La directive européenne MiFID 2 a significativement réduit les revenus issus de la recherche financière. Les producteurs d’analyses, le plus souvent des courtiers, ont dû faire évoluer leur modèle économique, ce qui a changé la manière de travailler de leurs équipes. La dimension commerciale du métier d’analyste a notamment été renforcée.
Le 18 mai dernier, la Commission européenne bouclait une consultation publique sur la mise en application de la directive MiFID 2 (Markets in Financial Instruments Directive 2). Objectif : tirer des enseignements de l’expérience des professionnels dans l’optique de réviser cette réglementation qui a, entre autres, complètement bouleversé l’écosystème de l’analyse financière. Depuis le 3 janvier 2018, les courtiers (brokers) sont en effet tenus de facturer séparément leurs activités de recherche et de courtage à leurs clients, composés majoritairement de sociétés de gestion. Cette distinction visait à améliorer la transparence des frais supportés par ces derniers. Mais l’apparition de charges spécifiques à la recherche sur leur compte de résultat a conduit les sociétés de gestion à rationaliser ce type de dépenses. Avec, par ricochet, de lourdes conséquences sur les brokers. «Leurs clients ont globalement réduit leur nombre de fournisseurs d’analyses externes pour à la fois simplifier la gestion de ce pôle et limiter son coût», explique Pedro Fernandes, cofondateur et directeur général de la plateforme d’analyse financière ResearchPool. Les professionnels estiment ainsi que les sociétés de gestion font en moyenne aujourd’hui appel à deux à trois fois moins de bureaux d’études qu’avant MiFID 2 !
Une guerre des prix
Cette tendance a provoqué une chute des revenus de la recherche pour les brokers. «Elle est estimée à environ 30 % en 2018», précise Bruno Beauvois, délégué général de la Société française des analystes financiers (SFAF). Ces recettes auraient encore baissé de 20 % à 30 % en moyenne en 2019, d’après une étude récente de l’AMF. Cette contraction n’est pas seulement due à la réduction des volumes d’achat. Dans un contexte de marché pesant sur les budgets des gérants (raréfaction des introductions en Bourse, des levées de fonds, etc.), les brokers ont subi une véritable guerre tarifaire. «De grands acteurs anglo-saxons ont tiré les prix vers le bas avec des forfaits annuels d’à peine 10 000 euros donnant accès à leur recherche mondiale sur Internet, confirme Pedro Fernandes. Ils ont pu se permettre cette stratégie agressive grâce aux importants revenus d’autres activités, notamment aux Etats-Unis.» Parmi ces acteurs étrangers, on retrouve notamment JP Morgan. Les brokers français n’ont pas eu d’autre choix que de revoir à la baisse leurs ambitions. «Nous facturons aujourd’hui la recherche 30 % à 40 % moins cher qu’initialement prévu», regrette l’un d’entre eux. De quoi entraîner une consolidation dans le secteur, comme l’illustrent le rapprochement entre Oddo BHF et Natixis en 2018 ou la fusion de Portzamparc avec sa maison mère B*Capital (groupe BNP Paribas) fin 2019.
Pour limiter les dégâts, les fournisseurs d’analyses externes (sell-side) ont dû transformer leur modèle économique et faire évoluer leur manière de travailler. Avant tout, ils ont créé différents forfaits de recherche pour leurs clients. Selon des sources de marché, les plus rudimentaires offrent un accès aux analyses écrites et sont le plus souvent facturés entre 10 000 et 30 000 euros par an. Viennent ensuite des forfaits plus premium. «Notre offre “intermédiaire” inclut des services personnalisés (listes de valeurs sur mesure, propositions d’allocation d’actifs, etc.) et un accès à nos analystes, par messagerie instantanée, mail, téléphone ou en personne, dont la fréquence dépend du forfait», illustre Maxime Mathon, directeur marketing et communication du bureau d’études indépendant AlphaValue. Enfin, certains clients optent pour les formules plus haut de gamme. «Celles-ci incluent notamment des rencontres avec des dirigeants d’entreprises et des experts sectoriels, l’accès à des roadshows ou à d’autres événements professionnels qui permettent aux gérants de faire les meilleurs choix d’investissement», précise Vincent Le Sann, directeur général adjoint chez Portzamparc.
