La lettre gestion des groupes internationaux

EDITION MARS 2023

Perquisition fiscale : la substance étrangère n’exclut pas la présomption d’établissement stable non déclaré en France

Publié le 17 mars 2023 à 16h20

PwC Société d'Avocats    Temps de lecture 4 minutes

Par Catherine Cassan, avocat, associée, PwC Société d’Avocats et Paul Mispelon, avocat, PwC Société d’Avocats

L’article L.16 B du livre des procédures fiscales prévoit la procédure dite de visites et de saisies, plus communément dénommée « perquisition fiscale », et exige de  l’administration afin d’obtenir l’autorisation d’un juge des libertés et de la détention (« JLD ») de visiter une entreprise, qu’elle démontre qu’« il existe des présomptions qu’un contribuable se soustrait à l’établissement ou au paiement des impôts sur le revenu » en omettant notamment de passer ou de faire passer des écritures de manière délibérée. 

Dans une affaire ayant donné lieu à un arrêt de la Cour de cassation du 15 février 2023 (Cass. com., 15 fév. 2023, n°20-20.600, Publié au bulletin), l’administration fiscale, afin d’obtenir l’autorisation du JLD de perquisitionner différents locaux des sociétés du groupe LVMH susceptibles d’être occupés par la société de droit belge LVMH Finance Belgique (« LFB »), avait soutenu que cette dernière était susceptible d’avoir un établissement stable en France non déclaré et qu’il existait ainsi une présomption de soustraction à l’impôt.

Le JLD avait notamment autorisé la procédure de visite en relevant que la société belge ne disposait pas en Belgique des ressources nécessaires pour réaliser ses activités.

Saisi d’un recours contre l’ordonnance du JLD, le Premier Président de la Cour d’appel avait toutefois annulé l’ordonnance et ordonné la restitution des documents saisis sans possibilité pour l’administration d’en garder copie (CA Paris, 9 sept. 2020, n°19/16971).

Le Premier Président de la Cour d’appel avait tout d’abord relevé que l’administration fiscale française avait été informée de la création de la société belge et de son fonctionnement dès 2009 et avait par ailleurs obtenu la communication de nombreuses informations relatives à l’exercice de l’activité de centrale de trésorerie du groupe et à son transfert en Belgique, au cours de différents contrôles fiscaux d’autres sociétés du groupe basées en France.

Il avait ensuite considéré que la société belge bénéficiait bien des ressources nécessaires à son activité de centrale de trésorerie en Belgique et que le JLD avait opéré une confusion entre les activités de financement du groupe qui demeuraient réalisées en France et les activités de centrale de trésorerie qui avaient été transférées en Belgique. Ainsi, le JLD s’était selon lui, dans une certaine mesure, mépris sur le champ exact des activités de la société belge et avait estimé à tort que celle-ci ne disposait pas des ressources nécessaires à son activité.

Il avait par conséquent conclu que la présomption de fraude n’était pas démontrée dès lors que la société belge disposait de suffisamment de moyens pour réaliser son activité en Belgique.

Concernant l’omission de passer des écritures comptables, le Premier Président avait par ailleurs relevé que la condition n’était pas non plus remplie dès lors que la société belge avait dûment déposé ses comptes au lieu de son siège en Belgique.

Il avait notamment jugé que « le défaut de prise en considération de la comptabilité belge de LFB par l’administration fiscale française constitue une discrimination liée à la nationalité de cette société radicalement contraire aux principes de liberté d’établissement et de non-discrimination fondée sur la nationalité au sein de l’Union européenne. »

Cette analyse semble inspirée de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJCE, 15 mai 1997, C-250/95) selon laquelle l’obligation de tenir une comptabilité dans le pays de situation de l’établissement stable est contraire aux principes de liberté d’établissement et de non-discrimination fondée sur la nationalité au sein de l’Union européenne.

L’ordonnance du Premier Président et sa motivation illustraient ainsi l’existence d’un véritable contrôle de l’autorisation délivrée par le JLD.

La Cour de cassation n’a néanmoins pas partagé l’analyse du juge d’appel et a cassé l’ordonnance.

En effet, la Haute juridiction relève tout d’abord que l’ordonnance du Premier Président s’était fondée sur le fait que les moyens attribués à la société belge depuis 2009 (soit six à sept personnes à temps plein ou cinq à six salariés, selon les périodes, ainsi que la présence d’une administratrice déléguée) apparaissaient suffisants pour effectuer son activité de gestion de trésorerie intra-groupe. Le Premier Président en avait déduit qu’il n’était pas démontré qu’elle n’aurait donc pas les ressources nécessaires en Belgique à la gestion de son activité de centrale de trésorerie du groupe LVMH.

La Cour de cassation indique alors que « l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales n’exige que de simples présomptions, en particulier de ce qu’une société étrangère exploite un établissement stable en France, ce dont il résulterait qu’elle serait soumise aux obligations fiscales et comptables prévues par le code général des impôts en matière d’impôt sur les bénéfices et/ou de taxes sur le chiffre d’affaires ».

La Cour de cassation en conclut que le Premier Président « a ajouté à la loi une condition qu’elle ne comporte pas » et remet l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt en les renvoyant devant la juridiction du Premier Président de la cour d’appel autrement composée.

L’administration, afin d’obtenir l’autorisation de réaliser une procédure de visite, devait ainsi seulement apporter la preuve au cas d’espèce de simples présomptions d’existence d’un établissement stable non déclaré en France et donc qu’un impôt y aurait été éludé. A ce titre, l’existence de substance à l’étranger n’est pas un élément susceptible d’écarter l’existence de telles présomptions. Il arrive régulièrement, en particulier dans les groupes internationaux, que les structures étrangères qui disposent d’un établissement stable en France exercent également une activité à l’étranger avec un certain nombre de salariés sur place. Cet élément ne fait pas obstacle à ce qu’une partie de l’activité puisse constituer un établissement stable en France.

Les questions soulevées par le juge d’appel ne semblent néanmoins pas toutes tranchées par l’arrêt de la Cour de cassation.

D’une part celui-ci avait relevé d’autres éléments pour justifier l’annulation de l’ordonnance du JLD comme la bonne connaissance de l’administration de la société belge et de son activité ou encore la confusion opérée par le JLD sur le champ d’activité de la société qui devront être analysés par le juge de renvoi pour déterminer si les conditions étaient bien remplies pour qu’il existe en l’espèce une présomption d’impôt éludé.

D’autre part, la Cour de cassation ne semble pas non plus se prononcer sur la non-conformité au droit de l’Union de l’obligation de tenir une comptabilité en France au titre d’un établissement stable comme avait pu le relever le juge d’appel.

La décision du juge de renvoi dans cette affaire pourrait ainsi présenter un certain intérêt.


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