La loi de finances pour 2019 a profondément réformé le régime fiscal français des revenus des brevets et actifs assimilés, jugé dommageable par l’OCDE.
Par Guilhem Calzas, avocat, PwC Société d’Avocats et Charles Josselin, avocat, PwC Société d’Avocats
Ce régime est aménagé en conséquence, afin de respecter les recommandations de l’action 5 du projet BEPS. Le nouveau texte se caractérise par la mise en œuvre de l’approche «nexus» qui conditionne l’application d’un régime fiscal de faveur, pour l’imposition des revenus tirés de l’exploitation et de la cession de brevets et d’actifs assimilés, à la réalisation par le contribuable lui-même, ou par des tiers non liés, des dépenses de R&D engagées pour le développement de ces actifs.
Il s’applique aux exercices ouverts à compter du 1er janvier 2019 et prévoit l’imposition au taux réduit de 10 % du résultat net des revenus de concession, sous-concession ou cession d’actifs incorporels éligibles, en proportion des dépenses de R&D effectuées par l’entreprise elle-même ou par des tiers non liés. Le bénéfice des nouvelles dispositions est par ailleurs assorti d’obligations documentaires importantes. On évoquera ci-après quelques aspects du champ d’application du nouveau régime, ainsi que leurs conséquences opérationnelles.
Les actifs éligibles
Les adaptations apportées au régime actuel concernent tout d’abord son champ d’application.
Le nouveau régime, comme le précédent, s’applique aux revenus nets des éléments présentant le caractère d’actifs incorporels immobilisés suivants :
– brevets, certificats d’utilité et certificats complémentaires de protection rattachés à un brevet ;
– certificats d’obtention végétale ;
– procédés de fabrication industriels lorsqu’ils constituent le résultat d’opérations de recherche, sont l’accessoire indispensable de l’exploitation d’une invention et font l’objet d’une licence d’exploitation unique avec l’invention.
Un apport favorable important de la loi de finances est l’extension du régime aux logiciels protégés par le droit d’auteur, conformément aux recommandations de l’OCDE (BEPS action 5) qui considère que les logiciels protégés par le droit d’auteur partagent les caractéristiques fondamentales des brevets, puisqu’ils sont «nouveaux, non évidents et utiles» et donc fonctionnellement équivalents à des brevets. Les logiciels protégés par le droit d’auteur ne sont pas définis par la loi mais correspondent, en droit de la propriété intellectuelle, aux logiciels qui présentent un caractère original. Pour attester de ce caractère original, l’entreprise devra pouvoir démontrer qu’elle est à l’origine de la création du logiciel, soit par l’intermédiaire de ses salariés, soit par le biais de prestataires externes ; il importe de revoir l’ensemble de la chaîne contractuelle qui la lie à l’auteur original du logiciel et d’impliquer à cette fin le service juridique de l’entreprise, ainsi que les services de R&D.
En ce qui concerne les inventions brevetables, le nouveau régime ne bénéficie malheureusement plus qu’aux contribuables dont le chiffre d’affaires mondial du groupe auquel ils appartiennent n’excède pas 50 millions d’euros et dont les revenus bruts issus de la totalité des actifs incorporels ne dépassent pas 7,5 millions d’euros en moyenne sur les cinq derniers exercices. Cette limitation correspond aux recommandations du rapport BEPS, qui prévoit en outre que la brevetabilité doit être certifiée dans le cadre d’un processus transparent de certification réalisé par un organisme gouvernemental compétent, indépendant de l’administration fiscale. La loi prévoit ainsi la certification de la brevetabilité par l’INPI, sans apporter davantage de précisions sur les modalités pratiques de cette nouvelle procédure de certification, qu’il appartiendra donc à l’administration de commenter. En pratique, la perte du régime de taxation au taux réduit pour ces inventions brevetables représente pour certaines entreprises un surcoût fiscal significatif. Elle complexifie également souvent le «traçage» des dépenses de R&D.
