Par José-Manuel Moreno, avocat associé, PwC Société d’Avocats, Zuzana Jandova, avocate, PwC Société d’Avocats et Romain Froment-Canivet, PwC Société d’Avocats
La loi de finances pour 2021 transpose à l’article 257 ter nouveau du CGI la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne s’agissant des règles relatives au principal et à l’accessoire en matière d’opérations complexes (loi n° 2020-1721 du 29 décembre 2020, art. 44).
Ce régime modifie les règles applicables en matière de TVA aux transactions comprenant plusieurs éléments obéissant chacun à une qualification ou à un régime TVA différent mais faisant l’objet d’une « offre globale ».
En effet, jusqu’au 1er janvier 2021, chaque élément d’une opération complexe devait être soumis à son régime TVA propre, ce qui conduisait, en principe, les assujettis à devoir ventiler les parties du prix correspondant à chaque élément de l’opération pour leur appliquer les règles TVA correspondantes (CGI, art. 268 bis). Une telle position n’était pas en ligne avec la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne qui retient une approche plus globale de ces transactions (1).
En outre, la doctrine administrative avait une approche sectorielle des opérations complexes, source de nombreux contentieux (2).
Du fait de la transposition de la règle « du principal et de l’accessoire » d’une manière généralisée le traitement TVA français des opérations complexes est largement modifié dans certains secteurs, nécessitant la revue du traitement TVA appliqué par les contribuables (3).
1-Les principes dégagés par la jurisprudence de la CJUE
Conformément à l’article 1 de la directive TVA (dir. 2006/112/CE du 26 novembre 2006), chaque livraison de bien et/ou prestation de service doit en principe être considérée comme distincte et indépendante, et être soumise à son régime propre (CJCE, 22 octobre 1998, C-308/96 et C-94/97, T.P. Madgett, R.M. Baldwin et The Howden Court Hotel).
Toutefois, la Cour de justice a précisé qu’une « prestation constituée d’un seul service au plan économique ne doit pas être artificiellement décomposée pour ne pas altérer la fonctionnalité du système de la TVA » (CJCE, 25 février 1999, C-349/96, Card Protection Plan – CPP). Dans ce cas, cette prestation économique unique et indivisible est considérée comme une « opération complexe unique ».
Ainsi, la qualification d’opération complexe peut résulter des éléments suivants :
– deux ou plusieurs éléments fournis sont si étroitement liés (i) qu’ils forment objectivement une seule prestation économique indissociable dont la décomposition serait artificielle ou (ii) ont une importance équivalente et sont tous indispensables pour la réalisation de l’opération ;
– un ou plusieurs éléments constituent la prestation principale et les autres sont accessoires. En particulier, est accessoire l’élément qui ne constitue pas pour la clientèle une fin en soi, mais le moyen de bénéficier dans les meilleures conditions de la prestation principale.
Dans ce deuxième cas, il convient de déterminer les modalités de qualification de l’élément principal.
A cet égard, peuvent être notamment retenus : (i) le procédé de facturation de la prestation (facturation globale ou facturation de chaque prestation séparément), bien que cet élément ne soit pas, à lui seul, décisif (CJCE, 2 décembre 2010, C-276/09, Everything Everywhere) mais également (ii) l’objectif du client, c’est-à-dire l’élément qu’un consommateur moyen objectif escompterait recevoir en priorité dans la prestation.
La qualification de prestation accessoire à une prestation principale emporte comme conséquence que le traitement TVA de l’élément accessoire doit suivre le traitement TVA de l’élément principal.
Ainsi, la prestation accessoire est soumise au même taux de TVA (notamment CJCE, 18 janvier 2018, C-436/16, Stadion Amsterdam), dans le même Etat membre (notamment en matière de territorialité CJCE, 2 mai 1996, C-231/94, Faaborg Linien) et peut être exonérée dans les mêmes conditions que la prestation principale de l’opération complexe (not. CJCE, 21 juin 2007, C-453/05, Ludwig).
A l’inverse, en l’absence de prestation principale (c’est-à-dire si aucune prestation n’est accessoire, de sorte que toutes les prestations sont équivalentes), chacune demeure soumise à son régime TVA propre.
2-Les approches sectorielles de l’administration fiscale française
Les principes dégagés par la CJUE ont été repris en droit interne par les juridictions nationales (notamment CE, 24 juin 2015, n° 365849, Center Parcs France ; CAA Lyon, 13 décembre 2016, n°15LY01413 ; CE, 15 février 2019, n° 410796, Land River).
A cet égard, le Conseil d’Etat a notamment précisé que ne pouvait être considérée comme accessoire une prestation optionnelle à une autre prestation. En effet, la prestation optionnelle n’étant, de fait, pas incluse dans la prestation initiale, le choix du client d’acquérir cette prestation optionnelle lui confère nécessairement, du point de vue d’un consommateur moyen, une importance au moins équivalente à la prestation initiale (CE, 24 avril 2019, n° 411007-411013 et 418912, Société SAS Xerox & Société Corsica Ferries France). Cette position a été reprise par l’administration fiscale dans sa doctrine relative au secteur de l’assurance (BOI-TVA-CHAMP-30-10-60-10 § 260 et CAA, 13 décembre 2016, n° 15LY01413, Favre Sports).
Les règles du principal et de l’accessoire sont également appliquées par l’administration fiscale tant pour les offres télévisuelles que pour les services de presse en ligne dès lors que ceux-ci incluent d’autres services (not. communications électroniques ou livres numériques – BOI-TVA-LIQ-30-20-100 § 80 et suiv. et BOI-TVA-SECT-40-40 §40 et suiv.).
