La lettre gestion des groupes internationaux

EDITION MARS 2023

Financement intragroupe par obligations convertibles, rien ne va plus de soi

Publié le 17 mars 2023 à 16h21

PwC Société d'Avocats    Temps de lecture 4 minutes

Par Fabien Fontaine, avocat, associé, PwC Société d’Avocats

Les obligations convertibles en actions sont un instrument de financement courant d’entreprises cotées ou non. Régis par l’article L. 225-161 du Code de commerce, ces instruments confèrent au prêteur obligataire (souscripteur de l’obligation) l’option d’être remboursé en actions de l’emprunteur (émetteur obligataire) selon une valeur nominale prédéterminée. Ces instruments présentent ainsi pour le souscripteur l’attrait d’un placement en action avec un plancher de rémunération garantie (le coupon obligataire). Pour sa part, l’émetteur se finance à un coût inférieur à celui d’obligations sèches, en raison des perspectives de gain offertes au souscripteur par le droit de conversion. C’est la raison pour laquelle, lorsque l’obligation convertible est l’instrument retenu pour un financement intragroupe entre entreprises liées, l’impact de l’option de conversion soulève un enjeu prix de transfert évident. Le juge de l’impôt vient de préciser par deux arrêts successifs le régime de l’application aux obligations convertibles du principe de pleine concurrence énoncé à l’article 57 du Code Général des Impôts (« CGI ») et sous-tendant également l’article 212-I-a CGI. 

Ce régime s’avère complexe et d’apparence contradictoire. Si par un premier arrêt Maître Pierre1 le Conseil d’Etat impose très logiquement de tenir compte de la valeur de l’option de conversion dans la détermination des charges d’intérêt de pleine concurrence associées aux obligations convertibles intragroupes1, un second arrêt EDFI2 du même Conseil d’Etat énonce d’emblée une exception importante à ce principe, dans la mesure où il assigne une valeur nulle à l’option de conversion associée à une obligation souscrite par l’actionnaire à 100 % de l’émetteur, d’où il suit que son rendement de pleine concurrence équivaut à celui d’une obligation sèche.

L’impératif de prise en compte de l’option de conversion : l’arrêt Maitre Pierre…

Le Conseil d’Etat était saisi d’un redressement portant sur l’application à un financement intragroupe réalisé par émission d’obligations convertibles du dispositif de l’article 212-I-a CGI, lequel conditionne, en application du principe de pleine concurrence, la pleine déductibilité des intérêts intragroupe à la démonstration par le contribuable de la conformité de leur taux au taux de marché.

Etant donné le lien direct entre valeur d’option et intérêt obligataire relevé ci-dessus, le Conseil d’Etat ajoute très logiquement à son considérant de principe usuel sur la recevabilité de comparables obligataires3 la condition selon laquelle « [l]orsque les sommes laissées ou mises à la disposition de la société par ses associés consistent dans le montant nominal d’obligations convertibles en actions souscrites par ces derniers, il y a lieu de corriger le taux de référence ainsi évalué pour tenir compte de la valeur de l’option de conversion associée aux obligations convertibles émises ». Au cas d’espèce, les diverses études apportées à l’appui du taux intragroupe reposaient sur des rendements d’obligations sèches, et partant ne tenaient pas compte de la valeur de l’option. Elles ont été rejetées pour défaut de comparabilité et le contribuable a été débouté de ses prétentions.

C’est le bon sens même, et l’application pure et simple du principe de pleine concurrence, encore que de nombreuses options de conversion sont par construction sans valeur. Ainsi, un financement consenti par un fonds d’investissement contraint par un ratio prudentiel de dette sur fonds propres sera structuré en obligation convertible uniquement afin de bénéficier du statut de quasi-equity de cet instrument. Dans un tel cas, les paramètres de l’option sont conçus pour rendre la conversion hypothétique ; le droit de conversion présente alors une valeur nulle et le rendement de l’obligation convertible coïncide avec celui d’une obligation sèche. Un autre cas de figure courant est le choix d’un droit de conversion conçu pour ne s’appliquer qu’en cas de sous-performance de l’entreprise, afin de discipliner par un risque de dilution le management actionnaire. Le droit de conversion n’opérant qu’en cas de sous-performance de l’entreprise, l’option n’engendre pas de perspective de gain, et en toute logique ne devrait de ce fait, pas avoir d’impact sur le rendement de l’obligation.

