Au gré des décisions de justice prononcées, les holdings sont de plus en plus exposées, tant en France qu’à l’étranger. En effet une série de fronts nuageux, de différentes forces et natures se forment autour d’elles depuis quelques années, comme en témoignent les récents arrêts rendus par les cours administratives d’appel de Paris et Versailles sur la notion de bénéficiaire effectif respectivement dans les affaires Sté Foncière Vélizy Rose1 et Sté Performing Right Society2. Ces décisions offrent l’occasion de prendre la température des menaces qui planent au-dessus de ces holdings.
Les nuages s’amoncellent sur le territoire des holdings….
Tel un cumulonimbus, la qualité de bénéficiaire effectif évolue au travers de multiples strates normatives : requise en droit interne pour bénéficier de l’exonération de retenue à la source sur les dividendes, intérêts et redevances versés au profit d’entreprises associées établies dans un autre Etat membre de l’Union européenne3, la condition d’être le bénéficiaire effectif de ces flux commande également le bénéfice des exonérations ou des taux réduits de retenue à la source sur ces revenus passifs prévus par les conventions fiscales bilatérales.
Longtemps interprété en pratique dans une acception juridique étroite, le concept de bénéficiaire effectif est désormais appréhendé selon une approche économique, depuis les arrêts dits des Danish cases de la Cour de justice de l’Union européenne. Pour rappel, elle y a jugé que le bénéficiaire effectif est celui qui bénéficie réellement des revenus sur le plan économique et qui dispose dès lors du pouvoir d’en déterminer librement l’affectation4. Depuis lors, les décisions portant sur la notion de bénéficiaire s’enchaînent avec en moyenne deux décisions par an, en grande majorité négatives pour les contribuables. Ce rythme devrait encore s’accélérer dans la prochaine décennie à la lumière des propositions de rectification que les autorités fiscales notifient. L’affaire Sté Foncière Vélizy Rose s’inscrit dans ce courant jurisprudentiel.
En l’espèce, la société française Foncière Vélizy Rose, qui exerçait une activité de location immobilière, avait versé, le 2 juillet 2014, la somme de 3,6 millions d’euros à son actionnaire luxembourgeois, la société Vélizy Rose Investment, au titre d’un acompte sur dividendes, et ce, en franchise d’impôt sur le fondement de l’article 119 ter du code général des impôts (CGI). Cette dernière société a redistribué l’intégralité de cette somme (qui représentait l’ensemble des fonds dont elle disposait) à son propre actionnaire, la société Dewnos Investment, elle-même établie au Luxembourg. A l’issue d’une vérification de comptabilité, l’administration fiscale a toutefois dénié l’application de l’exonération de retenue à la source au motif que le récipiendaire direct des dividendes n’en était pas le bénéficiaire effectif.
Pour refuser à la société Foncière Vélizy Investment la qualité de bénéficiaire effectif, la cour administrative d’appel se réfère à la notion de société relais dont elle emprunte la définition et les modalités d’appréciation à la Cour de Luxembourg : une société relais se caractérise ainsi par l’absence d’activité autre que la perception de revenus et leur transmission – directe ou indirecte – au bénéficiaire effectif en sachant que le défaut d’activité économique s’apprécie à l’aune des spécificités caractérisant l’activité économique en question et à l’issue d’une analyse de l’ensemble des éléments pertinents relatifs, notamment, à la gestion de la société, à son bilan comptable, à la structure de ses coûts et frais réellement exposés, au personnel qu’elle emploie et aux locaux et équipement dont elle dispose.
Mettant en œuvre ces préceptes, la cour juge que la société Vélizy Rose Investment ne démontre pas exercer d’activité autre que celle de société relais dès lors qu’elle a reversé dans son intégralité à son actionnaire unique la somme reçue, la veille, de sa filiale en utilisant la trésorerie issue de l’acompte sur dividendes perçu, qu’elle détenait, au titre de l’exercice en cause, l’intégralité du capital social de cette dernière et qu’elle avait, en outre, pour associé unique la société Dewnos Investment dont elle partageait les deux mêmes dirigeants. Ce constat n’est remis en cause ni par les coûts de gestion engagés par la société (25 320 euros au titre des dépenses de loyers, de bureau, d’honoraires ainsi que de rémunération facturée auprès d’une société apparentée), ni par le contexte de sa création et de la mutation de son actionnariat (créée initialement dans le cadre d’un pacte d’actionnaire par un groupe d’investisseurs soucieux de se protéger contre une procédure collective, la récente réunion de toutes ses actions entre les mains de la société Dewnos Investment a été accompagnée d’un contrat de fiducie liant cette dernière aux autres investisseurs) ni, enfin, par la régularité formelle de la distribution décidée par son conseil de gérance. A notre sens, le calendrier rapproché de la redistribution des profits, l’identité des dirigeants des sociétés mère et grand-mère et l’absence apparente d’utilité de l’interposition (point peut-être insuffisamment développé par la société dans ses écritures) ont largement pesé dans le sens de la décision.
