui prévalait en l’absence de convention en application du droit interne britannique) tout en faisant supporter à la France le poids de l’élimination de la double imposition. Cette situation pourrait avoir fait pencher la balance en défaveur de l’interprétation préconisée par le contribuable.
1. Le taux de l’imposition britannique sur les dividendes a été ramené à 10 % à compter d’avril 1999 de sorte que l’imposition des dividendes perçu par un résident français a été limitée à ce taux à compter de cette date.
2. Doc adm 14 B-5-99 du 18 juin 1999.
3. CE 28 juin 2002, n° 232276.
4. Voir notamment CE 31 mai 2022, n° 461519, Sté HSBC Bank Plc Paris Branch