Par Laurent Poigt, avocat associé, PwC Société d’Avocats, Marvin Doose, PwC Société d’Avocats et Alexandre Guillaume, PwC Société d’Avocats
La réforme - Sous l’impulsion de l’émergence au niveau international de modèles de contrôles continus des transactions (modèles CTC : « Continuous Transaction Controls »), le gouvernement français entend généraliser à partir de 2023 le recours à la facturation électronique (ou « e-invoicing ») ainsi que la transmission de données complémentaires (ou « e-reporting »).
A cet effet, l’article 195 de la loi de finances pour 2021 (1) prévoit que le gouvernement est autorisé à prendre par voie d’ordonnance, devant intervenir au plus tard fin septembre 2021, toute mesure visant la mise en œuvre de ces obligations. En parallèle, l’Agence pour l’informatique financière de l’Etat (l’AIFE) devrait publier différentes notes précisant les spécifications fonctionnelles et techniques liées à ces obligations, notamment en ce qui concerne les formats sémantiques et syntaxiques retenus. En outre, un projet de loi de ratification devrait être soumis au Parlement d’ici fin décembre 2021.
1-Focus sur l’obligation de e-invoicing
Champ d’application - L’obligation de e-invoicing ne devrait concerner que les flux B2B domestiques, quel que soit le régime de TVA (exonération de TVA, autoliquidation de la TVA par client, etc.), réalisés par des assujettis établis en France.
Cette obligation ne devrait toutefois pas concerner les échanges réalisés avec Monaco qui par contre, comme indiqué ultérieurement, devraient relever de l’obligation de e-reporting. Cependant, les opérations réalisées avec les DROM devraient relever de cette obligation, bien que ces territoires soient considérés comme étant des « Etats tiers » au regard des règles de TVA en matière de livraison de biens (2).
Calendrier de mise en œuvre - En ce qui concerne le calendrier de mise en œuvre, dès le 1er janvier 2023 l’ensemble des assujettis établis en France auront l’obligation de recevoir des factures sous format structuré et/ou mixte, au travers de cette obligation3.
En revanche, l’obligation d’émission des factures sera déployée progressivement et concernera :
– en 2023 les grandes entreprises (critères Insee : au moins 5 000 salariés ou un CA excédant 1,5 Mde et un total de bilan excédant 2 Mde) ;
– en 2024 les ETI (critères Insee : moins de 5 000 salariés et CA n’excédant pas 1,5 Mde ou un total de bilan n’excédant pas 2 Mde) ; et enfin
– en 2025 les PME et TPE (critères Insee : moins de 250 salariés et CA n’excédant pas 50 Me ou un total de bilan n’excédant pas 43 Me).
Les seuils et le périmètre à retenir pour déterminer la catégorie à laquelle l’assujetti doit être rattaché sont actuellement en cours de réflexion au sein de la DGFiP. Le rapport remis au gouvernement précise toutefois que cette mise en œuvre progressive serait réalisée à l’instar de l’obligation de dématérialisation des factures dans le cadre des relations privé-public (B2G). A cet effet, une circulaire du 22 février 2017 précisait que « toutes les unités légales détenues à plus de 50 % au sein d’un même groupe (filiales) sont considérées comme appartenant à la même catégorie d’entreprises ». Ainsi, si cette même approche devait être retenue, une date unique de mise en œuvre de l’obligation serait appliquée pour l’ensemble des sociétés d’un même groupe détenues à plus de 50 % (4).
Schéma de transmission - Dans le cadre du e-invoicing, la transmission des factures du vendeur à l’acheteur devra suivre un schéma dit en « Y » où les factures devront obligatoirement être transmises et réceptionnées, selon des modalités particulières, via une plateforme privée certifiée ou via la plateforme publique Chorus Pro. (5)
Rôles des plateformes - Au travers de leurs rôles et obligations, les plateformes privées certifiées ou la plateforme publique réaliseront, avant transmission des factures, des contrôles de 1er niveau des données (vérification de l’identité de l’émetteur, complétude des données, syntaxe des données, etc.). En outre, lorsque les factures ne transiteront pas par la plateforme publique, la plateforme privée devra extraire, à l’émission, les données obligatoires de facturation afin de les transmettre, sous un format normé, à Chorus Pro qui transmettra les données de l’ensemble des factures au système informatique de l’administration fiscale.