Des contrats sponsorisés
La gestion de la relation clients a également évolué. «Nos équipes s’efforcent par exemple de répondre rapidement aux demandes des gérants afin de nous différencier de certains bureaux londoniens qui mettent parfois des semaines à leur envoyer une simple grille d’allocation», fait valoir Matthias Desmarais, responsable adjoint de l’activité actions chez Oddo BHF. Certains brokers conditionnent même le versement d’une partie de la rémunération variable des analystes à la qualité de cette relation. «Nous pouvons notamment tenir compte du nombre de fois où ils ont rencontré des investisseurs ou dirigeants d’entreprises au cours de l’année», illustre Eric Le Berrigaud, managing partner chez Bryan, Garnier & Co.
De nombreux analystes sell-side ont aussi été mis à contribution pour développer de la recherche sponsorisée, c’est-à-dire payée par les entreprises, sur le modèle des grandes agences de notation de crédit. L’essor de cette pratique visait, d’une part, à limiter la raréfaction du suivi des petites et moyennes valeurs (small et mid-caps), moins rentable que celui des grands groupes. Selon l’AMF, le nombre de notes d’analyse sur les small et mid-caps a baissé de 11 % entre 2018 et 2019, à 1 730. «Sans le développement de l’analyse sponsorisée, le recul aurait atteint 22 %», souligne Bruno Beauvois. De fait, le nombre de contrats sponsorisés est passé de 289 à 368 entre fin 2017 et mi-2019. De quoi assurer de nouveaux revenus aux brokers. «Le prix de marché de ce type de contrat varie de 15 000 à 50 000 euros par an», confie Eric Le Berrigaud. Si l’analyse sponsorisée existait déjà – notamment dans le cadre des contrats de liquidité – chez plusieurs brokers, des acteurs comme Exane BNP Paribas ou Bryan, Garnier & Co s’y sont mis ces dernières années. D’autres structures comme AlphaValue s’y refusent pour éviter tout soupçon de conflit d’intérêts.
Des analystes davantage sollicités
Tous ces changements ont affecté les conditions de travail des analystes. Déjà, ils sont globalement moins nombreux : l’AMF et la SFAF ont constaté une baisse de 12 % de leurs effectifs entre fin 2017 et mi-2019, à 232 professionnels. Malgré cette tendance générale, plusieurs brokers assurent avoir maintenu leurs effectifs dédiés à la recherche. D’autres ont même renforcé leurs équipes. «Nous sommes, ces dernières années, passés de six à dix analystes afin de porter d’ici fin 2020 notre couverture à 140 valeurs, contre 80 il y a quatre ans», souligne Vincent Le Sann. Le plus souvent, les nouvelles recrues ont un profil plutôt junior. «Les vingtenaires et trentenaires ont l’avantage de coûter moins cher que les profils seniors qu’ils peuvent remplacer», constate Bruno Beauvois. D’après une étude de Michael Page publiée en début d’année, la rémunération annuelle brute d’un analyste ayant moins de deux ans d’expérience est en effet comprise entre 38 000 et 50 000 euros. Cette fourchette passe entre 50 000 et 70 000 euros pour les profils exerçant depuis deux à cinq ans, alors qu’elle atteint 70 000 à 90 000 euros chez les professionnels comptant cinq à quinze ans d’ancienneté. Ces chiffres sont stables depuis deux ans.
Autre tendance, les professionnels de l’analyse sont de plus en plus sollicités par leurs dirigeants pour différentes tâches. D’abord, leur périmètre de couverture s’est étendu. Selon l’AMF, le nombre de valeurs qu’ils suivent a en moyenne progressé de 11 % entre fin 2017 et mi-2019. La SFAF l’estimait aux alentours de dix l’an dernier. Cette hausse est liée à la fois à l’essor de la recherche sponsorisée et à la volonté de certains brokers de se développer sur des segments de niche. «Nous avons notamment recruté des profils à la fois scientifiques et financiers pour produire des recherches plus poussées dans les domaines des biotechnologies ou de l’énergie», explique Vincent Le Sann.
