La lettre gestion des groupes internationaux

Mars 2019

Loi de finances

Publié le 15 mars 2019 à 10h27    Mis à jour le 15 mars 2019 à 16h38

Philippe Durand, PwC Société d’Avocats

Les mesures fiscales significatives concernant les entreprises qui ont été adoptées à la fin de l’année dernière ont en commun qu’elles ont consisté à transposer en droit interne des mesures ou des obligations résultant d’obligations communautaires ou des travaux de l’OCDE relatifs au BEPS (base erosion and profit shifting) : limitation de la déductibilité des frais financiers, imposition des produits de la propriété industrielle, modification du régime d’intégration fiscale, renforcement des dispositifs anti-abus, harmonisation des règles en matière d’élimination de la double imposition.

Par Philippe Durand, avocat associé, PwC Société d’Avocats

Autre point commun, non sans lien avec le précédent, les textes adoptés, fruits de négociation et de compromis entre des législations fiscales différentes, sont généralement difficiles à comprendre, complexes à mettre en œuvre et comportent des incertitudes juridiques quant au sens à donner à certaines de leurs dispositions.

Ce constat aurait pu donner prise aux diatribes des souverainistes de tous bords, or il n’en a rien été. Pourquoi ? Est-ce parce qu’il s’agissait en général de mieux encadrer la concurrence fiscale entre les Etats membres de l’Union européenne souvent dénoncée par ces souverainistes ? Est-ce parce que ces mesures ont été présentées, de manière parfois infondée, notamment en ce qui concerne la déductibilité des frais financiers, comme destinées à lutter contre l’optimisation fiscale, ce qui suffit aujourd’hui à faire taire toute critique ? Ou n’est-ce pas plus simplement parce que la fiscalité des entreprises n’est sans doute pas un terrain propice à la polémique politique ?

On ne peut manquer d’être frappé par le grand écart entre le peu de débat qu’ont suscité ces dispositions complexes et hermétiques, pourtant lourdes de conséquences pour les entreprises, et le déballage de propositions fiscales simples, pour ne pas dire simplistes, qui ressortent de l’interconnexion par les réseaux sociaux de tous les cafés du commerce de France à la suite du mouvement des gilets jaunes ; propositions qui se limitent à la fiscalité des personnes physiques.

On pourrait y voir l’illustration du célèbre adage de Paul Valéry selon lequel «tout ce qui est simple est toujours faux et tout ce qui ne l’est pas est inutilisable». Mais cette situation amène surtout à s’interroger sur l’avenir de la politique fiscale dans le débat démocratique.

Les organisations comme l’OCDE et l’Union européenne ont pu conforter leur place dans les politiques fiscales grâce au capital de sympathie qu’a pu leur attirer la lutte contre l’optimisation et les paradis fiscaux, même si cet objectif comportait une dimension de marketing politique car il s’agissait aussi de faciliter l’acceptation d’évolutions répondant notamment à des préoccupations budgétaires ou de contrôle. Une nouvelle étape semble en voie d’être franchie en ce début d’année avec la consultation sur la réforme du système fiscal international pour faire face aux problèmes liés à la digitalisation de l’économie, ce qui concerne également la fiscalité des entreprises.

Contrairement à ce que suggère son intitulé, le débat ne se limite pas à l’économie digitale mais cherche à élargir l’approche à la plupart des activités économiques et financières en arguant de la place croissante des droits incorporels, y compris à travers les marques. Le document soumis à consultation suggère de fonder la répartition du «gâteau fiscal» entre les Etats sur l’analyse de la «création de valeur» et fait valoir que la source principale de celle-ci ne se situe pas tant dans la conception et la réalisation des produits que dans le rôle des consommateurs. Cela conduit à proposer une remise en cause des règles traditionnelles de répartition des profits et du principe de pleine concurrence ainsi qu’un transfert du droit d’imposer vers l’Etat de résidence des consommateurs. L’idée n’est pas nouvelle mais c’est la façon dont elle est présentée qui donne à ce débat une dimension sans précédent.

Les Européens se trouvent quelque peu piégés car la démarche consiste à conceptualiser et généraliser l’approche qu’ils ont eux-mêmes mise en avant pour faire face à la sous-imposition des entreprises du Net. Ils voient ainsi se retourner contre eux leur proposition. En effet, cela pourrait par exemple conduire à transférer une grande part du droit d’imposer les produits du luxe ou celui des automobiles vers les Etats-Unis ou la Chine. L’appel à contribution pour cette consultation a été lancé le 13 février pour s’achever le 1er mars. Considère-t-on que 15 jours suffisaient pour faire le tour du sujet ? A moins qu’on ait espéré enfermer le débat dans un espace de temps dans lequel les Etats européens se trouveraient prisonniers des positions qu’ils avaient prises sur la fiscalité du numérique.

Cette nouvelle séquence suggère que les appétits quant à la répartition des ressources fiscales ne parviennent plus à se cacher derrière l’argument de lutte contre l’optimisation fiscale. Elle risque de fragiliser le rôle que les organisations internationales s’étaient efforcées d’acquérir dans l’orientation des politiques fiscales, l’OCDE étant sans doute plus exposée que l’Union européenne dans ce débat. Mais le hiatus relevé plus haut pourrait conduire les opinions publiques à réagir sans distinction contre tout ce qui vient d’institutions extérieures perçues comme dépourvues de légitimité politique et qui ont d’ailleurs travaillé de manière complémentaire ces dernières années. Les gouvernements européens sont-ils pour autant prêts à reprendre la main après avoir pris goût à un transfert d’une part importante de leur responsabilité en matière de fiscalité depuis environ dix ans ? L’enjeu pour eux n’est pas seulement fiscal mais budgétaire. Ce qui a été fait jusqu’à présent avait vocation à accroître leurs ressources. Les propositions nouvelles, GAFA exceptés, conduiraient à leur en faire perdre.


La lettre gestion des groupes internationaux

Fraus omnia corrumpit ? Quelques observations sur la répression des pratiques abusives

Tarek Afantrouss, PwC Société d’Avocats

Les dispositifs anti-abus de portée générale (general anti-abuse rules ou GAAR) comme l’abus de droit français, là où ils existaient, reposaient pour la plupart sur un principe général du droit décliné de l’adage latin «fraus omnia corrumpit» (la fraude corrompt tout). Au début des discussions sur le BEPS, les tenants de cette approche opposaient celle-ci à des dispositifs anti-abus plus ciblés mais reposant sur des critères de mise en œuvre objectifs ne faisant pas référence à l’intention des contribuables, dispositifs généralement regroupés sous la notion de clauses de LOB (limitation of benefits) inspirées de textes introduits dans les conventions fiscales, notamment par les Etats-Unis.

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