Cet arrêt met ainsi en exergue l’importance que revêt, pour les groupes investissant en France, la notion de bénéficiaire effectif. Elle ne doit pas, pour autant, occulter d’autres exigences moins médiatisées mais tout aussi significatives lorsque le portage de leur investissement est assuré par des holdings étrangères.
Moins ostensible, et aussi redoutable, le critère du siège de direction effective conditionne également l’accès aux exonérations de retenue à la source des articles 119 ter, 119 quater et 182 B bis du CGI. Si ce critère fait encore l’objet de peu de jurisprudence, le tribunal administratif de Montreuil en offre une illustration récente, à nouveau dans le milieu immobilier5. Dans cette affaire, le tribunal confirme le prélèvement d’une retenue à la source sur les dividendes versés par la SAS COFIMA à sa société mère luxembourgeoise dénommée Berlioz Investment au motif que celle-ci n’y dispose pas de son siège de direction effective en contravention des dispositions de l’article 119 ter du CGI. Relevant, sur la base des éléments produits par les parties, que la société mère avait son siège auprès d’une adresse de domiciliation, qu’elle était dépourvue de salarié et que ses dirigeants étaient des employés de l’entreprise domiciliaire, les magistrats jugent qu’il n’était pas établi que les décisions stratégiques concernant la société Berlioz Investment seraient effectivement prises au Luxembourg et n’auraient pas, en réalité, été préparées et décidées en amont dans leur principe. Ce nuage propre au droit interne, qui évolue ainsi à une plus basse altitude, à l’image d’un stratus autour des holdings, ne doit pas être négligé.
Plus perfides, car moins prévisibles, sont les nouvelles déclinaisons du principe prohibant les abus. Elles ont proliféré ces dernières années en droit interne (avec le mini-abus de droit6), en droit de l’Union européenne (avec la « SAAR » de la directive mère-fille7 et la « GAAR » d’ATAD8) et en droit conventionnel (avec le « MBT » 9) atteignant ainsi toutes les couches normatives, à l’image d’un stratocumulus. Contrairement à la procédure classique de répression des abus de droit, codifiée à l’article L. 64 du Livre des procédures fiscales, dont la mise en œuvre a été éprouvée par le Conseil d’Etat à l’égard des holdings, qu’elles se situent en amont ou en aval des sociétés françaises, ces outils anti-abus inédits sont presque vierges de tout précédent jurisprudentiel10 (voire de tout commentaire administratif à l’exception des précisions apportées par le BOFiP pour certains d’entre eux). Il est donc délicat d’anticiper leurs modalités d’application (d’autant que leur rédaction, proche, n’est pas identique) et leur articulation (ils sont parfois susceptibles de s’appliquer concurremment). A cette incertitude s’ajoute une instabilité législative condensée dans une proposition de directive : ATAD311. Bien que cet instrument, qui vise à empêcher l’utilisation abusive d’entités écrans à des fins fiscales, ne soit qu’une proposition, l’appréciation rétrospective des critères passerelles contraint les groupes à l’intégrer dans leurs réflexions en dépit des larges remaniements dont le texte devrait faire l’objet dans le cadre des négociations en cours au niveau du Conseil de l’Union européenne (à supposer que cette proposition de la Commission surmonte l’antagonisme des positions de certaines délégations).
… mais de légères éclaircies pourraient percer à l’horizon
Ce sombre tableau des menaces pesant sur les holdings mérite toutefois d’être nuancé. En pratique, de nombreuses holdings présentent déjà une substance en adéquation avec leur activité. Pour les plus fragiles d’entre elles, une série de palliatifs contentieux peut être – dans certaines configurations – envisagée (si les mesures correctives, telles qu’une réorganisation, n’ont pas été prises à temps).
Ainsi, en cas de remise en cause de la qualité de bénéficiaire effectif, le remède naturel, intrinsèque à cette notion, consiste à solliciter l’application des taux réduits d’imposition (voire l’exemption) prévus par la convention fiscale, signée le cas échéant, entre l’Etat de la source et l’Etat de résidence du bénéficiaire effectif ainsi que l’admet le Conseil d’Etat dans sa décision Planet12. Encore faut-il toutefois réunir les justificatifs nécessaires à la mise en œuvre de cette tierce convention, telle que la preuve de la qualité de bénéficiaire effectif du récipiendaire indirect ainsi que celle de sa résidence fiscale. A cet égard, il est impossible de se cantonner à de simples déclarations, certaines juridictions exigeant un certificat de résidence fiscale locale (ou équivalent) (v. en ce sens, les arrêts Performing Right Society précités rendus le 15 novembre 2022 par la cour administrative d’appel de Versailles).