Une nouvelle clientèle
Certaines sociétés ont aussi renforcé la dimension commerciale de leurs analystes. «Ils participent davantage à la prospection de nouveaux clients, par exemple en réfléchissant avec les équipes de notre banque d’affaires à l’élaboration d’offres commerciales incluant de la recherche», illustre Eric Le Berrigaud. Les analystes produisent aussi plus d’études répondant à des demandes spécifiques de clients. «Depuis le début de l’année, ces derniers nous ont notamment réclamé plus de listes thématiques, indique Matthias Desmarais. Nous avons ainsi réalisé des sélections d’actions classées en fonction de leur exposition à la conjoncture chinoise ou un palmarès de nos valeurs favorites par secteurs pour jouer la thématique du déconfinement.»
L’ensemble des transformations opérées depuis plus de deux ans permet aujourd’hui à la profession d’envisager l’avenir un peu plus sereinement. D’une part, la guerre des prix de la recherche semble se stabiliser. «Nous avons encore observé quelques pressions tarifaires à la baisse en début d’année mais elles étaient sans commune mesure avec celles de 2018 et 2019», confie Eric Le Berrigaud. Les brokers espèrent en outre que la future révision de MiFID 2 permettra de réduire les pratiques déloyales (voir encadré). D’autre part, la création d’un véritable marché de la recherche, caractérisé par l’apparition de produits et de services bien identifiés et spécifiquement tarifés, leur ouvre de nouvelles opportunités. «Le nombre d’acheteurs potentiels d’analyses est passé d’environ 15 000 à entre 22 000 et 25 000 au niveau européen en deux ans, évalue Maxime Mathon. Cette hausse est due à l’inclusion dans cette clientèle potentielle de structures qui recevaient de la recherche gratuitement avant MiFID 2, comme les fonds de pension, les family offices, les fonds de capital-investissement (private equity) ou les conseillers en gestion de patrimoine (CGP).»
Des perspectives dans l’ESG
Enfin, la demande croissante des gérants et des investisseurs pour la prise en compte des enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) dans l’allocation d’actifs offre de nouveaux horizons aux analystes sell-side. «Quatre de nos salariés ont actuellement pour mission d’intégrer des critères ESG à notre analyse fondamentale, indique Matthias Desmarais. Cela nous permet notamment d’identifier pour nos clients la présence d’une prime ou d’une décote ESG dans la valorisation d’une action.» Une démarche qui n’a pas fini de monter en puissance dans la profession : AlphaValue a par exemple recruté un analyste ESG l’an dernier à ce titre, tandis qu’un broker prévoit de lancer une offre spécifique dans ce domaine d’ici fin 2020.
L’analyse «à la carte» ne décolle pas
- Depuis l’entrée en vigueur de MiFID 2, plusieurs fintechs, comme le Britannique Alphametrics ou le Français ResearchPool, ont développé des places de marché dédiées à la recherche. Ces sites Internet permettent à des producteurs (Exane BNP Paribas, HSBC, CM-CIC, etc.) de vendre à l’unité leurs notes d’analyse. Inspiré d’acteurs anglo-saxons (Market Research, Refinitiv), ce mode de diffusion n’a toutefois pas rencontré le succès escompté en Europe. «Les ventes n’ont pas vraiment décollé car les acheteurs de recherche ont privilégié les forfaits des brokers», reconnaît Pedro Fernandes, directeur général de ResearchPool.
- En cause, une rentabilité perçue comme insuffisante. «Il peut être intéressant pour un gérant de dépenser quelques milliers d’euros pour acheter une analyse sectorielle de 200 pages, explique Maxime Mathon, responsable marketing et communication du bureau de recherche AlphaValue. Mais ce n’est pas le cas pour des notes courtes et périssables focalisées sur une société.»
Une révision de MiFID 2 porteuse d’espoirs
La Commission européenne vient de clôturer une consultation publique visant à tirer des enseignements de la mise en application de MiFID 2, dans la perspective d’une révision de cette directive. Après avoir interrogé les acteurs de la place de Paris, l’AMF a formulé plusieurs propositions pour soulager l’écosystème de l’analyse financière. Parmi elles, le régulateur français veut mettre fin au «dumping» tarifaire en introduisant «plus explicitement une forme d’adéquation entre le prix de la recherche et son coût de production». L’AMF souhaite aussi davantage de proportionnalité dans les règles du financement de la recherche selon la taille des acteurs concernés.