Formats de la facture - Cette nouvelle obligation devrait également entraîner une évolution de la notion de facture originale, dès lors que cette dernière devra obligatoirement être transmise sous format structuré ou sous format mixte (facture comprenant un fichier structuré ainsi qu’une version lisible associée, 6). Le fichier structuré ou mixte émis devra prendre en considération des contraintes techniques, liées notamment aux formats sémantiques (7) et syntaxiques (8) dont l’élaboration, en cours de réflexion, est basée sur la norme européenne EN16931.
Mentions obligatoires - Enfin, outre les mentions actuellement prévues par le Code général des impôts (CGI) et le Code de commerce, il est prévu l’ajout à l’article 242 nonies A de l’annexe II au CGI de nouvelles mentions obligatoires sur les factures, en particulier : l’option pour les débits, le Siren du client, l’adresse de livraison ou de réalisation de la prestation et la nature de l’opération (bien/service/mixte, 9).
D’autres mentions pourront également être obligatoires, notamment eu égard aux formats sémantiques, sans que ces dernières ne soient explicitement prévues par le CGI et le Code de commerce (par exemple : VAT Category Code, Invoice Type, etc.). Ces nouvelles mentions et contraintes techniques représenteront un véritable enjeu pour les assujettis en ce qui concerne le paramétrage des outils applicatifs et le mapping des données (disponibilité et conformité).
2-Focus sur la double obligation de e-reporting
L’obligation de e-reporting - Comme le souligne le rapport remis au Parlement, l’administration fiscale entend être en mesure d’assurer un pré-remplissage et un contrôle des déclarations de TVA. Ainsi, la mise en œuvre de l’obligation de e-invoicing sera accompagnée de la mise en place d’une obligation de e-reporting.
e-reporting des données des transactions - Le premier e-reporting, dont la mise en œuvre devrait s’effectuer progressivement entre 2023 et 2025, à l’instar de l’obligation d’émission dans le cadre de l’obligation de e-invoicing, devrait concerner la transmission des données des transactions n’entrant pas dans le champ d’application de l’obligation de e-invoicing. Ainsi, devraient donc être transmises : (i) les données de facturation de certaines transactions effectuées à la vente et (ii) certaines données de transactions effectuées à l’achat. Les formats sémantiques de transmission de ces données sont en cours d’élaboration et un atelier dédié devrait être réalisé prochainement par la DGFiP.
En sa qualité de vendeur (i), l’assujetti devrait transmettre les informations relatives :
– aux opérations B2B internationales : les données à transmettre seraient identiques à celles transmises dans le cadre du e-invoicing et la transmission pourrait être opérée soit via la plateforme privée certifiée du vendeur soit directement via la plateforme publique ;
– aux opérations à destination de Monaco : mêmes modalités de transmission envisagées que pour les flux B2B internationaux ; et
– aux opérations B2C domestiques et internationales : si l’assujetti a recours à un logiciel de caisse, le bas du ticket Z devrait obligatoirement être déposé, sous format structuré, sur la plateforme publique. En revanche, si l’assujetti n’a pas recours à un logiciel de caisse, il pourrait au choix soit utiliser le même canal de transmission que pour les factures B2B, si l’assujetti émet une facture, soit transmettre un récapitulatif des opérations au travers d’une saisie sur le portail de Chorus Pro ou via la transmission de fichiers formatés.
Cette obligation de e-reporting devrait également concerner les assujettis non établis en France réalisant des opérations imposables en France au profit de non-assujettis, sauf s’ils sont enregistrés auprès d’un guichet unique européen de TVA10. Par ailleurs, cette obligation pourrait être étendue aux assujettis non établis en France réalisant certaines opérations imposables en France au profit d’autres assujettis (livraisons intracommunautaires depuis la France, opérations domestiques ne donnant pas lieu à autoliquidation de la TVA par l’acheteur, etc.). Ce dernier point devra toutefois être confirmé dans le cadre de l’ordonnance.
En outre, en sa qualité d’acheteur (ii), l’assujetti devrait également transmettre les informations relatives :
– aux acquisitions intracommunautaires de biens et de services ;
– aux acquisitions réalisées auprès d’opérateurs hors UE, à l’exception des importations ; et
– aux opérations en provenance de Monaco.
Les données et les modalités de transmission de ces dernières devront toutefois être précisées.
