Après un début d’année plus que bousculé, le marché du crédit européen reprend quelques couleurs. Le timide retour d’intérêt des investisseurs est-il justifié ? Vaut-il pour l’ensemble des segments de cette classe d’actifs ? Antoine Lesné, responsable stratégies et recherche SPDR ETF pour la région EMEA, State Street Global Advisors, examine les évolutions du crédit européen face à son principal concurrent, le crédit américain.
Comment expliquer la performance décevante du crédit européen, notamment par rapport au crédit US ?

Au premier semestre, le crédit a connu une situation relativement inédite. Le discours de Christine Lagarde alertant, en février, sur un relèvement rapide et brutal des taux s’est conjugué avec l’arrêt des programmes de rachats d’actifs des banques centrales, le tout dans un contexte de taux très bas. Cela a fortement impacté la performance de cette classe d’actifs : entre le début de l’année et la fin du mois d’août, l’indice Bloomberg Euro Corporate a ainsi perdu 12 %. Les obligations n’ont donc pas joué leur traditionnel rôle d’amortisseur en période de volatilité des actifs risqués. On a observé une décollecte, y compris sur les ETF, pourtant en croissance depuis 20 ans. Le crédit européen a été plus affecté que celui américain et cela se traduit au niveau des spreads. Un niveau de 210 points de base de spread de crédit, comme on l’observe sur l’investment grade, signifie que le marché estime à 90 % la probabilité de voir une récession en Europe. Depuis le début de l’année, le risque perçu est donc plus élevé sur l’Europe que sur les Etats-Unis, comme le démontre la valeur du crédit en relatif.
Pourquoi observe-t-on alors un retour progressif des investisseurs sur le crédit européen ?
Il est vrai que ces derniers reviennent depuis le début de l’été : la collecte sur les ETF obligataires européens n’a été que de 15,5 milliards d’euros depuis le début de l’année, dont 3,7 % seulement se sont portés sur le crédit corporate. Toutefois, sur les six derniers mois, ce chiffre passe à 23 %, atteignant même 46 % en août. L’accélération de l’investissement sur le corporate européen est bien là. Une fois encore, l’élément déclencheur se trouve du côté des banques centrales. Après la hausse surprise de 75 points de base de la Fed, le marché estimait que l’autorité centrale ne devrait plus prendre de décision aussi radicale dans un avenir proche. De plus, la croissance négative enregistrée au premier semestre par les Etats-Unis laisse à penser que la Fed devrait tempérer son resserrement de taux. Certes, le marché anticipe toujours une remontée agressive jusqu’en 2023, mais il estime probable une baisse des taux dès la mi-2023. De plus, lorsque l’inflation ralentit, les courbes de taux s’aplatissent puis s’inversent. Cette tendance est déjà perceptible sur les taux courts et s’amorce sur le 10/30 ans. Autant de signaux que regardent les investisseurs.
Quels segments du crédit faut-il privilégier ?
Dans un environnement économique qui demeure incertain – la bataille contre l’inflation est loin d’être terminée – nous estimons qu’il vaut mieux privilégier le crédit investment grade que high yield. En Europe, celui-ci retrouve des niveaux de rendement intéressants, autour de 3,4 %. Des points d’entrée devraient commencer à apparaître sur le marché. De plus, les émissions reprennent, après un été relativement calme, et les émetteurs devraient présenter une prime à l’émission, qui peut être attractive. Il faut également observer les effets que l’absence de la BCE va avoir sur le marché, notamment en termes de spreads et de liquidité.
Quelle place les investisseurs accordent-ils désormais au crédit ESG ?
Les aléas du marché ont confirmé la tendance de long terme que constitue l’ESG. La collecte a certes ralenti en 2022, mais ce segment n’a pas subi de retrait massif de capitaux. Désormais, l’ESG profite du retour des investisseurs. A l’heure de revenir sur le marché, ils sélectionnent principalement des supports ESG : nous assistons à un réel verdissement des portefeuilles. En 2021, plus de 50 % des flux sur le segment européen du crédit corporate se sont dirigés sur des supports ESG, une tendance qui se confirme donc cette année, y compris dans un environnement de marché plus difficile.