L’ancien dispositif du rabot prévoyait de manière assez simple la réintégration dans le résultat fiscal des entreprises d’une fraction égale à 25 % des charges financières nettes de l’exercice. Le nouveau dispositif de plafonnement de la déduction des charges financières mis en œuvre par l’article 34 de la loi du 28 décembre 2018 de finances pour 2019, et applicable aux exercices ouverts à compter du 1er janvier 2019, introduit un mécanisme fondamentalement différent puisque les charges financières nettes seront désormais déductibles dans la limite de 30 % de l’Ebitda fiscal de la société1 (ou de 3 millions d’euros si ce montant est supérieur).
Par Valérie Aelion, avocat, PwC Société d’Avocats
Ce mécanisme constitue la transposition dans la législation française de l’article 4 de la directive (UE) n° 2016/164 établissant des règles pour lutter contre les pratiques d’évasion fiscale qui ont une incidence directe sur le fonctionnement du marché intérieur (dite directive «ATAD» pour «anti tax avoidance directive»). Cette directive est elle-même inspirée des recommandations formulées par l’OCDE dans le cadre du projet BEPS et plus particulièrement dans le rapport final de l’action 4 («Limiter l’érosion de la base d’imposition faisant intervenir les déductions d’intérêts et d’autres frais financiers»).
L’Ebitda fiscal, une notion purement fiscale
L’Ebitda fiscal retenu pour le calcul du plafonnement est une notion purement fiscale qui diffère de l’Ebitda comptable et a pour caractéristique de reposer sur une approche ascendante. En effet, l’Ebitda fiscal est calculé à partir du résultat fiscal soumis à l’IS au taux normal2. Ce résultat fiscal s’entend avant imputation des déficits et tient compte des déductions et des abattements appliqués à l’assiette de l’impôt. Le résultat fiscal est ensuite corrigé des éléments suivants :
– les charges financières nettes soumises au dispositif de plafonnement, c’est-à-dire les charges financières nettes prises après application du dispositif «anti hybrides» (article 212 I, b du CGI) et du dispositif de limitation en fonction du taux d’intérêt (article 212 I, a du CGI) ;
– les amortissements admis en déduction, nets des reprises imposables et nets des fractions de plus ou moins-values correspondant à des amortissements déduits, à des amortissements expressément exclus des charges déductibles ou à des amortissements irrégulièrement différés. On notera que l’objectif de ce correctif, en ce qui concerne la fraction des plus ou moins-values correspondant à des amortissements, est d’exclure du résultat servant au calcul du plafonnement des charges financières nettes, des amortissements qui sont déjà venus augmenter l’Ebitda fiscal au cours des exercices précédents et qui de fait majorent les plus-values (ou minorent les moins-values) qui par principe sont incluses dans le résultat fiscal. Ne pas effectuer cette correction reviendrait à retenir deux fois ces amortissements ;
– les provisions pour dépréciation admises en déduction, nettes des reprises imposables ;
– les gains et les pertes soumis aux taux d’imposition de 10 %, 15 %, 19 ou 25 % mentionnés au a du I et au IV de l’article 219 du CGI. Ces gains et ces pertes soumis à des taux d’imposition réduits sont en effet extournés du résultat fiscal soumis au taux normal de l’impôt. Il s’agit notamment des plus et moins-values réalisées sur les cessions de certains titres de participation et surtout des résultats nets des cessions, concessions ou sous-concessions d’actifs incorporels déterminés en application des dispositions du nouvel article 238 du CGI (taxées au taux de 10 %).
En revanche, il est important de noter que les plus ou moins-values à long terme afférentes à des titres de participation taxées au taux de 0 % en application des dispositions de l’article 219 a quinquies du CGI ne sont pas retenues dans l’Ebitda fiscal servant au calcul du plafonnement des charges financières.
En outre, on notera qu’il résulte de la définition de l’Ebitda fiscal donnée par la loi que les dividendes soumis au régime mère-fille, et qui sont donc exclus du résultat fiscal, ne sont pas retenus dans le résultat servant au calcul du plafonnement des charges financières nettes. Cette exclusion est conforme aux recommandations du rapport BEPS ainsi qu’à la directive ATAD qui précisent que les revenus exonérés d’impôt sont exclus de l’Ebitda des contribuables.
