A l’initiative de plusieurs parlementaires, le Parlement a voté, avec l’accord du Gouvernement, lors de l’adoption de la loi de finances pour 2019, un mécanisme de non-déduction partielle des redevances de concession de licences d’exploitation de droits de la propriété intellectuelle versées à une entreprise liée lorsque cette dernière n’est pas soumise, pour ces mêmes redevances à une imposition dont le taux effectif est au moins égal à 25 %.
Par Renaud Jouffroy, avocat associé, PwC Société d’Avocats
Ce mécanisme anti-abus prévoit d’exclure des charges déductibles les redevances versées à proportion de la différence entre le taux de 25 % et le taux d’imposition effectif auquel ces redevances ont été soumises. Il s’applique aux exercices ouverts à compter du 1er janvier 2019.
Afin d’éviter tout contournement de la mesure au sein de groupes internationaux, il est prévu que les conditions d’imposition des redevances sont appréciées au niveau du bénéficiaire effectif et non au niveau des sociétés interposées.
Ce dispositif s’inscrit dans le contexte de l’évolution du régime français des brevets (prévu lui aussi par la loi de finances pour 2019) visant à la conformité de celui-ci avec l’approche «nexus» de l’OCDE.
Afin de ne pas inciter les groupes à délocaliser leurs brevets (et actifs assimilés) à la suite de cette réforme, le dispositif vise donc à refuser partiellement la déductibilité des redevances qui seraient versées à des entreprises liées établies dans un Etat offrant un régime fiscal trop clément.
La loi précise toutefois que ce mécanisme ne trouve à s’appliquer que lorsque l’entreprise au niveau de laquelle s’apprécie le taux effectif d’imposition est établie dans un Etat qui n’est ni membre de l’UE ni partie à l’accord sur l’EEE et qu’elle bénéficie au titre des redevances versées d’un régime fiscal considéré comme dommageable par l’OCDE.
Ce dispositif ressemble en de nombreux points au régime fiscal allemand mis en place récemment, destiné à contrer les régimes de «patent box» et notamment le régime français de faveur des redevances de brevets prévu alors par l’article 39 terdecies du CGI, qui avait été considéré comme dommageable par l’OCDE.
Ce régime ne prévoit pas de limitation à la non-déduction partielle quand l’entreprise française sous-concède, à ses filiales étrangères, les actifs pris en licence auprès d’une entreprise étrangère, incitant les groupes français lors d’acquisition à rapatrier les actifs concernés en France, au prix de plus-values taxables qui peuvent être conséquentes.
Ce nouveau dispositif doit être suivi avec attention en ce qui concerne les redevances versées à des entités établies aux Etats-Unis, la question du caractère dommageable du nouveau régime américain des revenus incorporels perçus à l’étranger (FDII) faisant actuellement l’objet d’un examen par le cadre inclusif de l’OCDE1.
On rappellera que la récente réforme fiscale américaine a pour objet de rendre plus compétitif le système fiscal américain, dynamiser l’économie et promouvoir l’emploi aux Etats-Unis. Parmi les avantages consentis aux sociétés américaines est institué un régime favorable d’imposition, le Foreign Derived Intangible Income ou FDII, qui vise à taxer à un taux de 13,125 % les profits provenant de l’exploitation d’actifs incorporels situés outre-Atlantique et ayant contribué à des exportations de biens ou services à destination de clients établis hors des Etats-Unis. Ce nouveau régime n’est nullement conditionné à ce que le titulaire de ces actifs incorporels ait engagé lui-même les dépenses de R&D ayant conduit à la création de ces incorporels bénéficiant du régime de faveur. Contrairement à ce que pressentaient début 2018 les autorités américaines, l’OCDE pourrait donc, faute de nexus, considérer ce régime comme dommageable.
Le seul impact immédiat pourrait être la non-déduction des redevances en Allemagne et en France2. A notre connaissance, tel est bien l’avis des autorités fiscales allemandes. En France rien n’est moins sûr. En effet, le paradoxe de ce nouveau régime est la référence au taux d’imposition du concédant étranger, 25 % «taux correspondant au taux normal d’IS applicable en France à compter du 1er janvier 2022». Celui-ci est très supérieur au taux d’imposition préférentiel du nouveau régime des brevets, à savoir 10 % (et aux taux retenus par la plupart des partenaires de la France pour leur régime préférentiel). Ainsi, une entreprise française peut déduire à taux plein les redevances payées à une entreprise française taxées à 10 % mais ne pourrait bénéficier que d’une déduction partielle pour les redevances payées à une entreprise américaine et taxées à un taux effectif supérieur, de 13,125 %. L’article 25-3 de la convention France Etats-Unis (conforme à l’article 24-4 du modèle OCDE relatif à la non-discrimination quant à la déduction) prévoit que les redevances payées à un résident de l’autre Etat contractant sont déductibles, pour la détermination des bénéfices imposables, dans les mêmes conditions que s’ils avaient été payés à un résident du premier Etat.
Certes l’entreprise française concédante ne peut bénéficier du taux réduit lorsqu’elle ne respecte pas la règle du nexus, mais à l’inverse l’entreprise américaine peut avoir engagé les dépenses de création des incorporels donnés en licence. Par ailleurs, devra être confirmé le fait que les redevances payées à une entreprise bénéficiant d’un régime potentiellement dommageable mais non encore déclaré comme tel par l’OCDE sont bien déductibles pour la période précédant cette déclaration (situation potentielle du FDII mais aussi des régimes du Panama ou du Paraguay en cours d’examen). Avec la recherche du bénéficiaire effectif des redevances et les interrogations évoquées plus haut, ce nouveau texte promet donc des discussions ardues avec l’administration fiscale.
1. Rapport du forum de l’OCDE sur les pratiques fiscales dommageables, mise à jour au 15 novembre 2018.
2. Son assimilation à un régime de subside à l’export pourrait aussi entrainer des sanctions de l’OMC comme pour les régimes précédents DISC, Foreign Sales Corporation ou FSC, ou encore Extraterritorial Income Exclusion ou ETI.