La lettre gestion des groupes internationaux

Mars 2014

Les nouvelles règles anti-hybrides promises à une courte expérience au sein de l’UE

Publié le 28 mars 2014 à 19h03    Mis à jour le 26 août 2014 à 17h33

Renaud Jouffroy et Emmanuel Raingeard

La loi de finances pour 2014 a modifié l’article 212 du Code général des impôts en procédant à un aménagement des conditions de déduction des intérêts d’emprunts versés à des sociétés liées afin, selon l’exposé des motifs, de lutter contre l’optimisation fiscale au titre des produits hybrides et de l’endettement artificiel. Désormais les intérêts ne sont pas déductibles lorsque l’entreprise emprunteuse ne peut démontrer que les intérêts sont soumis chez l’entreprise prêteuse à une imposition au moins égale au quart de l’impôt sur les bénéfices, déterminé dans les conditions de droit commun. Si ces conditions s’entendent bien d’un taux d’IS de 33,33 %, le texte interdit toute déduction d’intérêt lorsque le niveau d’imposition chez le prêteur est inférieur à 8,33 %.

par Renaud Jouffroy, avocat associé, et Emmanuel Raingeard, maître de conférences Université de Rennes1 ;Counsel, Landwell & Associés

Ce texte s’inscrit dans le débat actuel relatif à l’érosion de la base d’imposition et le transfert des bénéfices au niveau international. Il soulève de nombreuses questions, notamment quant à l’appréciation du niveau d’imposition du prêteur, à son application aux entités fiscalement transparentes et à son articulation avec d’autres dispositifs anti-abus.

Mais c’est avant tout par rapport aux travaux de l’UE que le texte paraît être à contre-courant ; on peut même penser qu’il serait incompatible avec le droit de l’UE.

1 . Un texte à contre-courant des travaux de la Commission européenne

Si l’on se réfère aux travaux parlementaires, il semble que le législateur ait voulu montrer l’exemple aux autres pays sans attendre la mise au point au niveau international et européen des textes visant à éliminer certaines situations de «double non-imposition» existantes au niveau international.

Le dernier projet de rapport sur les montages hybrides publié par l’OCDE le 19 mars 2014 pourrait lui donner raison puisque la non-déduction chez l’emprunteur dans ces montages semble être préférée à la non-exonération des dividendes chez le prêteur-actionnaire.

Par contre, les évolutions au sein de l’UE lui donnent tort. En effet, en novembre 2013, la Commission européenne a adopté une proposition de directive modifiant la directive mère-fille qui pourrait entrer en vigueur avant la fin de cette année. L’exonération des dividendes reçus serait désormais limitée aux cas dans lesquels les bénéfices distribués n’ont pas été déduits (de sa base d’imposition à l’IS) par la société filiale. L’étude d’impact de la Commission révèle que le refus d’exonération des revenus déduits dans l’Etat source est la meilleure option et qu’elle est préférable à un refus de déduction dans l’Etat membre dans lequel réside la société payant le revenu. Ce serait la plus efficace et celle qui garantirait une cohérence de traitement dans l’Union européenne tout en contribuant à créer des conditions de concurrence équitable entre les groupes transfrontaliers et les groupes purement nationaux. Il ressort de l’analyse menée par la Commission pour justifier d’une mesure d’harmonisation que des actions isolées des Etats membres pour lutter contre les hybrides ne seraient pas efficaces puisque le problème naît des différences entre les systèmes fiscaux. Ainsi, de telles initiatives «pourraient créer de nouvelles asymétries ou de nouveaux obstacles fiscaux sur le marché intérieur».

2. La compatibilité avec le droit de l’UE en question

Si les travaux parlementaires insistent sur le fait que le dispositif instaure une «totale égalité de traitement entre une situation interne et une situation transfrontalière», c’est semble-t-il pour tenter de le rendre compatible avec le droit de l’UE. Cela étant, l’extension à des situations purement internes, c’est-à-dire son application à des prêteurs bénéficiant des quelques régimes dérogatoires du type «régime des Jeunes entreprises innovantes», nous paraît être une façade. En effet, ces quelques rares mécanismes d’exonération de bénéfices d’entreprises françaises ne permettent généralement pas d’exonérer les produits financiers allant au-delà de la gestion des excédents de trésorerie résultant de l’activité déployée et, surtout, l’exonération est limitée dans son quantum aux règles de «minimis».

De plus, penser qu’une telle égalité formelle puisse autoriser une discrimination de fait est oublier que de telles discriminations indirectes sont elles aussi prohibées. D’ailleurs, la Cour, en grande chambre, vient de juger qu’une législation qui du fait des choix de ses critères d’application affecte plus lourdement «dans la plupart des cas» les groupes étrangers constitue une discrimination indirecte (Hervis C-385/12).

Il est vrai qu’un certain nombre d’Etats ont déjà inséré des règles qui s’apparentent aux nouvelles règles françaises. Cependant, la Commission européenne veille scrupuleusement au respect du droit de l’UE et pourrait donc s’intéresser à ces Etats ainsi qu’à la France, si ce n’est déjà fait…


La lettre gestion des groupes internationaux

Les aides d’Etat : une notion floue et redoutable

Emmanuel Raingeard

Depuis seize ans maintenant, date de la publication des lignes directrices en la matière, il est clair pour tout le monde que la législation sur les aides d’Etat s’applique à la fiscalité. On ne sait toujours pas en revanche précisément ce que signifie cette notion (1). Cette initiative de la Commission fut prise dans le cadre de la lutte contre la concurrence fiscale dommageable à laquelle se livraient les Etats membres de la Communauté européenne (2). L’histoire se répète-t-elle avec la lutte contre le planning fiscal agressif et la double non-imposition (3) ?

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