En revanche, des règles différentes sont appliquées dans le secteur de la presse papier. En effet, la doctrine administrative prévoit notamment que lorsqu’une offre de presse papier inclut des cadeaux et échantillons « fournis gratuitement », ces produits supplémentaires, « susceptibles d’être commercialisés en tant que tels, doivent être regardés comme une composante intrinsèque de l’offre », et donc potentiellement soumis à TVA au taux qui leur est propre (BOI-TVA-SECT-40-10-10 § 230).
Au cas particulier, la doctrine considère comme « composante intrinsèque de l’offre » (i.e. comme des échantillons non soumis à TVA, de sorte que l’ensemble est soumis au taux de 2,1 %), les échantillons fournis selon des critères (i) de fréquence de publication et (ii) de proportion du prix de revient des échantillons et cadeaux par rapport au prix de vente HT de la publication.
De la même façon, l’administration fiscale retient le critère de la ventilation dans les secteurs de l’édition (BOI-TVA-SECT-40-10-10 § 220, citant CE, 5 juin 2002, n° 232392, Société Havas Interactive s’agissant d’un livre et d’un CD vendus ensemble, référencés dans la doctrine relative à la presse) ou dans le secteur alimentaire (RM Boisserie, 4 mars 2014, n° 40813, s’agissant de coffrets alimentaires type paniers garnis), mais également dans le secteur de la restauration (BOI-TVA-LIQ-30-20-10-20 § 80, s’agissant de menus – essentiellement soumis au taux de 10 % en tant que produits alimentaires à consommer sur place – comprenant des boissons alcooliques, soumises au taux de 20 %).
De même, est écarté le principe de l’accessoire lorsqu’une prestation de services financiers, soumise à TVA sur option, est accessoire à une prestation de services financiers exonérée. L’option à la TVA implique, selon l’administration, que la TVA soit appliquée sur la prestation accessoire, bien que la prestation principale soit exonérée (BOI-TVA-SECT-50-10-30-10 § 150).
3-La transposition de la règle « l’accessoire suit le principal » : conséquences et opportunités
Ces dispositions sectorielles devraient être modifiées ou rapportées à la suite de la transposition de la jurisprudence de la Cour de justice à l’article 257 ter du CGI, lequel reprend globalement les principes dégagés par la Cour.
En effet, rappelant d’abord le principe d’une application à chaque prestation de son régime TVA, l’article précise que la qualification d’une prestation dépend de « l’importance qualitative et quantitative des différents éléments en cause ainsi que de l’ensemble des circonstances dans lesquelles l’opération se déroule » (CGI, art. 257 ter, I). Par la suite, relèveront d’une même opération (unique) « les éléments qui sont si étroitement liés qu’ils forment, objectivement, une seule prestation économique indissociable dont la décomposition revêtirait un caractère artificiel » (CGI, art. 257 ter, II).
Notons que si l’article 257 ter, II al. 2 indique que les éléments accessoires suivent le même régime que l’opération principale, il ne définit pas la notion d’élément accessoire. Cette définition, initialement absente du projet de loi de finances, avait fait l’objet d’un amendement pour l’inclure lors de l’examen à l’Assemblée nationale (n° I-1780), rejeté en première lecture, puis inséré dans le projet lors de l’examen au Sénat (n° I-1192). Cette définition a finalement été retirée de l’article définitif par le gouvernement, considérant qu’il priverait l’administration fiscale d’une marge de manœuvre permettant d’adapter la définition de l’élément accessoire aux réalités nationales. Ainsi, il incombe désormais à l’administration de commenter cette disposition et d’apporter les éléments de définition de l’élément accessoire.
Enfin, par exception, la règle de l’accessoire et du principal ne s’appliquera pas dans deux cas :
– le taux de 2,1 % de TVA (presse, médicaments remboursés) qui serait appliqué à un élément principal ne pourra pas être étendu aux éléments accessoires, ceux-ci devant demeurer soumis à leurs règles propres. Cela se justifie en ce que le taux de 2,1 % de TVA résulte d’une clause de gel (i.e. un texte en vigueur en France avant l’adoption de la directive TVA de 2006 et dont l’article 110 autorise le maintien), dont le bénéfice ne peut être étendu à des produits non couverts par cette clause ;
– relèvent nécessairement d’une prestation unique les éléments fournis pour la réalisation d’un voyage par une agence de voyages ou un organisateur de circuits touristiques agissant en tant qu’intermédiaire opaque (CGI, art. 257 ter, III). Cette exclusion se justifie au regard des modalités d’intervention des agents de voyage, lesquels fournissent de multiples prestations, notamment en matière de transport et d’hébergement, d’autant que les agents de voyages sont soumis à des règles particulières de territorialité, d’assiette et de droit à déduction de la TVA (notamment CGI, art. 259 A,8° et 266, 1°, e).
Il en résulte que le champ d’application de cette disposition revêt un caractère large et modifie substantiellement les règles retenues jusqu’à alors par la doctrine administrative.
Pour les opérateurs concernés dans le domaine des services ou des produits mentionnés ci-dessus, une revue au cas par cas doit être réalisée afin de s’assurer de la conformité du régime TVA appliqué. Peuvent notamment être identifiées des situations d’opportunités dans lesquelles les produits faisaient l’objet auparavant d’une ventilation par taux, là où désormais le taux de l’opération principale devrait être appliqué à l’ensemble des éléments, principal et accessoire.