… sauf dans le cas où de souscripteur est actionnaire à 100% : l’arrêt EDFI

Quelques semaines plus tard, l’arrêt EDFI vient nuancer très fortement ce premier arrêt, au point de le contredire dans les faits.

Rappelons brièvement les faits. EDFI, filiale du groupe EDF, avait souscrit en octobre 2009 des obligations convertibles émises par sa propre filiale britannique EDF Energy UK Ltd. (« EDFE »), détenue à 100 %. Chaque obligation donnait ainsi droit à recevoir, en cas d’exercice de l’option, des actions EDFE à la valeur nominale de 1,367 euro, et portait un coupon annuel (imposé en France), de 1,085 %, très inférieur au 4,41 % de l’instrument en l’absence d’une telle option. En l’espèce, EDFI avait effectivement opté pour la conversion et réalisé un gain de près de 950 millions d’euros (à maturité, la valeur réelle unitaire des actions s’élevait en effet à 1,76 euro). L’Administration a redressé EDFI, en considérant que la différence entre le taux pratiqué de 1,085 % et le rendement de 4,41 % en l’absence de convertibilité n’était justifiée par aucune contrepartie au bénéfice de la souscriptrice ; s’en est suivie une réintégration du manque à gagner en application de l’article 57 du CGI sur les transferts indirects de bénéfices à l’étranger 

Le juge de première instance4 avait confirmé le redressement, en considérant que le gain réalisé à la conversion était annulé par l’effet dilutif des actions nouvellement émises, d’où il suivait qu’EDFI était à la fois bénéficiaire et financeur du gain. En appel5, à l’inverse, le juge a considéré que l’octroi à la société EDFI d’une option de conversion de ses titres en actions pouvait être valorisé de la même façon qu’entre tiers, d’où une absence de transfert de profits à raison du taux d’intérêt intégrant la valeur de cette option. A la différence du juge de première instance, le juge d’appel analyse la situation de l’émetteur et non du seul souscripteur ; l’émetteur bénéficie bien d’un coût réduit de financement, mais ce coût réduit est la contrepartie d’une émission d’actions à prix corrélativement faible.

A l’instar du juge de première instance, le Conseil d’Etat prend uniquement en compte la situation du souscripteur, en considérant que l’octroi d’une option de conversion à un actionnaire unique est, « par nature, insusceptible d’être comparée à une situation de pleine concurrence », dès lors que la valeur de la faculté d’acquérir une fraction du capital social en remboursement du prêt obligataire « est (…) nécessairement nulle lorsque l’option est attribuée à la personne possédant, à la date de l’émission, l’intégralité de ce capital », l’actionnaire unique étant toujours en mesure de décider de l’émission de nouvelles actions en remboursement du prêt obligataire, et, au surplus, l’opération de conversion n’ayant pas d’impact sur la valeur de sa participation (dont la valeur se trouve augmentée du montant de la dette dont elle s’est libérée). Il suit que, faute de pouvoir être comparée à une transaction similaire dans une situation de pleine concurrence, la transaction en litige est rémunérée en dessous de sa valeur vénale. 

Que faut-il penser de cet arrêt, dont le raisonnement paraît proche d’une qualification d’acte anormal de gestion, voire même – forçons le trait – d’un abus de droit6 ?

