La succursale n’a pas de personnalité morale mais elle constitue une entité fiscale à part entière. La détermination du résultat de cette dernière dans un contexte international n’est pas toujours aisée, notamment quand il s’agit de tirer les conséquences de ses relations avec son siège ou avec d’autres établissements de la même société.
Par Renaud Jouffroy, avocat, associé, spécialisé en fiscalité internationale
C’est sans doute en matière financière que la partie est la plus ardue. Les conventions fiscales établies sur le modèle OCDE prévoient que, lorsqu’une entreprise d’un Etat exerce son activité dans l’autre Etat contractant par l’intermédiaire d’un établissement stable qui y est situé, il est imputé à cet établissement les bénéfices qu’il aurait pu réaliser s’il avait constitué une entreprise distincte et séparée exerçant des activités identiques ou analogues dans des conditions identiques et analogues et traitant en toute indépendance avec l’entreprise dont il constitue un établissement stable.
Dans son rapport du 22 juillet 2010 sur l’attribution de profit aux établissements stables, l’OCDE considère que la succursale doit se voir attribuer des fonds propres suffisants pour couvrir les fonctions qu’elle exerce, les actifs dont elle a la propriété économique et les risques qu’elle assume.
Les succursales françaises de sociétés étrangères
Les succursales françaises de sociétés étrangères sont, de manière générale, soumises aux mêmes règles d’imposition que les filiales. Cependant, les opérations internes auxquelles elles sont parties prenantes suscitent des difficultés.
La déduction des intérêts des financements accordés par le siège, à la différence des fonds prêtés par un tiers pour les besoins de l’établissement, n’est pas admise sauf pour les établissements de crédit. Pour autant, l’administration fiscale peut être amenée en sens inverse à considérer qu’une succursale doit recevoir des intérêts au taux de marché pour les fonds avancés à son siège, cette position ayant été confirmée par une décision juridictionnelle récente (CAA Douai 4/6/2013 Sodirep Textiles). Le juge a en effet considéré, dans un contexte franco-belge, que la doctrine administrative ne s’opposait pas à un tel redressement.
C est sans doute aujourd’hui dans le domaine bancaire que prévaut la plus grande liberté de financement des succursales. Les établissements de crédit ne sont pas soumis aux règles françaises de sous-capitalisation et le Conseil d’Etat a considéré que ni les règles du code général des impôts relatives à la territorialité, ni les dispositions des conventions fiscales applicables ne permettaient de contester au contribuable le choix de retenir un certain niveau d’endettement pour sa succursale française (CE 11/4/2014 Banca di Roma).
Cette liberté ne vaut cependant que pour les sociétés établies dans l’Union européenne. L’article 16 de la Directive 2006/48/CE du 14 juin 2006 dispose qu’aucun capital de dotation ne peut être exigé par les Etats membres d’accueil, le calcul des ratios s’effectuant au niveau du siège. L’administration fiscale ne peut donc pas substituer au montant de capitalisation choisi par le contribuable celui auquel l’établissement aurait dû être doté, eu égard à ses activités et à son exposition aux risques, s’il avait joui de la personnalité morale.
Le Conseil d’Etat, suivant en cela son approche traditionnelle, s’en est donc tenu à une analyse juridique et n’a pas tenu compte de l’analyse plus économique des commentaires de l’OCDE sur l’attribution du profit aux établissements stables puisque ceux-ci étaient postérieurs à la signature des conventions fiscales applicables.
Les succursales étrangères de sociétés françaises
Les succursales étrangères sont, au moins au sein de l’Europe, généralement imposées comme des filiales dans leur pays d’implantation (application des règles de sous-capitalisation et de pleine concurrence, etc.).
Dans le domaine bancaire et au sein de l’UE sur un plan juridique et réglementaire, la directive précitée de 2006 est bien sûr applicable. Cependant, il convient d’observer que, fiscalement, de nombreux Etats considèrent que les commentaires de l’OCDE peuvent s’appliquer dès leur adoption quand bien même elle serait postérieure à la signature des conventions fiscales applicables. Les administrations fiscales étrangères pourraient donc opposer aux succursales étrangères de sociétés françaises une insuffisance de fonds propres et un endettement excessif.
A l’inverse, l’administration fiscale française semble ne pas pouvoir reprocher, comme elle le fait actuellement, à une banque française de «surcapitaliser» sa succursale étrangère pour les mêmes raisons que celles qui ont prévalu dans la situation symétrique décrite plus haut de sous-capitalisation de succursales françaises. C’est ce qu’a décidé la cour d’appel de Versailles dans trois décisions du 4/4/2013 (Banque AIG, dans un contexte franco-japonais).
Cette asymétrie d’approche de la portée des commentaires de l’OCDE pourrait bien donner du fil à retordre à l’administration fiscale française dans ses négociations avec les autorités compétentes des autres Etats.