Optionnel, le groupe TVA se substituera à ses membres en qualité d’assujetti unique. Les flux entre les membres du groupe seront ignorés au regard de la TVA et la déduction de la TVA sera possible soit au niveau du groupe lui-même, soit au niveau des membres. L’option ne sera pas dépendante du régime d’intégration fiscale qui pourrait exister ou non par ailleurs.
Par Stéphane Henrion, avocat, of counsel PwC Société d’Avocats, Ronène Zana, avocat PwC Société d’Avocats et Louis Fournier, PwC Société d’Avocats
Lors de la transposition de la directive TVA, la France avait fait le choix de ne pas autoriser la constitution de groupes TVA. Le régime d’exonération des groupements de moyens (1) répondait, au moins partiellement, aux préoccupations des entreprises exonérées de TVA en permettant, moyennant certaines conditions, l’exonération de TVA des flux entre ce groupement de moyens et ses membres.
La Cour de justice de l’Union européenne a jugé (2) que seules les activités exonérées d’intérêt général (secteurs de la santé et de l’éducation notamment) pouvaient bénéficier de l’exonération des groupements de moyens, excluant ainsi, notamment, les activités financières et d’assurance. Pour celles-ci, le régime a toutefois été maintenu temporairement par le biais d’une lettre du ministre de l’Economie. Pour se conformer au droit européen, le groupe TVA apparaissait dès lors comme une organisation alternative nécessaire. Le recours à ce régime sera possible en France en 2023. Afin d’en bénéficier dès sa première année, l’option devra être exercée avant le 31 octobre 2022.
1-Le régime de groupe TVA « à la française »
La loi de finances pour 2021 (3) fixe le cadre du régime de groupe TVA. Le régime sera optionnel (pas d’obligation de constitution ni d’adhésion) et sera ouvert à tous les domaines d’activités, taxables ou exonérés de TVA. Les critères nécessaires pour constituer un groupe prévoient que les entités devront être « étroitement liées entre elles sur les plans financier, économique et de l’organisation ». Ces critères sont détaillés dans un nouvel article 256 C du CGI. Sur le plan financier, les entités devront être détenues, directement ou indirectement, à plus de 50 % en capital ou en droit de vote par la même personne (des exceptions étant prévues, sous la forme de présomptions). Sur le plan économique, elles devront exercer une activité principale de même nature, des activités interdépendantes, complémentaires ou poursuivant un objectif économique commun ou des activités au bénéfice des autres membres. Sur le plan de l’organisation, les entités devront être placées sous une direction commune ou organiser leurs activités en concertation.
L’adhésion à un groupe TVA emportera un changement de traitement des flux rendus entre les membres. Ces flux, qu’ils soient en principe taxables ou exonérés, seront désormais considérés comme ne relevant plus du champ d’application de la TVA. Une fois le périmètre du groupe déterminé, l’option devra être formulée avant le 31 octobre de l’année précédant sa mise en place.
2-Les paramètres à prendre en compte
L’adhésion à ce régime doit être anticipée du fait de la brève échéance et de l’ensemble de ses conséquences.
Tout d’abord, si le choix d’adhérer ou non à un groupe TVA sera libre, une fois qu’une entité entrera au sein du groupe TVA, celle-ci devra s’y maintenir pendant une durée minimum de trois années civiles, sauf si les conditions de son adhésion ne sont plus réunies.
S’agissant de la détermination du périmètre de ce groupe, il faudra également tenir compte de plusieurs paramètres tels que la proportion de chiffre d’affaires taxable de certains membres qui peut avoir pour effet d’améliorer le droit à déduction des autres ou le volume des dépenses grevées de TVA des membres qui deviendront les dépenses du groupe TVA (pour lesquelles la déduction sera déterminée au niveau du groupe TVA ou de ses membres qui en constituent les secteurs d’activité). Dans le cas où les membres du groupe auraient des succursales à l’étranger, il faudra également anticiper l’impact des jurisprudences communautaires4 considérant désormais ces flux entre la succursale et le siège comme dans le champ de la TVA dès lors que l’un ou l’autre appartient à un groupe TVA.
La constitution d’un groupe TVA aura également un impact sur les formalités, qui devront être adaptées.
Côté déclaratif, les membres du groupe TVA devront désigner en leur sein un représentant qui s’engagera à accomplir les formalités au nom et pour le compte de l’assujetti unique qui bénéficiera de son propre numéro de TVA, numéro qui s’additionnera aux numéros de TVA des membres du groupe (qui seront conservés dans la version française du groupe TVA). Or, une fois l’adhésion au groupe TVA faite, « le crédit de TVA ne pourra pas faire l’objet d’un report sur la déclaration de l’assujetti unique » (5). Une vigilance accrue devra être portée à ce sujet afin de ne pas perdre les crédits de TVA préexistants au sein des membres.
La réforme en cours de la facturation électronique aura aussi des liens avec le groupe TVA puisque « la généralisation de la facturation électronique devra tenir compte des réformes en cours, comme la réforme sur le groupe TVA inscrite au projet de loi de finances pour 2021 (6) ».