Un régime optionnel
A la différence du régime antérieur, le nouveau régime de faveur présente la particularité d’être optionnel et offre donc aux entreprises une certaine souplesse dans ses modalités d’application. Il permet en effet aux entreprises :
– de délimiter elles-mêmes le périmètre de l’option, cette dernière pouvant être exercée soit par actif, soit par bien ou service, soit par famille de biens ou services. Cependant, ce choix est partiellement encadré par le nouveau texte, puisque l’entreprise qui choisit d’opter pour un bien ou une famille de biens et non pour un actif doit justifier ce choix en démontrant qu’il lui est impossible de réaliser un suivi par actif ou par bien selon les cas ;
– de choisir la date à partir de laquelle le régime de faveur s’appliquera. L’importance de ce choix doit être soulignée. Il est en effet prévu que, pour le premier exercice de calcul du revenu net soumis au taux réduit de 10 %, les redevances perçues sont minorées de l’ensemble des dépenses en lien direct avec la création, le développement et l’acquisition de l’actif concerné, exposées par l’entreprise, y compris au cours des exercices antérieurs, sans néanmoins remonter au-delà de la date à laquelle l’option pour le régime de faveur a été exercée. Ce mécanisme, qui revient à diminuer la part du résultat de l’entreprise taxée au taux réduit, devrait inciter les contribuables qui le peuvent à faire coïncider l’option avec le premier exercice au titre duquel l’actif dégage des revenus, afin de limiter le montant des dépenses à «recapturer». Les entreprises ayant exercé l’option plus globale par bien ou famille de biens pourraient être défavorisées par ce mécanisme de «recapture» car, à défaut de pouvoir isoler un actif spécifique, les dépenses exposées à compter de l’exercice de l’option, mais avant que le nouvel actif ne dégage de revenu, devront être retenues pour le calcul du résultat net.
L’option peut être révoquée, mais l’entreprise qui cesserait d’appliquer le régime de faveur au titre d’un exercice en perdrait définitivement le bénéfice pour chaque actif, bien ou famille de biens concernés, en l’état actuel du texte.
En pratique, l’option doit être formulée dans la déclaration de résultat de l’exercice au titre duquel elle est exercée. Pour chaque exercice, l’entreprise est tenue de détailler, dans une annexe à sa déclaration de résultat, pour chaque actif, bien ou famille de biens, les calculs réalisés pour déterminer le montant du revenu soumis à l’imposition au taux réduit. Elle doit par ailleurs tenir à la disposition de l’administration, à la date d’engagement d’une vérification de comptabilité, une documentation permettant de justifier la détermination du résultat ainsi imposé. Cette documentation doit comprendre une description générale de l’organisation des activités de R&D de l’entreprise ainsi que des informations spécifiques au calcul du résultat net imposable (liste des actifs, calcul du ratio…). Si elle n’est pas remise à l’administration après mise en demeure, l’entreprise encourt l’application d’une amende égale à 5 % du montant des revenus tirés du ou des actifs pour lesquels l’obligation de documentation n’a pas été respectée.
Des impacts opérationnels
Afin que l’option soit exercée de manière éclairée, il est indispensable que le processus décisionnel implique l’ensemble des personnes participant aux activités de recherche de l’entreprise et repose sur une connaissance fine de toutes les opérations qui mènent au développement (réalisation directe, sous-traitance auprès de tiers liés ou non liés, analyse des «cost centers» de R&D…) ou à l’acquisition d’un actif de propriété industrielle éligible, ainsi que des flux de redevances ultérieurement générés par cet actif.
L’implication des responsables des activités de R&D mais aussi des responsables des systèmes informatiques, aux côtés des fiscalistes, comptables ou financiers, apparaît donc essentielle. L’identification des revenus éligibles pourra être facilitée par la mise en place d’un outil informatique adapté permettant d’obtenir à l’avenir la granularité nécessaire à la mise en œuvre d’une option par actif.
Ces premières analyses pourront, enfin, déboucher sur une réflexion plus globale et internationale relative à la gestion et l’organisation des activités de R&D au sein du groupe, en tenant compte du plan R&D de l’entreprise à moyen et long terme et des futurs actifs de propriété intellectuelle qu’il générera.