A défaut, il sera toujours loisible pour le contribuable redressé de soulever des moyens d’irrégularité de la procédure ou d’incompatibilité avec le droit de l’Union. Cette piste a été explorée en vain à ce stade par la société Foncière Vélizy Rose dans l’affaire éponyme précitée. Elle a soutenu, dans un premier temps, que la disqualification du récipiendaire en tant que bénéficiaire effectif ne peut s’opérer en dehors de la procédure de répression des abus de droit. Ce moyen a été rejeté au motif que l’administration n’a écarté en l’espèce aucun acte (« Pas d’acte, pas d’abus de droit »13), celle-ci ayant simplement vérifié qu’une condition substantielle au bénéfice de l’exonération de retenue à la source sur les dividendes, prévue à l’article 119 ter du CGI, était satisfaite.
La société a contesté, dans un second temps, la conformité à la liberté d’établissement (ou à la libre circulation des capitaux) de l’article 119 ter du CGI, notamment, dans la mesure où il requiert le respect d’une condition de bénéficiaire effectif alors qu’elle fait défaut dans les situations purement internes. Si la rédaction de l’arrêt ne permet pas d’apprécier la motivation développée par le requérant à l’appui de ce moyen, la solution retenue par la cour administrative d’appel est limpide : dès lors que la société mère n’est pas le bénéficiaire effectif des sommes distribuées, la liberté d’établissement ne peut être valablement invoquée. Ce raisonnement peut, à notre sens, se rattacher aux Danish cases dans lesquelles la Cour de justice de l’Union européenne avait rappelé qu’une société résidente d’un État membre ne saurait revendiquer le bénéfice des libertés fondamentales pour mettre en cause la réglementation nationale régissant l’imposition des revenus payés à une société résidente d’un autre État membre en cas de fraude ou d’abus14. Or, toujours selon la même Cour, l’interposition d’une société relais constitue un indice de montage abusif15. Cependant, il convient de rappeler qu’il ne s’agit que d’un indice et non d’une condition suffisante pour établir un abus. Il résulte d’une jurisprudence constante de la Cour que la preuve d’une pratique abusive nécessite, d’une part, un ensemble de circonstances objectives d’où il résulte que, malgré un respect formel des conditions prévues par la réglementation de l’Union, l’objectif poursuivi par cette réglementation n’a pas été atteint et, d’autre part, un élément subjectif consistant en la volonté d’obtenir un avantage résultant de la réglementation de l’Union en créant artificiellement les conditions requises pour son obtention16. On peut s’interroger en l’espèce sur la réunion de ces conditions, en particulier s’il était démontré que la société grand-mère, elle-même établie au Luxembourg, était le bénéficiaire effectif des dividendes puisque, si nous ignorions l’existence de la société mère interposée, elle aurait elle-même pu bénéficier de l’exonération de retenue à la source sur ces profits versés par la société Foncière Vélizy Rose. Ce moyen nous paraît donc plus prometteur.
1. CAA Paris, 7 déc. 2022, n° 21PA05986, Sté Foncière Vélizy Rose.
2. CAA Versailles, 15 nov. 2022, n° 21VE00439, Sté Performing Right Society Ltd et CAA Versailles, 15 nov. 2022, n° 21VE00440, Sté Performing Right Society Ltd.
3. Article 119 ter du CGI (dividendes), article 119 quater du CGI (intérêts) et article 182 B bis du CGI (redevances).
4. CJUE, gde ch., 26 févr. 2019, aff. C-115/16, C-116/16, C-119 /16 et C-299/16, pt 122.
5. TA Montreuil, 7 déc. 2022, n° 1921855, SAS COFIMA.
6. Article L. 64 A du Livre des procédures fiscales.
7. Directive (UE) 2015/121 du Conseil du 27 janvier 2015 modifiant la directive 2011/96/UE concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et aux filiales d’États membres différents (codifiée en France au 3 de l’article 119 ter du CGI). SAAR est l’acronyme anglais de « Special Anti-Abuse Rule ».
8. Article 6 de la directive (UE) 2016/1164 du Conseil du 12 juillet 2016 établissant des règles pour lutter contre les pratiques d’évasion fiscale qui ont une incidence directe sur le fonctionnement du marché intérieur (codifié à l’article 205 A du CGI). GAAR est l’acronyme anglais de « General Anti-Abuse Rule ».
9. Article 7 de la convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir le BEPS. MBT est l’acronyme anglais de « Main Benefit Test ».
10. A l’exception notable de la clause anti-abus spéciale du 3 de l’article 119 ter du CGI : CAA Lyon, 13 janv. 2022, n° 19LY03610, SASU Finalgro. (v. Clause anti-abus de la directive mère-fille : lorsque la substance (ultérieure) chasse l’abus, Marie-Hélène Pinard-Fabro et Valentin Leroy : Option Finance, 7 oct. 2022).
11. Proposition de directive du Conseil établissant des règles pour empêcher l’utilisation abusive d’entités écrans à des fins fiscales et modifiant la directive 2011/16/UE (présentée le 22 décembre 2021).
12. CE, 20 mai 2022, n° 444451, Sté Planet.