En ce qui concerne la périodicité, la transmission des données devrait s’effectuer au travers d’un reporting hebdomadaire, dans les quatre jours suivant la fin de la semaine pour les assujettis relevant du régime réel normal en TVA ou d’un reporting mensuel dans les sept jours suivant le dernier jour du mois, pour les assujettis relevant d’un autre régime que le réel normal (micro-entrepreneurs, régime de la franchise de base, régime simplifié).
e-Reporting cycle de vie des factures & données de paiement - Le deuxième e-Reporting viserait quant à lui à transmettre certains statuts liés au cycle de vie de la facture («déposée», «rejetée», etc.) et certaines données liées au paiement de cette dernière (date de paiement, montant du paiement, etc.). Les modalités de mise en œuvre de cette obligation devront toutefois être précisées, dès lors que la DGFiP envisage alternativement de faire porter l’obligation de transmission des données de paiement uniquement à l’acheteur, uniquement au vendeur ou au vendeur et à l’acheteur.
Toutefois, cette obligation devrait avoir pour objectif premier de permettre à l’administration fiscale de pouvoir contrôler l’exigibilité de la TVA sur les prestations de services.
3-Les enjeux de la réforme
Les enjeux de la réforme - Cette réforme profonde, dont la date d’entrée en vigueur approche rapidement, soulève de nouveaux enjeux fiscaux, IT/Data, opérationnels et organisationnels pour l’ensemble des assujettis.
La maîtrise et la visibilité des « données », placées au cœur de la réforme, ont vocation à devenir un enjeu majeur afin de fiabiliser les déclarations fiscales/TVA, grâce à un renforcement de la gouvernance TVA et des contrôles internes associés visant notamment à sécuriser la piste d’audit fiable (11).
Ainsi, si la mise en œuvre de cette réforme soulève toujours de nombreuses questions pour lesquelles des précisions devront être apportées, la réalisation d’un diagnostic 360° doit être menée dès à présent en collaboration avec les tiers de confiance et les éditeurs de solution. Ce diagnostic vise à recenser l’existant, identifier les points de blocage potentiels, notamment au travers des cas métiers spécifiques, et appréhender l’ensemble des enjeux décrits précédemment, pour une mise en œuvre, au cours de l’exercice 2022, d’un Modèle sécurisé et conforme. Une phase intermédiaire de consolidation de l’existant et des axes d’adaptation identifiés devra toutefois être réalisée à l’issue de la publication de l’ordonnance fin septembre 2021.
1. En complément de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020, art. 153 qui a initié la généralisation de la facturation électronique.
2. Informations issues de l’atelier de travail du 27 mai 2021 mené par la DGFiP et l’AIFE dans le cadre de la « Mission facturation électronique ».
3. Actuellement, l’émission et la transmission des factures sous format électronique sont soumises à l’acceptation du destinataire (article 232 de la directive 2006/112/CE et article 289 VI du Code général des impôts). Dès lors, pour les besoins de cette réforme, la France devra, à l’instar de l’Italie, demander une dérogation à l’article 232 de la directive TVA afin d’imposer aux destinataires la réception de factures électroniques.
4. La DGFiP envisageait dans un premier temps d’apprécier ces seuils au niveau du groupe (définition Insee). Toutefois, elle a récemment indiqué qu’une appréciation des seuils au niveau de chacune des « unités légales » était désormais à l’étude. L’approche devra être rapidement confirmée afin de permettre aux opérateurs de se préparer à cette réforme dans les délais requis.
5. L’assujetti devrait être libre de déterminer la ou les plateformes auxquelles il souhaite recourir dans le cadre de cette obligation et un annuaire centralisé devrait permettre de transmettre, au travers d’un identifiant, la facture vers la bonne plateforme à la réception.
6. La France devra également demander une dérogation à l’article 218 de la directive TVA qui prévoit que les Etats membres acceptent, sous certaines conditions, comme factures tous les documents ou messages sous format papier ou électronique.
7. Format définissant une structure composée de données et de règles métiers et réglementaires sur la présence de certaines données.
8. Ensemble de normes plus ou moins répandues spécifiant le langage, la syntaxe ou l’organisation des données : XML CII, XML UBL, Edifact, VDA, Odette, etc.
9. Une dérogation au contenu des factures prévu à l’article 226 de la directive TVA devra également être demandée par la France.
10. Dernières hypothèses de travail transmises lors de l’atelier de réflexion mené par la DGFiP et l’AIFE en date du 27 mai 2021.
11. Le rapport remis au Parlement (ECOE2029984X) précise à cet effet que l’obligation de piste d’audit fiable est maintenue.