Dans une décision du 7 avril dernier (1), le Conseil d’État est venu compléter sa jurisprudence relative à la nature de la quote-part de frais et charge (ci-après « QPFC ») sur les dividendes éligibles au régime mère-fille et la possibilité d’imputer les crédits d’impôt étranger afin de préciser le montant de la base de cette imputation, sans toutefois lever toutes les incertitudes qui planent autour de cette question.
Rappel du contexte de l’affaire
Si l’on s’attarde quelques instants sur l’historique de la question liée à la nature de la QPFC sur les dividendes, il convient de rappeler que l’administration fiscale considérait que l’article 216 du Code Général des Impôts (ci-après « CGI ») « fixe un mode de calcul pour la réintégration des charges afférentes à des produits qui ne sont pas imposés et ne peut s’analyser comme conduisant à l’imposition d’une partie des dividendes (2) ».
À l’occasion d’un recours pour excès de pouvoir, le Conseil d’État a annulé ce paragraphe du BOFiP en jugeant que les dispositions de l’article 216 du CGI prévoyant la QPFC doivent être regardées « non comme ayant pour seul objet de neutraliser la déduction, opérée au titre de ses frais généraux, des charges afférentes aux titres de participation dont les produits sont exonérés d’impôt sur les sociétés, mais comme visant à soumettre à cet impôt, lorsque le montant des frais est inférieur à cette quote-part forfaitaire, une fraction des produits de participations bénéficiant du régime des sociétés mères (3) ».
Pour parvenir à cette décision le Conseil d’État s’est notamment fondé sur le caractère forfaitaire de la QPFC sur les dividendes et l’impossibilité pour la société de limiter la réintégration au montant réel des frais et charges de toute nature exposés par elle au cours de la période d’imposition en vue de l’acquisition ou la conservation des revenus correspondants, la loi de finances pour 2011 ayant en effet supprimé la possibilité de plafonner la QPFC à compter des exercices clos le 31 décembre 2010 (4).
Cette décision a ainsi ouvert, compte tenu de la dualité de nature de la QPFC sur les dividendes, la possibilité d’imputer les crédits d’impôt étranger afférents aux dividendes sur la QPFC. La question demeurait toutefois celle du quantum de l’imputation. Si la Cour administrative d’appel de Lyon avait, avant que la décision Axa n’intervienne, laissé entrevoir l’espoir d’une imputation totale (5), le Conseil d’État vient d’y mettre un terme.
La décision du Conseil d’État
Si le juge donne un mode d’emploi au contribuable …
Cassant la décision des juges du fond selon laquelle la QPFC de 5 % est constitutive, dans sa totalité, d’une imposition sur laquelle il est possible d’imputer sans limite les crédits d’impôt étranger afférents aux dividendes distribués par une filiale étrangère, et après avoir rappelé le principe de la dualité de nature de la QPFC de 5 % consacrée par la décision Axa précitée, le Conseil d’État juge que s’il est établi que le montant des frais réellement exposés pour l’acquisition ou la conservation des produits de participations est inférieur à la QPFC, l’impôt français dans la limite duquel est imputé le crédit d’impôt étranger sur la totalité des produits de participations distribués est égal au produit du taux de l’impôt français et de la différence entre la QPFC et le montant des frais réellement exposés.
Il en résulte que si les frais réellement exposés pour l’acquisition ou la conservation des produits de participation sont supérieurs à la QPFC, aucun crédit d’impôt étranger ne peut s’imputer sur l’impôt français, la QPFC ayant alors en totalité la nature d’une réintégration de charges.
Au contraire, si ces frais sont inférieurs à la QPFC, il convient de distinguer les « vrais frais » des « faux frais », tels que qualifiés par Monsieur Romain Victor dans ses conclusions sous la décision Axa. Seuls les « faux frais » correspondant à la différence entre la QPFC et les « vrais frais », c’est-à-dire ceux réellement exposés pour l’acquisition et la conservation des produits de participation, ont la nature d’une imposition et peuvent servir de base à l’imputation des crédits d’impôt étranger.
Ainsi, pour reprendre l’illustration donnée par Madame Céline Guibé dans ses conclusions sous la décision ici commentée, lorsqu’une société mère perçoit en provenance d’une filiale étrangère un dividende brut de 100 €, pour l’acquisition duquel elle a engagé des frais réels de 2 €, la QPFC de 5 % correspond à des frais de 5 pour un montant théorique d’impôt de 1,25 € (avec un taux d’IS de 25 %). Sur ces 1,25 €, seuls 75 c € sont la mesure de l’impôt frappant les produits de participation, nets de charges, sur lesquels le contribuable pourra imputer son crédit d’impôt étranger. En effet, les 50 c € restants viennent « annuler » l’effet impôt de la déduction des frais réels de 2 € engagés pour l’acquisition des produits de participation (les « vrais frais »).
S’agissant enfin des modalités de mise en œuvre du mécanisme d’imputation, le Conseil d’État considère que l’ensemble des produits distribués est imposé et autorise ainsi l’imputation de ces crédits d’impôt sur l’impôt dû sur ces produits.
…des incertitudes demeurent quant à la qualification des frais à retenir
Si la Haute Juridiction apporte, par sa décision A. Raymond et Cie, d’importantes précisions quant au calcul de la base de l’imputation des crédits d’impôt étranger sur l’impôt français dû au titre des dividendes de filiales étrangères, des incertitudes demeurent quant à la nature des frais à retenir pour déterminer la base de cette imputation.
En effet, c’est ce point qui fera désormais débat entre l’administration fiscale française et le contribuable, puisqu’alors que la première tentera de démontrer que les frais d’acquisition et de conservation des produits de participation sont élevés, afin de limiter le montant de la base d’imputation des crédits d’impôt étranger, le second s’évertuera à démontrer, qu’au contraire, ces frais sont minimes, afin d’augmenter le montant de cette base d’imputation.
On peut d’ores et déjà tenter de mettre la décision A. Raymond et Cie en perspective avec la jurisprudence antérieure du Conseil d’État, qui a eu à se prononcer sur les charges à prendre en compte pour la détermination du montant net des dividendes pour le calcul du butoir applicable à des dividendes étrangers perçus par une société6, bien que la terminologie retenue pour viser les frais ne soit pas identique à celle retenue en l’espèce, à savoir « les frais d’acquisition et de conservation des produits de participation ». La formation plénière de la Haute juridiction a ainsi jugé qu’il convient de déduire du montant des dividendes distribués, avant toute retenue à la source, « les charges justifiées, qui ne sont exposées que du fait de l’acquisition, de la détention ou de la cession des titres ayant donné lieu à la perception des dividendes, qui sont directement liées à cette perception et qui n’ont pas pour contrepartie un accroissement de l’actif (7) ».
Le renvoi de l’affaire devant la Cour administrative d’appel de Lyon sera, nous l’espérons, l’occasion pour les juges d’apporter des précisions utiles sur cette notion de frais engagés pour l’acquisition et la conservation des produits de participation à retenir dans le cadre du mécanisme d’imputation des crédits d’impôt étranger sur la QPFC sur les dividendes.
1. CE 7 avril 2023 n° 462709, min c/ Sté A. Raymond et Cie.
2. BOI-IS-BASE-10-10-20 n° 100.
3. CE 5 juillet 2022 n° 463021, Sté Axa.
4. L. n° 2010-1657, 29 décembre 2010, art. 10.
5. CAA Lyon 27 janvier 2022 n° 20LY00698, Sté A. Raymond et Cie.
6. Régime prévu par l’art. 220, 1, b) du CGI.
7. CE plén. 24 avril 2019 n° 399952, Sté Générale