Sur le plan des principes, les commentateurs s’interrogent sur la cohérence de cette exception au principe de pleine concurrence. Par définition, ce principe repose en effet sur l’application aux transactions intragroupe d’une fiction de transaction entre tiers, et c’est ouvrir une brèche conceptuelle significative que d’écarter cette fiction à raison d’un contrôle à 100 %. On peut s’inquiéter de cette brèche, et la considérer d’autant moins nécessaire que la fiction de la transaction intragroupe réalisée aux conditions entre tiers s’accommode parfaitement du contrôle capitalistique, sur les sujets voisins, également en financement intragroupe, du support parental implicite7 ou des sûretés indirectes résultant du contrôle capitalistique8.  Du reste, ce n’est pas la seule brèche ouverte par cet arrêt, qui revient implicitement mais nécessairement sur la liberté de gestion de choisir entre financement en dette ou en capital9, que ce soit du côté de l’émetteur (qui se voit opposer un financement en obligation sèche alors qu’il a bien émis des titres) que du souscripteur (pour qui l’émission de nouvelles actions en remboursement du prêt se serait faite à des conditions financières différentes).

Sur un plan plus pratique, l’arrêt EDFI énonce une exception si vaste au principe énoncé dans l’arrêt Maître Pierre que la portée de ce dernier paraît désormais douteuse. Si le rapporteur public se garde bien de remettre en cause le principe de prise en compte de la convertibilité et formule une simple exception (« (…) cette règle générale ne fait pas obstacle à ce qu’une option de conversion attachée à une OCA soit regardée, dans certaines configurations particulières, comme ayant une valeur nulle »), il demeure que dans un contexte intragroupe la souscription par un actionnaire à 100 % reste très courante, et que du reste le raisonnement suivi par le juge pourrait parfaitement s’étendre à tout lien capitalistique suffisamment important pour permettre une décision d’émission d’actions en remboursement du prêt obligataire. S’agissant de l’espèce Maître Pierre, d’ailleurs, le souscripteur étant actionnaire à 100 %, l’exception EDFI aurait été applicable.

En pratique, dans l’attente de l’interprétation que feront les services de vérification de cet arrêt, la plus grande prudence semble s’imposer dans la mise en place d’obligations convertibles ayant, par leurs conditions, vocation à emporter un gain de conversion. 

 

1. Conseil d’Etat, 20 septembre 2022, n°455651, SASU HCL Maître Pierre.

2. Conseil d’Etat, 8ème et 3ème ch., 16 novembre 2022, n°462383 et 462388, SAS Electricité de France International (EDFI) et SA Electricité de France (EDF).

3. Avis du Conseil d’Etat, 10 juillet 2019, n°429426 SAS Wheelabrator Group.

4. TA Montreuil, 1re ch., 2 juill. 2019 n° 1705606 et 1705609.

5. CAA Versailles, 25 janv. 2022, 3ème ch.,

n° 19VE03125 et 20VE00792.

6. Le Comité de l’abus de droit fiscal a eu à connaître lors de sa séance du 9 novembre 2017 d’une affaire n° 2017-33 au titre de laquelle l’Administration considérait une clause de conversion obligataire « artificielle » en raison d’une « neutralisation » contractuelle de ses effets, et de l’absence d’intention d’entrée durable au capital de l’émetteur par le souscripteur bancaire tiers ; elle s’était estimée « fondée à restituer son véritable caractère à l’émission […] en la regardant comme un financement intragroupe simple sans composante de conversion ». Le Comité avait confirmé le caractère artificiel de la composante de conversion.

7. Conseil d’Etat, 9ème et 10ème chambres réunies, 19 juin 2017, n°392543, General Electric France.

8. Principes de l’OCDE applicables en matière de prix de transfert à l’intention des entreprises multinationales et des administrations fiscales 2023 §10.56.

9. Conseil d’Etat, Sect., 30 décembre 2003, n°233894, SA Andritz


La lettre gestion des groupes internationaux

Prélèvement de l’article 244 bis B et liberté de circulation des capitaux : le Conseil d’Etat précise les conséquences pratiques du dégrèvement accordé au contribuable non-résident

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Par une décision du 21 décembre 20221, le Conseil d’Etat a précisé les conséquences d’une entrave à la liberté de circulation des capitaux au regard des dispositions de l’article 244 bis B du Code général des impôts (« CGI »), dans sa version antérieure à la loi du 19 juillet 20212, applicables aux plus-values de cession de valeurs mobilières par des non-résidents et le montant du dégrèvement dont doit bénéficier le contribuable.

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