Il n’en résulte pas moins que cette exclusion des dividendes serait de nature à limiter de façon significative le montant des charges financières nettes déductibles pour les sociétés holding portant de la dette et dont les revenus sont principalement constitués par des dividendes exonérés. Toutefois, le fait que le texte de loi prévoie de retenir le résultat fiscal du groupe intégré pour le calcul du plafond de déduction des charges financières permettra d’éviter cet écueil3.
L’Ebitda fiscal, un référentiel critiquable
L’une des principales critiques adressées à ce nouveau dispositif de déduction des charges financières est son caractère procyclique. En effet, le fait que le plafond de déduction soit adossé à l’Ebitda conduit à permettre aux entreprises dont les résultats sont élevés, notamment en période de forte croissance, de pouvoir déduire un montant important de charges financières. A l’inverse, les entreprises moins performantes, seront pénalisées par une moindre faculté de déduction.
Ce point n’a pas échappé à l’OCDE qui a souligné dans son rapport sur l’action 4 que le montant des charges financières qu’une entité peut déduire peut être influencé par la volatilité de l’Ebitda qui peut varier pour des raisons qui échappent à son contrôle.
Aussi, pour limiter les effets de ce mécanisme, le rapport BEPS de l’OCDE ainsi que la directive ATAD ont prévu la possibilité pour les Etats d’autoriser une entreprise à reporter en avant, non seulement les intérêts non déduits au titre d’un exercice en application des règles de plafonnement, mais également la capacité de déduction des charges financières inemployée au titre d’un exercice. L’objectif de ces mécanismes est de limiter les effets du caractère procyclique du plafond de limitation en fonction de l’Ebitda en permettant aux entreprises de se constituer des capacités de déduction qu’elles pourront utiliser notamment en cas de retournement économique. A l’inverse, les charges financières en report, non déduites du fait d’un faible Ebitda fiscal, pourront être imputées lorsque l’entreprise aura retrouvé une meilleure situation.
La France a choisi de retenir ces deux options, la capacité de déduction inemployée n’étant toutefois reportable que sur une période de cinq exercices.
On soulignera enfin qu’en dépit de ces deux mécanismes, les groupes fiscaux pourront avoir intérêt à revoir leur périmètre d’intégration fiscale sur la base des critères retenus pour opérer le plafonnement des charges financières. Ainsi, une entreprise très endettée et dégageant un faible Ebitda fiscal, aura plutôt intérêt à demeurer non intégrée puisqu’elle pourra en tout état de cause bénéficier d’une déduction de ses charges financières nettes à hauteur de 3 millions d’euros si son Ebitda fiscal ne lui permet pas d’atteindre ce seuil. A l’inverse, son inclusion dans le périmètre d’intégration ne permettra pas de booster significativement l’Ebitda du groupe, sachant que la déduction minimale de 3 millions d’euros s’applique au niveau du groupe fiscal. De même, une société faiblement endettée mais disposant d’un fort Ebitda fiscal aura intérêt à rejoindre le périmètre du groupe fiscal puisque dans ce cas son Ebitda fiscal contribuera à augmenter la capacité de déduction des charges financières du groupe.
1. Ou du résultat fiscal d’ensemble du groupe en cas d’intégration fiscale.
2. Il s’agit du résultat fiscal soumis au taux normal de l’IS, au taux normal de 28 % pour les exercices ouverts en 2019 dans la limite de 500 000 euros de bénéfices et au taux réduit de 15 % applicable dans la limite d’un bénéfice imposable de 38 120 euros aux entreprises ayant réalisé un chiffre d’affaires de moins de 7 630 000 euros et dont le capital est détenu à au moins 75 % par des personnes physiques ou par une société répondant aux mêmes conditions.
3. Ces sociétés pourront en outre bénéficier d’un supplément de déduction au titre de la clause de sauvegarde et déduire, si certaines conditions sont remplies, 75 % des charges financières non déduites à l’issue du calcul du plafonnement.