S’agissant de ses effets, les conséquences de la mise en place du groupe TVA peuvent varier en fonction du domaine d’activité des entités. Certaines activités exonérées d’intérêt général pourront toujours bénéficier de l’exonération des groupements de moyens. Un cumul de ces deux régimes est possible à la seule condition que les membres des deux groupes soient strictement identiques7. Cependant, une réelle étude d’opportunité devra être menée par ceux pouvant bénéficier de ces régimes. En effet, l’adhésion à un groupe TVA peut entraîner la naissance d’une éventuelle redevabilité de certains acteurs à la taxe sur les salaires. Tel est le cas des industriels ayant une activité pleinement taxable mais dont les flux internes pourraient, en cas d’appartenance à un groupe TVA, être qualifiés de hors champ et donc aggraver le rapport d’assujettissement à la taxe sur les salaires (TSS).
De plus, le groupe TVA et le groupement de moyens n’ont pas le même champ d’application ni les mêmes conséquences. En effet, alors que le groupement de moyens offre une dimension transfrontalière, le groupe TVA est restreint aux entités établies en France. Par ailleurs, le régime du groupe TVA n’est ouvert qu’entre entités liées, condition qui n’est pas posée à l’exonération des groupements de moyens. En outre, si les services doivent impérativement être facturés à leur prix de revient dans le cadre d’un groupement de moyens, cette condition n’est pas applicable à la mise en place d’un groupe TVA. Enfin, le groupe TVA pose le principe d’une responsabilité solidaire de tous ses membres quant au paiement de la taxe et des sanctions applicables alors qu’une telle solidarité n’est pas prévue dans le cadre d’un groupement de moyens.
En conclusion, ces deux régimes sont en réalité bien différents et il sera nécessaire, pour les groupes qui auront le choix, de confronter les avantages et inconvénients de chacun des régimes avant de prendre une décision. Les groupes bancaires et financiers, qui n’auront, eux, pas le choix, devront également tenir compte des conséquences de la fin de l’exonération des groupements dans leurs simulations d’impacts.
Plus largement, les réflexions portant sur la mise en place d’un groupe TVA doivent s’intégrer dans une réflexion plus globale de cartographie et de rationalisation des flux dans une optique de réduction des frottements et de rémanences pouvant exister en matière de TVA.
3-Les précisions attendues
Les contours définitifs du régime de groupe TVA restent toutefois à préciser notamment sur trois points en particulier :
– s’agissant du lien financier, il convient de s’interroger sur la conformité des présomptions prévues (notamment pour les groupes mutualistes) avec le texte même de l’article 11 de la directive qui impose l’existence de liens financiers entre les membres ;
– en matière de droit à déduction, le périmètre d’application du coefficient de taxation de groupe reste à préciser notamment au regard du fait que les membres du groupe conserveront leur propre numéro de TVA et constitueront des secteurs distincts d’activités bénéficiant donc également de leur propre prorata de TVA ;
– en matière de taxe sur les salaires (« TSS »), le texte de loi prévoit que le groupe TVA doit être « sans incidence sur les autres impôts, taxes... ». Cependant, dans le cas où les flux internes au groupe seraient situés en dehors du champ de la TVA, un impact certain devra être anticipé en matière de TSS.
Des précisions sont, dès lors, attendues de la part de l’administration fiscale qui devrait publier ses commentaires dans les prochains mois.
En conclusion, rappelons que si les Etats membres n’ont pas toute latitude pour déterminer les contours des conditions d’application du régime de groupe TVA8, le régime du groupe TVA « à la française » est actuellement en cours d’instruction par le comité TVA de la Commission européenne qui a déjà fait part de certaines interrogations structurantes (9).
1. Transposition, à l’article 261 B du CGI, de l’article 132-1-f de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (« directive TVA »).
2. Aff. C-605/15, Aviva et aff. C-326/15, DNB Banka, 21 septembre 2017.
3. L’article 162 de la loi n° 2020-1721 du 29 décembre 2020 de finances pour 2021.
4. Aff. C-7/13 – Skandia America (USA), filial Sverige Skandia, 17 septembre 2014 et aff. C‑812/19, Danske Bank A/S, Danmark, Sverige Filial, Skatteverket, 11 mars 2021.
5. Art. 256 C III 6) du CGI nouvellement créé par l’article 162 de la loi n° 2020-1721 du 29 décembre 2020 de finances pour 2021.
6. « Digitalisation et régime de groupe : la TVA en mouvement », article publié dans Option Finance/Option Droit & Affaires, rédigé par Laurent Poigt et Maud Poncelet, PwC Société d’Avocats, 16 avril 2021.
7. Aff. C-77/19 – Kaplan International Colleges UK, 18 novembre 2020.
8. Aff. C-868/19, M-GmbH Contre Finanzamt für Körperschaften Berlin, 15 avril 2021.
9. VAT Committee Working Paper n° 1002, « Consultation from France on VAT grouping ».