Dans le contexte des travaux de l’OCDE sur le BEPS (Base Erosion Profit Shifting), la question des réorganisations est particulièrement sensible en France.
Par Pierre Escaut, avocat, associé, spécialisé en prix de transfert
Les contrôles fiscaux se durcissent sur cette question, d’autant que l’administration fiscale dispose aujourd’hui de moyens renforcés pour être informée de l’existence des réorganisations : de manière générale, les changements intervenus au cours de l’exercice doivent être mentionnés dans les documentations de prix de transfert, notamment dans la nouvelle documentation simplifiée à remettre dans les six mois du dépôt de la liasse fiscale (pour les entreprises dans le champ des articles L13AA du LPF et 223 quinquies B du CGI).
Peuvent être remises en cause des réorganisations prenant la forme d’un changement de statut juridique ou de profil fonctionnel, plus particulièrement lorsque la société française considérée perd de sa substance et voit ses résultats baisser après la réorganisation.
Se pose alors la question de l’éventuelle indemnité à laquelle elle pourrait prétendre. Pour répondre à cette question, il n’existe pas de démarche imposée par la législation française. Dès lors que les projets de transformation se traduisent en principe par une modification des dispositions contractuelles, on commencera généralement par une analyse juridique en examinant le contrat applicable, ainsi que les dispositions du code de commerce et la jurisprudence commerciale.
En ce qui concerne la réglementation fiscale, le projet de texte concernant les transferts de fonctions ou de risque de la loi de finances pour 2014 avait été censuré par le Conseil constitutionnel. Il posait le principe d’une indemnisation en cas de baisse de plus de 20 % du résultat d’exploitation. Il retenait ainsi une approche économique plutôt que juridique.
Le fait que ce texte n’ait pas été voté ne signifie pas pour autant qu’il est possible de s’affranchir d’une approche économique. En pratique, on constate que l’administration continue, dans le cadre de ses contrôles, à apprécier l’impact des réorganisations sur les résultats. Dans ce contexte, il est nécessaire, en pratique, de combiner les approches juridiques et économiques. C’est d’ailleurs ce que recommande l’OCDE dans ses principes directeurs en matière de prix de transfert.
Sans entrer dans le détail de ces principes, nous relèverons que l’OCDE a prévu une grille d’analyse qui nous semble particulièrement intéressante. C’est celle qui consiste à appliquer le critère des options réalistes à la disposition des parties, que l’administration utilise elle-même dans les contrôles fiscaux récents.
L’idée est de se demander si la société considérée avait ou non le choix d’accepter la réorganisation. La réponse à cette question dépend des autres options qui s’offrent à elle. Si ces autres options ne sont pas réalistes, elle peut plus difficilement prétendre à une indemnisation, sous réserve que celle-ci ne soit pas juridiquement due.
Comment appliquer ce critère en pratique ? Nous prendrons l’exemple d’une situation où il est mis fin à un contrat de licence de marque. La société française, qui était un acheteur-revendeur agissant de manière autonome, va être convertie en commissionnaire, et verra ses profits baisser. On suppose que, dans ce cas, le délai de préavis pour mettre fin au contrat de licence a été respecté, et que le contrat de licence ne prévoit pas une indemnisation en fin de contrat. On suppose aussi que la société française n’a pas réalisé d’investissements particuliers avant la conversion, et qu’elle ne détenait pas de clientèle propre, celle-ci étant attachée aux marques étrangères du groupe.
Il convient alors de se demander si, plutôt que d’accepter la conversion en commissionnaire, la société française pourrait essayer de poursuivre son activité en quittant le groupe. Cela nécessiterait qu’elle lance ses propres marques, et qu’elle fasse par ailleurs appel à des fournisseurs tiers pour s’approvisionner en produits. Si ces scénarios ne sont pas viables, l’absence d’indemnisation pourrait être défendable.
On voit ainsi que chaque cas est particulier, et que seule une analyse spécifique, d’un point de vue tant juridique qu’économique (contrats existants, impact de la réorganisation sur les résultats, existence ou non d’autres options réalistes qui seraient éventuellement plus favorables), doit permettre de trancher la question de l’indemnisation.
Il conviendra d’étayer de manière précise la position retenue dans la documentation des prix de transfert.